The Pale Blue Eye : critique qui tourne de l'œil sur Netflix

Judith Beauvallet | 6 janvier 2023 - MAJ : 09/01/2023 10:10
Judith Beauvallet | 6 janvier 2023 - MAJ : 09/01/2023 10:10

Après Les Brasiers de la colère et Hostiles, Scott Cooper remet le couvert avec Christian Bale pour ses débuts sur Netflix. En adaptant le roman de Louis Bayard, il confirme le virage horrifique pris avec son précédent film, Affamés. Un meurtre sordide, une enquête épineuse, un commissaire désabusé... Et au milieu de tout ça, un certain Edgar Allan Poe, future légende de la littérature gothique.

Cooper au carré 

Gus Landor, commissaire bourru et vieillissant, est ramené par la peau des fesses depuis son cottage paumé pour enquêter sur le meurtre d’un élève de l’académie militaire de West Point. Là-bas, il rencontre l’un des camarades de classe de la victime : Edgar Allan Poe, poète en herbe et tête de Turc de l’école. Impressionné par le sens de déduction de ce vilain petit canard, Landor le prend sous son aile pour mener l’enquête.

Scott Cooper avait le CV idéal pour traiter une histoire comme celle de The Pale Blue Eye. N’ayant pas son pareil pour représenter la misère américaine à la façon d’une tragédie grecque, avec la juste dose de mélancolie inhérente à la désillusion du rêve américain, il a abordé l’histoire et l’héritage de son pays sous les angles les plus beaux et les plus cruels. Qui de mieux que lui pour se pencher sur le romantisme noir de Poe, auteur fondamental de la culture étatsunienne ? 

 

The Pale Blue Eye : photo, Christian BaleDécaler sa flamme

 

Comme prévu, la recette fonctionne excellemment bien. Enfin, du moins en début de cuisson. The Pale Blue Eye démarre sur de très belles démonstrations de mise en scène de Cooper, toujours grave et élégante, et parfaitement adéquate à son sujet. En ne gardant que le meilleur de ce que proposait Bayard à l’écrit, le film démarre avec un rythme efficace et une atmosphère mi-enchanteresse mi-glaciale de paysages enneigés. Les décors magnifiques en mettent plein les yeux et le suspense du whodunit accroche son spectateur. Tant et si bien que, pendant sa première partie, le film tient joliment ses promesses et comble les amateurs du genre. 

 

The Pale Blue Eye : photo, Christian BaleÇa sent le sapin

 

Un casting de la Bale 

L’un des atouts principaux du film reste par ailleurs son casting. Comme à son habitude, Christian Bale excelle et parvient à apporter à son personnage la subtilité et l’émotion délicates à transposer depuis l’écrit, tant son personnage est secret. Sa performance confirme qu’il forme avec Scott Cooper un duo particulièrement évident au sein duquel chacun sublime le travail de l’autre

C’est davantage Harry Melling qui était attendu au tournant dans le rôle du jeune Edgar Poe, car s’il a prouvé son talent dans quelques productions récentes comme Le Jeu de la Dame, son rôle le plus iconique reste à ce jour celui du cousin tête à claques de Daniel Radcliffe dans la saga Harry Potter. Et si la ressemblance physique avec Poe est à peu près nulle, Melling réussit brillamment à créer son personnage.

 

The Pale Blue Eye : photo, Lucy Boynton, Harry MellingAmants sur canapé

 

Loin de la version de Ben Chaplin dans Twixt, belle image figée et discours professoral comme le rêverait un khâgneux, ou de la version de John Cusack dans L’Ombre du Mal à mi-chemin entre un Baudelaire musclé et un Rambo intellectuel, Melling ose casser l’icône pour mieux l’incarner. Tics de langage, attitude incertaine, diction improbable... ce Poe-là ne joue pas la carte du glamour littéraire et reste avant tout un jeune homme décalé, seul au courant de son génie. 

On trouve aussi avec plaisir une foule de talents qui viennent prêter leurs traits aux personnages secondaires, parmi lesquels Gillian Anderson, Robert Duvall, Toby Jones, Robert Duvall ou même Charlotte Gainsbourg, presque un peu trop gentille de s’être déplacée pour ce qu’on lui donne à jouer. 

 

The Pale Blue Eye : photo, Gillian Anderson, Toby JonesPremière neige et seconds couteaux

 

Netflix and kill 

Malheureusement, et malgré toutes les qualités susmentionnées, le soufflé finit vite par retomber. Arrivé à une petite moitié de film, le rythme retombe quelque part entre le ronron des références façon “Edgar Poe pour les nuls“ et une enquête qui peine à ménager son suspens sans vendre la mèche.

