Clifford : critique d'un film de niche

Mathieu Jaborska | 30 novembre 2021 - MAJ : 30/11/2021 18:02
Mathieu Jaborska | 30 novembre 2021 - MAJ : 30/11/2021 18:02

Cette fin d'année 2021 n'aura pas été avare en frissons. Après la créature mystérieuse d'Affamés, c'est au gros molosse rouge Clifford de semer la terreur sur le grand écran. Le réalisateur Walt Becker propose une approche originale du cinéma d'épouvante : il transforme un célèbre personnage de la littérature jeunesse, déjà vedette de deux séries animées, en monstre diabolique lâché en plein New York, et ce, grâce au pouvoir des effets spéciaux numériques.

Terreur rouge

Peu après la révélation de la bande-annonce de Clifford, nous avions connu un succès inattendu en lui inventant des intentions horrifiques. À notre grand désespoir, nombreux furent les commentaires lunaires à ne pas déceler notre humour douteux et à nous reprendre au premier degré, voire à nous intimer de corriger notre maladresse. Restons donc "professionnels" - pour citer l'un desdits commentaires - afin de ne pas froisser nos lecteurs les plus... rigoureux et contentons-nous de souligner que leur réaction très sérieuse prouve qu'au fond, une telle confusion de genres n'est pas impossible.

Avec la démocratisation des effets spéciaux numériques, on ne compte plus les producteurs au sens esthétique discutable à y voir une opportunité de décliner en prises de vue réelles des oeuvres animées. Et ça finit par donner des abominations comme Clifford, adaptation des livres Scholastic, mais aussi du générique du dessin animé Clifford le gros chien rouge et de Bébé Clifford, puisque le scénario couvre les débuts de la relation entre Emily et son gros chien. Scénario écrit d'ailleurs par deux véritables docteurs Frankenstein de la monstruosité familiale et architectes chevronnés du traumatisme infantile, David Ronn et Jay Scherick, déjà responsables des deux Les Schtroumpfs.

 

Clifford : photo, Darby CampLe monstre est vivant

 

Heureusement pour les droits des animaux, malheureusement pour nous, le grand chien rouge n'est pas un authentique canidé plongé dans un pot de peinture, mais bien une création 100% numérique, un amas de CGI (Computer Generated Images) incrusté dans un New York télévisuel. La bande-annonce laissait présager un voyage délicieux dans la vallée de l'étrange, mais le long-métrage prend en fait trop peu de risques pour siéger aux côtés des plus dérangeantes créations du style.

Le réalisateur Walt Becker et son équipe sont bien conscients des limites de leur concept visuel. Lotis d'un budget et d'ambitions bien inférieures aux blockbusters pleins à craquer de bestioles numériques, ils composent avec la principale faiblesse de la technologie : si les artistes digitaux sont assez talentueux pour représenter un chien géant, ce sont ses interactions avec les décors et surtout les autres personnages qui brisent l'illusion. Ils évitent donc, à force de subterfuges et de cadres cléments, au clébard de toucher quoi que ce soit. Les contacts avec la Emily humaine (on y reviendra) sont rares et il faut le voir mettre le boxon dans une pièce où il ne bouscule... absolument rien.

 

Clifford : photo, Jack Whitehall, Izaac Wang, Darby CampIl se tape (mal) l'incruste

 

Clifford en tant que tel est moins foncièrement dérangeant que complètement irréaliste, surtout quand il interagit avec les autres protagonistes. La véritable atrocité du film réside plutôt dans les doublures numériques, qui saccagent la dernière demi-heure. On plaint les Américains qui oseront acheter le film en VOD : à la faveur d'un arrêt sur image impromptu, ils pourraient se retrouver face à une entité lovecraftienne à couettes, chevauchant un cerbère difforme.

C'est à se demander pourquoi Paramount persiste à vouloir lisser les styles graphiques des oeuvres qu'il adapte, quelques années après la mémorable sortie de route du film Sonic. En arrachant Clifford à la candeur de son monde quasi merveilleux pour en faire un chiot taille king size en plein Manhattan, en lui refusant le microcosme cartoonesque dans lequel il s'épanouissait et son design tout en lignes claires, le studio le dépossède de son charme initial - déjà assez relatif - pour le conformer à une recette toute faite annihilant l'identité du toutou et de son univers. La recette des Schtroumpfs, donc, qui ne vise rien d'autre que d'aseptiser les héros chéris par les enfants.

