Dirty Difficult Dangerous : critique d'un Tetsuo social

Mathieu Jaborska | 27 avril 2023 - MAJ : 27/04/2023 15:00
Mathieu Jaborska | 27 avril 2023 - MAJ : 27/04/2023 15:00

Le cinéaste franco-libanais Wissam Charaf s'était fait connaître avec plusieurs courts-métrages, puis avec le long-métrage Tombé du ciel, comédie pince-sans-rire sur la guerre civile de son pays. C'est étonnamment avec un film fantastique qu'il fait son retour dans nos salles : Dirty Difficult Dangerous, porté par le duo Clara Couturet et Ziad Jallad.

The Iron Man

Tout compte fait, ce n'est pas la première fois que Wissam Charaf sort de la case dans laquelle on pourrait vouloir le placer. Sur le papier, Tombé du ciel avait tout du drame social fébrile. Mais l'humour très particulier du scénariste, aidé comme à son habitude par Mariette Désert (ayant entretemps oeuvré sur Les Particules et Les Passagers de la Nuit), lui permettait d'approcher son sujet sous un autre angle.

Il en est de même pour Dirty Difficult Dangerous, à ceci près que la comédie laisse la place au fantastique, voire au body horror ! On y suit le couple formé par Mehdia et Ahmed (très bons Clara Couturet et Ziad Jallad). Elle est une femme de ménage et aide à la personne au statut – à première vue – douteux. Lui, il est ferrailleur clandestin et survivant de la guerre en Syrie. Loin de leurs pays respectifs, ils doivent affronter la société libanaise, qui va jusqu'à instaurer un couvre-feu à destination des Syriens, ainsi qu'une étrange maladie qui ronge Ahmed : son bras se couvre peu à peu de métal.

 

Dirty Difficult Dangerous : photo, Ziad JalladMalgré un titre de spin off de fast & Furious, ce n'est pas un film d'action

 

Une idée étonnante dans une intrigue qui prend soin de traiter aussi bien une xénophobie rongeant chaque strate du pays, de l'administration aux lois de la rue, qu'un esclavage domestique banalisé. Hors contexte, elle évoque forcément l'univers métallique et rouillé de Shin'ya Tsukamoto, maître incontesté du body horror et du cyberpunk japonais, et son célébrissime Tetsuo, récit d'un homme qui se transforme peu à peu en machine. Sauf qu'ici, la maladie surnaturelle ne vient pas d'un environnement urbain cauchemardesque, mais bien d'une blessure de guerre.

 

Dirty Difficult Dangerous : photo, Clara CouturetUn arc narratif qui évoque l'exploitation des "Kafala"

 

Point de fuite

C'est l'originalité du film : la composante fantastique n'est qu'une conséquence, elle aussi, de la situation des personnages. D'ailleurs, ils n'en font pas grand cas, au regard des difficultés avec lesquelles ils doivent composer. Dirty Difficult Dangerous raconte une romance écrasée avec une telle force par la pression sociale et culturelle que le surnaturel n'est qu'un problème parmi d'autres. Un principe intéressant, mais qui pourrait toutefois donner une impression de timidité, pour qui ne se satisferait pas de ce plan final lourd de sens, revenant à la portée symbolique de cette maladie imaginaire.

D'aucuns pourraient objecter que cette singularité, contrairement à la comédie de Tombé du ciel, ne l'empêche pas de se conformer à des codes plus classiques du cinéma social. Mais ça serait mal connaître le cinéaste, qui a couvert plusieurs de zones de conflit en tant que cadreur et monteur pour Arte. Il possède clairement assez d'expérience pour éviter de tomber dans certains pièges, y compris lorsqu'il aborde en toute simplicité et non sans une pointe d'humour l'implication des associations et journalistes occidentaux.

 

Dirty Difficult Dangerous : photo, Clara Couturet, Ziad JalladThem against the world

 

Preuve en est de sa mise en scène et du choix d'un format relativement resserré. Celui-ci pourrait juste traduire, comme bien d'autres avant lui, un environnement qui accule ses protagonistes. Toutefois, le dernier tiers le justifie pleinement : le cadre représente un mode de vie auquel ils voudraient retourner, loin de la petite bourgeoisie méprisante et des appartements tout en largeurs de Beyrouth. Ce sont ces quelques idées, plus encore que les relents fantastiques, qui font la sensibilité de cette histoire d'amour rarement sale, souvent difficile et toujours dangereuse.

 

Dirty, Difficult, Dangerous : Affiche officielle

Résumé

Wissam Charaf navigue entre drame social, romance contrariée et cinéma fantastique sans caricaturer l'une ou l'autre des approches. Chapeau.

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