Les flashbacks, cet outil ô combien risqué dans son utilisation, deviennent de plus en plus artificiels et paresseux. Perdre en efficacité et en force de proposition passerait encore, mais arrivé à la révélation de l’enquête, le film rate son changement de ton et bascule le temps d’une (longue) séquence dans un ridicule à peu près total. Un avant-dernier acte qui laisse un goût aussi inattendu que désagréable en conclusion d’un film qui avait si bien commencé. En comparaison, le twist final, peu original et assez grossier, passe presque pour un beau moment d’émotion, dans lequel les acteurs se battent encore joliment pour la crédibilité du film

The Pale Blue Eye rejoint donc la liste des longs-métrages de plateforme dont l’ambition et l’originalité de leur créateur sont tuées dans l’œuf pour correspondre à un modèle téléphoné. Des films dont la première partie réalise nos rêves les plus fous et la seconde les piétine sans merci. Eh oui, un gâchis pareil inspire de telles hyperboles. La rencontre Poe-Cooper-Bale méritait beaucoup mieux. Elle méritait quelque chose d’aussi bien que le début du film.

The Pale Blue Eye est disponible sur Netflix depuis le 6 janvier 2023 en France

 

The Pale Blue Eye : Affiche française

Résumé

Une rencontre au sommet entre un Christian Bale habité et un Harry Melling parfait en Edgar Poe boutonneux, avant que Scott Cooper ne lâche la barre et que le navire ne parte à la dérive.

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commentaires
Kyle Reese
10/01/2023 à 01:29

Pale blue eye ... très beau film ... qui aurait pu être un grand film, voir plus.. Je ne connais pas le livre donc pas l'histoire. Tout d'abord la beauté des décors naturels avec ce majestueux manteau de neige qui recouvre cette campagne magnifique, un régal pour l’œil. La photo naturaliste est superbe, le film est bien cadré. La musique d'Howard Shore, je m'en doutais bien que c'était lui , est superbe envoutante, parfaite pour ce genre de film. Les acteurs sont tous excellent, dommage de ne pas avoir vu un peu plus de Charlotte Gainsbourg, je n'ai pas reconnue Gillian Anderson dans son accoutrement, dingue ça. Christiane Bale est parfait comme d'habitude, il trace sa route tranquille, le reste du cast est très bon mais surtout celui qui m'a totalement épaté et que je ne connaissais pas c'est bien l'incroyable Harry Melling qui vole la vedette à Bale rien que ça, parfois sans rien faire juste avec sa présence. Et en fait je découvre que c'était le joufflu Dudley Dursley dans les Harry Potter. Cet acteur est formidable, j'ai été complètement bluffé par sa performance. L'histoire en elle même est très bien, un petit coté Le nom de la rose et Les rivières pourpres. Alors pourquoi seulement un beau, et bon film et pas un grand film voir plus ... bah à cause de la mise en scène beaucoup trop sage, qui ronronne, sans à coup, sans accélération, elle est en mode pilotage automatique. Les images sont belles, c'est très quali, les plans lent ne me dérangent pas mais il n'y a pas d'intention, de prise de risque, de dynamisme. C'est le gros point faible du film et c'est bien dommage. Un scénario comme ça dans les mains d'un Del Torro par exemple cela aurai fait un grand film noir, aussi noir que les drames qui se passent dans ces lieux si authentique. Voilà. J'ai passé un très bon moment, avec la re-découverte d'un acteur qui s’épanoui complètement devant mes yeux ébahis par tant de finesse de jeu. Je recommande évidement.

Judith Beauvallet - Rédaction
09/01/2023 à 02:00

@Terryzir
Twixt est un chef-d’œuvre auquel The Pale Blue Eye ne peut pas se mesurer, je suis d’accord. Je lui ai déjà consacré une longue analyse sur ma chaîne YouTube et j’espère un jour écrire un article dessus ici.

Terryzir
09/01/2023 à 01:23

Je n'aurais pas dit mieux que Judith Beauvallet.
Excellente analyse de la recette Netflix.

Je lui aurais attribué une étoile en moins, pour les rôles secondaires en guise de faire-valoir (Gillian Anderson en surjeu), la paresse de la mise en scène et le montage ni fait ni à faire (les faux raccords pullulent).

Le Twixt de Coppola était autrement plus remarquable et ambitieux malgré son accueil critique glacial.

Caleb
08/01/2023 à 08:51

C’est un téléfilm à la photo réussi et avec un excellent acteur (+ des noms) pour attirer les cibles. C’est tout rien de plus…. Ah si, une grosse campagne de communication à la Netflix pour faire croire aux chef d’œuvre en tentant de s’appuyant sur le passif du duo réa/acteur principal. Mais Hostiles est à des années lumières de The Pale Blue Eyes car c’est un vrai film de cinéma, pas l’autre… C’est comme ça, notre société est de plus médiocre et individualiste sans respect de ce que la nature nous a offert et à fait de nous, donc on nous vend du médiocre porté par un nom connu. Et Dieu sai que Bale est un des plus grand acteur de son temps mais qui doit aussi payer les factures (ex : Thor…). Nous n’avons que ce que nous méritons, des produits sans cœur ni âme avec pour voile de fond la vengeance : exutoire interdit d’une société ne reposant plus que sur la forme s’alimentant de la frustration constante du fond des Hommes qui la constitue.

Toto du 36
08/01/2023 à 01:01

Vu.
Je n'ai pas lu votre critique, pour éviter d'être influencé.

