Licorice Pizza : critique qui court au cinéma

Alexandre Janowiak | 5 juillet 2022
Alexandre Janowiak | 5 juillet 2022

Licorice Pizza est ce soir à 21h10 sur Canal+.

Après plusieurs années à réaliser des films d'une grande maitrise technique et aux ambiances très froides avec The MasterPhantom Thread ou There Will Be BloodPaul Thomas Anderson revient à ses premières amours avec Licorice PizzaDu moins, semblait, car son neuvième film, avec Cooper Hoffman et Alana Haim au casting, est une petite pépite singulière et très déroutante, probablement son film le plus doux et personnel.

once upon a time... in san fernando valley

Plusieurs cinéastes sont revenus avec des oeuvres très personnelles ces dernières années sur grand écran. Alors qu'Alfonso Cuaron a réalisé Roma pour raconter son enfance mexicaine, et que Steven Spielberg et James Gray préparent des films quasi-autobiographiques pour 2022, le plus évident et récent hommage à une époque passée est probablement Once Upon a Time... in Hollywood de Quentin Tarantino. Le réalisateur revenait ainsi sur l'âge d'or d'Hollywood rêvant de réécrire l'Histoire grâce aux pouvoirs de la fiction, pour perpétuer son idéal hollywoodien.

Et avec Licorice Pizza, Paul Thomas Anderson semblait lui aussi parti pour réaliser son film nostalgique en replongeant dans les années 70 et sa bien-aimée San Fernando Valley, où il a grandi et réalisé près de la moitié de sa filmographie avec les cultes Boogie Nights, Magnolia et l'euphorisant et trop souvent oublié Punch-Drunk Love - Ivre d'amour.

 

 

Sauf que PTA a des desseins beaucoup plus simples que ceux de Tarantino. Car Licorice Pizza, s'il est une lettre d'amour à San Fernando Valley et est rempli d'une vraie et belle nostalgie, notamment avec ses références à tout un pan hollywoodien (William Holden, Jon Peters, Lucy Ball) et angélien (Joel Wachs) des années 70 ou ses clins d'oeil aux amis de PTA (la présence au casting de ses enfants et sa femme Maya Rudolph, de la fille de Spielberg, de la famille Haïm au complet ou du père de Leonardo DiCaprio, ouais), il ne croule jamais sous son poids et ne regrette jamais vraiment cette époque disparue à jamais.

Au contraire, les années 70 en prennent pour leur grade (sexisme, racisme ordinaire, violences policières, crise pétrolière...) et PTA n'est pas tant un nostalgique ou mélancolique. Il a plutôt l'allure d'un grand rêveur persuadé qu'on peut encore faire des films de cinéma dans leur plus simple forme : raconter une histoire, des histoires, grâce à la force de nos souvenirs.

 

Licorice Pizza : photoPlonger dans la San Fernando Valley

 

californian graffiti

Après Licorice Pizza, difficile de douter des ambitions uniques de Paul Thomas Anderson, assurément l'un des derniers représentants contemporains d'un cinéma non-standardisé et profondément hors-norme. Le cinéaste continue en effet à vouloir bouleverser le 7e art avec son nouveau film (dont il est producteur, scénariste, réalisateur et co-chef opérateur avec Michael Bauman) et à tracer son propre chemin, loin des diktats d'un public toujours plus friand des récits tout faits et uniformisés.

Dès les premières minutes (dont le plan d'ouverture évoque American Graffiti, la vraie référence du film), racontant la rencontre entre Gary (excellent Cooper Hoffman, fils du regretté Philip Seymour) et Alana (la révélation Alana Haim) le jour de la photo de classe, dans une succession de plans-séquences fluide, Licorice Pizza semble se diriger vers le genre du teen-movie basique, du film de passage à l'âge adulte ordinaire.

Et pourtant quelque chose semble différent. Même si les deux personnages se rencontrent pour la première fois, ils paraissent se connaître depuis des années. Et c'est logique, car Licorice Pizza ne sera jamais véritablement un teen-movie comme les autres.

