Spider-Man : Across the Spider-Verse – critique d’un nouveau miracle

Antoine Desrues | 31 mai 2023 - MAJ : 15/12/2023 18:47
Antoine Desrues | 31 mai 2023 - MAJ : 15/12/2023 18:47

Pour beaucoup, Spider-Man : New Generation a été une sacrée surprise, autant dans le giron balisé du blockbuster d’animation que dans le genre de plus en plus mortifère des super-héros. Forcément, sa suite, Spider-Man : Across the Spider-Verse, annoncée en deux parties, a amené son lot d'interrogations. Était-il vraiment possible de reproduire la réussite magistrale du premier volet ? Voire de la transcender, sans crouler sous le poids de ses ambitions ? La réponse : oui.

Grands pouvoirs, grandes responsabilités

Lors de sa sortie en 2018, Spider-Man : New Generation (enfin, Into the Spider-Verse, oubliez cette “traduction” horrible) a bouleversé le cinéma d’animation grand public, en le sortant de son esthétique photoréaliste imposée par Disney et Dreamworks. En piochant dans les textures du papier mal imprimé des comics, dans le street art ou encore dans le pop-art, cette hybridation des styles a libéré une industrie qui n’a pas manqué de s’engouffrer dans la brèche.

Mais des Mitchell contre les machines au Chat Potté 2, ces héritiers n’ont pas fait que recycler une affèterie à la mode. Au contraire, ce choc des cultures a accompagné un bouillonnement des émotions, en s’accaparant des espaces mentaux pour mieux en dépeindre les troubles et les combats du quotidien. De la crise familiale des Mitchell aux crises de panique du Chat Potté, ce renouveau n’a pas hésité à mettre des mots et des gestes sur des conditions trop longtemps laissées sous silence (dépression, anxiété, etc), et à mettre en avant la nécessité d’une prise de parole à leur sujet.

 

Spider-Man : Across the Spider-Verse : photoDe l'autre côté du multivers

 

Or, la figure de Spider-Man s’est avérée idéale pour porter cet éveil de la pop-culture. Dès New Generation, Miles Morales était perçu comme cet adolescent se cherchant une identité entre ses ambitions et le fait de devoir trouver sa place de super-héros non pas en tant que copie, mais en tant que “réécriture” de son modèle (Peter Parker). Envahi dans son monde par des bribes du Multivers, il a appris à composer avec ces éléments, et les variables de l’icône dont il a endossé le rôle.

Avec Across the Spider-Verse, les producteurs et scénaristes Phil Lord et Chris Miller (La Grande Aventure Lego) ont promis dès le départ qu’ils iraient beaucoup plus loin, maintenant que Miles est convié à visiter des dimensions alternatives aux côtés de ses camarades hommes et femmes-araignées. Plonger dans le Multivers (mouvement instigué par le film grâce à sa gestion étourdissante de la profondeur et de ses travellings pénétrants), c’est aussi plonger dans la psyché surstimulée de son protagoniste. Un tiraillement permanent, retranscrit dans la vivacité cartoonesque d’un duel inaugural contre la Tache, méchant dont les trous qui le composent mènent à des téléportations impromptues.

 

Spider-Man : New Generation 2 : photoLe Portal 3 qu'on veut

 

A la belle (é)toile

Il ne faut pas longtemps à ce deuxième volet pour imposer sa virtuosité, sa cinégénie hyperactive mais toujours lisible, comme si l’ensemble se devait de traverser, voire de transcender la couche du montage. Et d’exprimer par cette envolée de photogrammes ce qui définit Spider-Man : si l’on est autant attaché à l’Araignée du quartier, c’est qu’elle supporte une charge mentale proprement héroïque (le terme est employé par le long-métrage).

Le fameux mantra de l’Oncle Ben, “un grand pouvoir implique de grandes responsabilités”, est devenu depuis les films de Sam Raimi un passage obligé, une malédiction imposant au personnage le sacrifice inévitable de sa jeunesse, de sa vie privée, et de ses relations avec ses proches. Miles n’est d’ailleurs pas le seul concerné, puisqu’Across the Spider-Verse dédie sa fantastique introduction à Gwen Stacy. Au cœur de sa dimension aux teintes pastels diluées comme de l’aquarelle, cette Spider-Woman laisse les couleurs de son environnement définir ce qu’elle ressent.