J'ai trouvé ce film d'une mole perfection. La beauté de la photo, le rythme si lent, et ce scénario digne du 18ème... on se croit lire du Alan, par moment.
Un Cast bien fait, et surtout, des maquillages assez réalistes.
Bon, oui, c'est un peu mou... mais avez-vous déjà lu "Les Rats"?

Tom’s
07/01/2023 à 12:16

La Rédac Possible de lister ça ? Ces films attendus et déceptif pour Netflix ou autre, ça me rend dingue de voir que des films de Fincher, Innaritu, scorcese sont Noyés dans la masse rangés au milieu de n’importe quoi, en même temps une facilité à esquiver tous ces «  NetBuster » à la Red Notice/ Adam… le temps / 6 underground & Co. Merci le Covid d’avoir changé la donne lol et merci à Cameron de sortir son film qui renvoi tous le monde en Salle , j’espère une exigence du public à l’issu. 1ere immersion la salle de ciné / écran géant / noir total . Hier soir je vois le début du film en 4 fois, a cause de mon fucking chat lol.

Fox
07/01/2023 à 11:19

Un début de film plus que prometteur... Affaire à suivre avec un peu de coeur.

Tonto
07/01/2023 à 10:41

Beaucoup aimé pour ma part, l'atmosphère est aussi géniale que tout le monde le dit, et le scénario plutôt bien écrit. Je trouve juste que les deux intrigues ont quand même du mal à se lier entre elles, et le gros de l'intrigue ressemble quand même à une grosse coïncidence un peu maladroite.
En revanche, je ne trouve pas que les vingt dernières minutes soient en trop. Le retournement n'est pas forcément renversant, mais il a le mérite d'être cohérent, plutôt bien amené et annoncé pendant le film, ce n'est pas un twist sorti de nulle part. Et surtout, j'aime beaucoup cette manière d'amener par le twist le véritable thème du film qu'on n'avait pas vu venir auparavant, un thème fort bien traité ici, avec une intensité émotionnelle authentique.

La seule vraie question que je me pose, c'est : est-ce que ça avait un véritable intérêt de choisir Edgar Allan Poe comme personnage principal ? Est-ce que le remplacer par un cadet anonyme n'aurait pas eu exactement le même impact sur l'intrigue ?

Danielle
07/01/2023 à 03:42

Je viens de voir The Pale Blue Eye et je suis toujours ému par la performance nuancée et captivante de Christian Bale.

Oui, c'est un "whodunnit" fascinant, mais pour moi, le pivot du film est l'esprit de solidarité de deux hommes unis par la perte d'un être cher et une enquête sur une série de meurtres. C'est presque une relation père-fils qui se développe entre Landor et Poe.

Certains critiques ont décrié la fin du film, qui correspond pourtant parfaitement à celle du roman de Louis Bayard. Que voulaient-ils que le réalisateur fasse, trahir le roman de Bayard sur lequel le film est basé ? D'autres ont dit que Christian Bale s'était "effacé" devant la performance époustouflante de Melling. Ces personnes ne voient pas le véritable talent, qui n'est pas dans le maniérisme ou l'extravagance de la parole et du geste, qui convenaient bien à Poe, mais dans la vérité simple et brute de l'émotion visiblement ressentie par Bale et évidente dans chaque expression de son visage et dans chaque mot vibrant qu'il prononce au sujet de la fille disparue de Landor.

Ce film est passionnant, pas uniquement à cause de Bale, de Melling et de l'atmosphère grisante, mais aussi parce que les crimes sur lesquels ils enquêtent sont sauvages, à un niveau purement existentiel. Les meurtres sont suffisamment monstrueux pour frapper l'imagination.

Ce qui pose également un défi pour le film : trouver une solution qui soit non seulement logique, mais qui rende également hommage à la cruauté captivante des crimes commis. Et étonnamment, le final du film, totalement inattendue, mais vendue de manière experte grâce à un déploiement intelligent d'informations. Contrairement à de nombreux mystères qui sont conçus pour être insolubles pour le public (ce qui est une approche valable ; n'oubliez pas qu'Arthur Conan Doyle ne nous a jamais donné tous les indices nécessaires non plus), The Pale Blue Eye nous montre tout ce dont nous avons besoin pour tout comprendre et parvient encore à nous couper l'herbe sous le pied. Malgré cela, ce qui résonne en fin de compte, c'est la relation centrale étonnamment émouvante du film et son décor vivant.

Pour moi, c'est un film à voir et à revoir, ce qui pourrait aider certaines personnes à mieux comprendre ce qui s'y est réellement passé.

Sanchez
07/01/2023 à 00:59

Bon thriller d’époque efficace mais dont l’intrigue se révèle ultra convenue. L’image et l’esthétique ultra léchée ainsi que son casting rendent le film passionnant à regarder. Mais ces efforts ne peuvent rien face à une intrigue sans grande ambition. De plus le twist final est du type ultra cassé gueule , peu de film réussissent ce genre de twist et en général ça rend l’ensemble incohérent. Ici ça passe mais On est loin d’être abasourdi par la révélation.

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