 

Licorice Pizza : Photo Alana Haim, Cooper HoffmanUn duo du tonnerre

 

Toujours aidé d'une bande-originale entraînante et savoureuse, PTA décide d'ouvrir les portes à une romance excentrique absolument déroutante (elle a 25 ans, il en a 15) et donc à une histoire d'amour compliquée et impossible, où les sentiments seront surtout amicaux et platoniques, et non réellement amoureux. Une romance d'un anti-conformisme désarmant, aux airs presque enfantins, se refusant au monde adulte pour mieux retomber dans l'insouciance d'une jeunesse rêvant de tous les possibles (Gary) même s'il se fait rattraper par la dure réalité, n'oublie jamais la difficulté de la vie adulte et s'y retrouve confronté en permanence (Alana).

Dans un sous-texte meta avec le cinéma en lui-même, Licorice Pizza raconte donc cette époque où on préférait oser plutôt que ne pas essayer (prendre des risques plutôt que complaire), soit ce qu'il se passe à travers le duo principal et notamment le personnage de Gary, évident prolongement de PTA (même si inspirée en quasi-exclusivité de la vie de Gary Goetzman, mentor de PTA et producteur du Silence des agneaux entre autres).

Et pour aller plus loin encore dans son désir de tout chambouler, Paul Thomas Anderson va malmener son duo principal, en croisant la réalité et la fiction, mêlant la petite et la grande Histoire, pour les confronter à des aventures complètement loufoques, des rencontres inattendues, et mieux les faire se retrouver, les lier pour toujours.

 

Licorice Pizza : photo, Cooper HoffmanGary Valentine, ou les souvenirs incarnés de Gary Goetzman

 

a la conquête du temps perdu

Alors, Licorice Pizza se mue en une oeuvre beaucoup plus solaire, émouvante et drôle, sorte de plongée ensoleillée, mais non dénuée de nuages sombres et oppressants, dans cette San Fernando Valley de 1973 et pourtant presque hors du temps.

C'est probablement ce qui pourra le plus décontenancer les spectateurs : cette narration évasive, foutraque et sinueuse, continuellement labyrinthique, sans véritable repère temporel. Après la minutie de Phantom Thread, le cinéaste décide en effet de complètement lâcher prise narrativement, choisissant de se faire plaisir avant tout plutôt que de contenter les envies des spectateurs, de cocher les cases habituelles du genre.

D'où cette sensation étrange tout au long du film : Paul Thomas Anderson est en totale roue libre. Rien qui ne l'empêche de diriger son récit avec la maestria qu'on lui connaît, mais il y a quelque chose de parfaitement troublant, le temps défilant sans jamais que l'on ne sache s'il ne dure qu'un été ou plusieurs années. Au fil de son avancée, Licorice Pizza divague, se perd consciemment dans les rues de LA, ressemble un peu à l'accumulation de plusieurs petits bouts de saynètes ne s'enchaînant pas forcément avec logique, passant du coq à l'âne, et s'enfonce presque dans une forme de surréalisme.

 

Licorice Pizza : Photo Cooper Hoffman, Alana HaimLe surréalisme d'une séquence mémorable

 

Indiscutablement, le film en laissera beaucoup sur le bord de la route ne comprenant pas forcément où le film veut en venir. Toutefois, ce choix narratif est justement ce qui le rend plus vrai, plus naturel, plus authentique. Ce qui en fait un récit d'apprentissage d'une liberté salvatrice, affranchi d'une quelconque forme de soumission, délivré de toutes les conventions, dont les revirements inopinés du scénario et les déambulations de ses personnages font complètement exploser son identité bouillonnante, fougueuse et exaltée.

Tout n'arrive pas logiquement dans la vie, tout n'est pas un enchaînement parfait... et Licorice Pizza fait donc de même. Car il en naît des tranches de vies belles et délicates, se construisant au gré des imprévus, des relations, des rencontres.