 

Clifford : photo, Darby Camp, Jack WhitehallGros red flag

 

Clifford fiesta

Car comme chaque fois qu'on taille un costard à une niaiserie de ce type, on attend une petite vague de réactions nous accusant d'accabler une honnête attraction pour enfants, de chercher des noises à leur innocence. Libre à leurs auteurs d'exposer leurs marmots au mépris que leur vouent les exécutifs hollywoodiens. Libre à eux de martyriser leurs rétines et leur potentielle cinéphilie à grands coups de visuels anonymes, d'histoires abrutissantes, de leçons de morale absurdes et de les ensevelir dans les placements de produit pour des agences immobilières (véridique !), alors que les divertissements familiaux travaillés et sincères s'invitent régulièrement en salles (Le Peuple loup y était il y a à peine quelques semaines).

Sous couvert de s'adresser à un "public cible" (expression de marketeux devenue, pour certains, parole d'évangile), les productions du genre se contentent du strict minimum, persuadées - à raison - que personne ne viendra le leur reprocher. Elles accumulent donc des codes qui ont tout l'air de sortir de réunions commerciales sans passer par la case "interprétation artistique", ou même "incarnation", introduits dans le film comme on couvre de plastique la dernière paire de baskets low cost.

 

Clifford : photo, Kenan Thompson, Jack Whitehall, Darby Camp, Izaac WangC'était le moment de l'euthanasier

 

Le très irritant Jack Whitehall, vu dans Jungle Cruise, y cabotine selon les règles de l'art, incarne l'obligatoire loser en quête de respectabilité, qui assaisonne le tout de blagues pas originales pour un sou, les interludes musicaux pop s'enchainent à un rythme probablement dicté par un algorithme, le méchant ne fait même pas semblant d'avoir de la personnalité...  Peut-être le cri de Wilhelm est-il, pour une fois, le moins artificiel des ingrédients dans cette marmelade de poncifs et de facilités.

C'est finalement la raison d'être de ce énième ersatz post-Chipmunks trépané du bulbe : il est facile à réaliser. Nul besoin de s'épancher sur la cohérence d'un récit aux enjeux vaporeux, entre faux problèmes d'argent et harceleurs hautains à venger, sur la finesse d'écriture de dialogues tous identiques, sur la richesse visuelle d'une grosse pomme toujours filmée de la même manière ou sur le rythme des quelques séquences mouvementées du climax. Même lorsque la narration la pousse à expérimenter le comique visuel et à dynamiser un peu les choses, la mise en scène se vautre dans un académisme désespérant.

 

Clifford : photo, Jack Whitehall, David Alan GrierCi-git l'humour (1534 - 2021)

 

Pourquoi en faire plus, puisque personne n'incriminera ses ficelles, quand bien même le long-métrage tabasse le héros éponyme pour le rentrer de force dans un moule hollywoodien étriqué et le pixellise pour le déposséder de son capital sympathie ? À l'abri des reproches, lui et ses successeurs continueront tranquillement de crétiniser enfants et adultes en marge du blockbuster ultra-commenté, bien loti sur son créneau, bien à l'aise dans sa niche.

 

Clifford : Affiche française

Résumé

On espérait l'équivalent canin de Cats, on se retrouve avec un énième produit aseptisé et creux qui tire encore un peu plus le divertissement familial américain vers le bas. C'est pas wouf, quoi.

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Lecteurs

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commentaires
BadTaste
01/12/2021 à 00:15

Pauvre Mathieu Jaborska qui s'est infligé ce truc. On le sent aux abois durant toute la critique. :-(

Vous avez eu du flair en sachant dés la bande-annonce que ça allait être naze. Vous avez du nez. Que dis-je ? De la truffe plutôt. (oui, je sais, c'est Dingo l'ami de Mickey)

En tout cas j'ai apprécié la lecture de cette critique très amusante, j'en ai la queue qui remue (pardon pardon pardon).

(Sanchez et Le Serpent, je vous aime d'amour)

Rico
30/11/2021 à 23:46

J’ai vu récemment le Tom et Jerry avec la meuf de Kick ass ben c’était bien de la merde aussi

Le Serpent
30/11/2021 à 21:10

C'est sur que ca ne serait pas au goût du festival de Cannes. On pourrait même dire que..Cannes n'y goût(e)..désolé je suis vraiment naze en jeu de mot, j'ai honte :'( un peu :D

Sanchez
30/11/2021 à 19:53

On m’avait pourtant dit que ce film avait du chien

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