 

Spider-Man : Across the Spider-Verse : photoSpider-Gwen, toujours l'un des meilleurs personnages

 

Mieux encore, le premier plan du film accorde les sons d’une batterie avec des élans visuels abstraits. La démarche des réalisateurs Joaquim Dos Santos, Kemp Powers et Justin Thompson ne pouvait être plus claire : leur melting-pot esthétique repose sur une synesthésie que n’aurait pas reniée Kandinsky. Tandis que la bande-originale électro-orchestrale dantesque de Daniel Pemberton sert de liant à ce chaos organisé, l’explosion créative et colorée des images se veut au service des émotions – parfois inavouées – de ses personnages, qui s’écrivent, se dessinent, voire se crient à l’écran, pour exprimer leur mal-être.

Au-delà de ces adolescences tourmentées, Across the Spider-Verse trouve le temps d’accorder cette ambition au point de vue des parents. Qu’il s’agisse de Peter Parker en jeune papa gaga ou de la famille de Miles (bien mieux croquée que dans le premier opus), le film ausculte les doutes liés à l’éducation, et assume là encore de mettre des mots et des images sur des non-dits trop habituels. Avec une simplicité déconcertante, qu’on retrouvait jusque-là dans les meilleurs Pixar, le long-métrage oblige à voir les enfants quitter le nid et tracer leur propre route, postulat ouvertement méta par rapport à la forme encore plus libérée de cette suite.

 

Spider-Man : Across the Spider-Verse : photoGarder le moral(es)

 

Plus on est de fous, plus on tisse

A partir de là, l’ensemble se jette à corps perdu dans cette inventivité, donnant la sensation de se réinventer sous nos yeux à chaque univers, et à chaque plan composé comme une toile de maître. Aussi grisant qu’un swing de l’Homme-Araignée, Across the Spider-Verse est un geste de cinéma d’une puissance folle, dont la boulimie n’est jamais prise en défaut. Le film croit tellement à la variété de ses images que son effet patchwork y trouve une étonnante fluidité, notamment lorsqu’il met en scène une Inde futuriste en cel-shading ou un Spider-punk fait de collages.

Par ce fourmillement d’idées, le fan-service obligatoire de Marvel est renvoyé à sa nature cosmétique, plutôt que de devenir une fin en soi vide de sens (n’est-ce pas No Way Home...). La reproductibilité technique et mercantile des super-héros est une nouvelle fois au cœur de la réflexion esthétique de la saga, tout en étant transcendée par le coup de génie de son récit. Alors qu’il rejoint une élite de Spider-Men menée par Miguel O’Hara (merveilleux ajout vocal que celui d’Oscar Isaac), Miles découvre que l’équilibre du Multivers dépend d’un canon mythologique immuable. Maintenant que les passerelles entre dimensions ont provoqué un nouvel élan de post-modernisme dans la pop-culture, les héros sont conscients de leur écriture, et des épreuves qu’ils sont censés traverser.

 

Spider-Man : Across the Spider-Verse : photo"On veut la suiiiiiiite !"

 

Et c’est ici que réside le cœur émotionnel de cette suite brillante : face à une industrie toujours prête à figer dans le marbre des icônes et des symboles, au point de les dénuer de vie et d'âme, Miles Morales résiste en même temps que le film à cette fatalité. Là où New Generation esquissait son héros par le prisme d’un déterminisme social inhérent à la ville qu’il protège (New-York), Across the Spider-Verse sort cette fois les feutres pour explorer cette densité thématique.

Alors que la plupart de ses confrères et consœurs ont accepté d’être des “Sisyphe heureux”, poussant de manière inexorable leur rocher comme des martyrs super-héroïques voués à tout perdre, Miles choisit de donner un autre sens à son existence, d’exploser le rocher comme le long-métrage explose les conventions du cinéma d’animation. C’est dire l’énergie qu’Across the Spider-Verse a à revendre, au point où on lui pardonne aisément la frustration du cliffhanger qui le conclut. Face à ce nouveau miracle, il est de toute façon difficile d’être rassasié par le champ des possibles qui s’ouvre à nous.