 

Licorice Pizza : Photo Cooper Hoffman, Alana HaimLa tête des spectateurs quand le récit s'emballe et dévie de ses trajectoires

 

the power of the movies

Paul Thomas Anderson a toujours été un grand cinéaste de la rencontre de Hard Eight (avec celle de Sidney et John) à Phantom Thread (le glacial Woodcock et l'ardente Alma) en passant par les innombrables jonctions relationnelles de Magnolia ; ou plus encore, des rencontres discordantes, associant des personnages que tout semblait opposer. Et Licorice Pizza est peut-être la quintessence de son cinéma, se composant quasi-uniquement des événements jalonnant la rencontre et la relation de deux protagonistes complètement différents (l'entreprenant et serein Gary, la timide et incertaine Alana), comme liés par un fil fantôme (encore).

Et la force souterraine de Licorice Pizza se cache peut-être ici, dans cette capacité de PTA à faire de la rencontre entre Gary et Alana, le vrai centre du récit, le point auquel le spectateur souhaite en permanence revenir, s'accroche éperdument, au milieu des aventures et rencontres exceptionnelles qui lui sont données à l'écran (Sean Penn en pastiche motard de William Holden, l'incroyable numéro de Bradley Cooper en Jon Peters...). Car au fond, ces multiples interactions avec les grands de ce monde, jonglant entre l'épique et le ridicule, ne sont que des passades pour révéler les vraies intentions du récit.

 

Licorice Pizza : Photo Alana Haim, Sean PennDerrière la cascade spectaculaire, une cascade émotionnelle

 

Ainsi, l'action du film est constamment mise dans l'ombre (la cascade en moto de Penn supplantée par le regard d'un Gary inquiet), désamorcée (la présence préoccupante du voyeur mystérieux du QG politique finalement éclipsée par les secrets intimes de Joel Wachs) ou réduite à sa forme la plus épurée (une descente en camion effrénée, mais silencieuse et en marche arrière) pour mieux se recentrer sur l'important : Gary et Alana. À une époque où le spectacle se joue surtout à coups d'explosions et d'effets spéciaux, celui de PTA repose sur ses forces les plus pures, les plus vives : ses personnages.

Car ce sont eux qui comptent le plus pour Paul Thomas Anderson. Ce sont eux, ses véritables héros. Ces personnages vrais, loin de la violence (Peters), l'exubérance (Holden) ou la fausseté (Wachs, d'une certaine manière) des adultes les entourant. Ces personnages comprenant au fur et à mesure ce qu'ils manquent sans leur relation. Ces personnages découvrant la beauté rare de leur liaison. Ces personnages dont on prend un plaisir simple à suivre les libres pérégrinations, les méandres amoureux, la connexion étrange mais fusionnelle, les sentiments virevoltants, vacillants et, in fine, indélébiles.

 

Licorice Pizza : photoAlana Haïm, la vraie grande révélation du film

 

Derrière cette légèreté et sobriété, les richesses thématiques et intimes de Licorice Pizza se font alors jour dans ses derniers retranchements, évoquant tout autant les espoirs évanouis de l'American Dream que la fièvre de l'adolescence, la perte de l'innocence, le magnétisme invisible attirant les âmes, la perversité des hommes (notamment les adultes, tous complètement tarés) voire les dégâts de la célébrité (encore les mêmes hommes).

Et Paul Thomas Anderson de réussir encore à faire d'une rencontre aussi absurde que son titre - Licorice Pizza, à la fois rebutante idée de "pizza à la réglisse" littéralement, souvenir fascinant d'une époque révolue et appellation fantasque du disque vinyle -, un nouveau grand moment de cinéma.

Alors certes, à l'image de la première rencontre entre Alana et Gary, Licorice Pizza pourra laisser perplexe au premier rendez-vous, restant sagement sibyllin à ce moment. Mais il se révélera incontestablement au fil des visionnages, pour mieux grandir dans la durée et se graver pleinement dans les esprits. Et d'une certaine façon, au gré des rencontres entre le récit et ses spectateurs y revenant inlassablement, Licorice Pizza affirmera l'élégance de son extravagante singularité pour encore longtemps.

 

Licorice Pizza : Affiche française

Résumé

Paul Thomas Anderson lâche totalement prise dans son déroutant Licorice Pizza, épopée amoureuse sinueuse et imprévisible au cœur du Los Angeles rêveur, mais pas si nostalgique, des 70s. C'est délicat, drôle, libre, hors-norme, plein d'amour et mené par le sublime duo Alana Haim-Cooper Hoffman.

Autre avis Geoffrey Crété
Mais où est passé le Paul Thomas Anderson incroyable et magique de Boogie Nights et Magnolia ? Soigné mais éparpillé, tendre mais anecdotique, Licorice Pizza donne surtout envie de revoir sa grande romance : Punch-Drunk Love.
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Lecteurs

(4.1)

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commentaires
Ozymandias
05/04/2023 à 22:54

Film vraiment atypique, j'ai bien apprécié pour ma part. Une belle mise en scène.

Rico
09/07/2022 à 23:41

Putain que c’était chiant, un joli écrin pour une coquille sacrément vide.

Tnecniv
08/07/2022 à 22:49

J'ai bien aimé dans l'ensemble et les scènes avec Bradley Cooper complètement fumax de la tronche me resteront en tête .

Chris11
07/07/2022 à 20:56

Je viens de le finir. Une petite merveille, un bijou absolu. Je suis incapable de dire pourquoi j'ai adoré, c'est juste beau, touchant, vrai, sincère, et je regrette très sincèrement de ne pas l'avoir vu en salles.

Weezy
06/07/2022 à 22:27

Bien apprécié le film, que ce soit pour les acteurs, la bande son, la réalisation, l'ambiance qui s'en dégage, l'écriture loin d'être mauvaise... Pas le meilleur PTA mais un bon cru.

ZakmacK
06/07/2022 à 15:58

Sacré film, les deux acteurs sont incroyables. D'aucuns ont trouvé un peu long, mais je trouve moi aussi qu'il est presque trop court :)

Faurefrc
06/07/2022 à 00:00

Je pense être un vieux c… comme Geoffrey Crêté. Je préfère le PT Anderson des debuts. Même si j’ai aimé son Phantom Thread hyper maîtrisé, il ne m’a pas mis une claque comme Boogie Nights ou Magnolia. Inhérent Vice ne m’a pas laissé un souvenir impérissable comme There Will Blood. Bref, c’est moche de vieillir…

Jojo
05/07/2022 à 21:02

Mais qu'est ce que je l'aime ce film ♥️

Fox
11/01/2022 à 14:21

La justesse du jeu des acteurs, la qualité de l'écriture, la maitrise de la mise en scène, cette photo superbe (les anamorphiques Panavision font des merveilles !)... tout est au diapason !
Je suis en accord avec beaucoup de points de cette critique. On ne peut pas vraiment parler de nostalgie ici, les années 70 sont présentées comme écrin à l'histoire (et aux histoires) sans pour autant qu'on y sente un regret trop appuyé : il y a des bons (l'insouciance, la liberté d'entreprendre, d'aller là où on veut) et des mauvais côtés (le choc pétrolier, le sexisme et le racisme ordinaires, l'homophobie).
La narration peut paraître déroutante : les ellipses sont nombreuses mais on ne sait jamais combien de temps elles durent ; les "saynètes" ne servent pas un but précis, elles existent juste comme des petits bouts de l'histoire, sans lien logique parfois. Ça m'a rappelé la narration de Love de Gaspar Noé d'une certaine manière, comme des instants remémorés, sans autre but que celui de se les rappeler parce qu'ils nous sont chers.
Licorice Pizza est rafraîchissant, sinueux, beau, drôle, émouvant, léger, mélancolique (parfois)... Pas sûr qu'il intéresse les foules et pourtant, en ces temps trop sombres, on aurait bien besoin de ces petits rayons de soleil plus souvent.

Birdy en noir
06/01/2022 à 13:59

merci Sanchez pour ton retour, je fonce

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