 

Spider-Man : Across the Spider-Verse : photo

 

Résumé

Plus fou encore que son prédécesseur, Across the Spider-Verse suit son lapin blanc dans un voyage multidimensionnel électrisant. Pour autant, son inventivité stylistique n’en oublie jamais ce qu’elle sert : les émotions de ses personnages et une réflexion méta(physique) sur la place des super-héros. Le blockbuster indispensable de cette année !

Autre avis Judith Beauvallet
Le génie visuel nous régale encore, mais le scénario consiste en la seule explication ronronnante des règles de base du multivers, plutôt que de raconter une histoire avec ces règles pour toile de fond. On en prend plein la vue pour oublier la lourdeur consanguine d'une histoire qui n'existe qu'à travers son propre nombril.
Autre avis Mathieu Jaborska
Si vous êtes épileptique : vous allez décéder.
Si vous n'êtes pas épileptique : vous allez halluciner.
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commentaires
Hasgarn
02/04/2024 à 12:14

Un film qui n'en finit pas de finir.
C'est beau, c'est interessant et bien écrit, mais c'est pas ma came du tout.
J'avais rapidement oublié le premier.
Seul le cliffhanger m'empêchera (peut-être) d'oublier celui-là. On verra dans 2 ans.

Et puis, je peux pas m'extasier devant la technique et le style graphique de ce film quand bien même c'est du très bon boulot. J'ai l'impression que les gens découvre qu'on peut faire autre chose que du Pixar.
Et Renaissance ? Wakfu ? Arcane ? Même Chasseurs de dragons (pourtant pas top) ? Appleseed ?
Et Speed Racer qui avait déjà établi une grande parti du langage cinéma que SpiderVerse pompe sans vergogne ?

Nan, je n'arrive pas à aimer ce film qui doit la grosse parti de son succès au nom de l'homme araignée.

kast_or
20/08/2023 à 23:09

*édit :
J'oubliais aussi :
- les scènes d'actions sont souvent bordéliques, pas aidées en plus par le faible nombre d'images par seconde

kast_or
20/08/2023 à 23:04

Je suis assez mitigé au final. Alors ouais, il y a un gros travail visuel, c'est très sympa.
L'histoire est pas inintéressante non plus.
Mais par contre :
- je trouve les dialogues lourdingues. Ca parle tout le temps pour rien dire, j'ai trouvé ça très fatiguant à la longue
- du bruit non stop (dialogues, musiques, bruitages...) ainsi que des effets visuels épileptiques. On dirait que c'est pour scotché n'importe quel enfant qui passerait devant l'écran à ce moment là
- l'émotion n'a pas pris pour moi
-l' "humour" qui fait pchit
- une suite pour connaitre la fin...

J'avais trouvé le premier un peu plus sympa, plus digeste

@tlantis
08/08/2023 à 22:17

Vraiement une réal au top un score de folie mais un film qui se suffi pas à lui dommage que l’on doivent absolument voir la suite.
Car la on es frustré alors que cela n’ete pas le cas avec du back to the futur

Flo
05/07/2023 à 13:19

Quand on fournit des preuves par l'exemple, des faits irréfutables, un simple avis apparaît ainsi comme erroné - fait également : dans les comics, Octopus est toujours moqué quand Spider-Man a le dessus sur lui (il y en a qui ont lu et compris leur sujet avant d'écrire leur scénario).
Les faits seront toujours plus forts que les avis.

Oseman
03/07/2023 à 20:37

Oui, bon, à quand Superman across the Superverse, etc ?
Et si on avait le superpouvoir de les faire tous disparaître ?
Oserait-on ?

Marc
13/06/2023 à 12:21

@Garibaldi31

Pour montrer une action rapide il faut moin d'image forcément. Pour rendre un réalisme il y a 24 image par seconde comme pour un film. Pour rendre un effet rapide et Graphique ils on du tester en Story Bord toute les scnénes d'animation.

Marc into the SPIDER VERSE
12/06/2023 à 13:43

SPIDER MAN ACROSS THE SPIDER-VERSE un CHEF-D'OEUVRE GRAPHIQUE ☆☆☆☆☆

Schtroumpfette
07/06/2023 à 07:02

Un excellent film d'animation ! Que de talents réunis, bravo à tous les dessinateurs qui ont participé à ce chef d'œuvre !

SebSeb
06/06/2023 à 15:56

Un film dingue !

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