Les Sept de Chicago : critique d'hommes d'honneur sur Netflix

Alexandre Janowiak | 16 octobre 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Alexandre Janowiak | 16 octobre 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Prévu d'abord pour une sortie cinéma en bonne et due forme avec Paramount Pictures, Les Sept de Chicago a finalement été vendu par le studio à Netflix en pleine pandémie de coronavirus. Après Martin Scorsese, Alfonso Cuarón, Charlie Kaufman ou Noah Baumbach, la plateforme accueille donc le deuxième long-métrage en tant que réalisateur de Aaron Sorkin, et c'est une très belle pioche.

A FEW good men

La genèse des Sept de Chicago a été longue et périlleuse. Dès 2007, Aaron Sorkin, à peine remis de sa triomphale À la Maison-Blanche et de l'annulation prématurée de Studio 60 on the Sunset Strips'est vu confiée l'écriture d'un scénario sur les émeutes de 1968 et le procès qui en a découlé par Steven Spielberg en personne. Le réalisateur a déjà une idée bien précise de ce qu'il compte faire de cet événement, voulant le sortir juste avant l'élection présidentielle de 2008, et a déjà un lourd casting en tête dont Sacha Baron Cohen, Will Smith et Heath Ledger.

Pas de chance, la grève des scénaristes a raison du projet. La production prend du retard, le tournage est annulé et le projet de film finit par tomber dans les limbes, même si Sorkin travaille toujours dessus. Quelques mois plus tard, Spielberg quitte totalement le projet et les noms de Paul Greengrass et Ben Stiller sont évoqués tour à tour pour reprendre le flambeau, en vain. Finalement, fin 2018, Steven Spielberg a remis le scénario sur la table pour le ressusciter.

Aaron Sorkin se voit confer les commandes par l'immense cinéaste en personne avec un objectif en tête : le sortir juste avant l'élection présidentielle de 2020, cette fois-ci. Le moyen de donner un nouveau souffle au scénario, à ces émeutes qui ont marqué les esprits démocrates, républicains et américains en 1968 et qui résonnent avec d'autant plus de force, cinquante-deux ans plus tard.

 

Photo Mark Rylance, Eddie RedmayneRylance et Redmayne, en route vers un nouvel oscar ?

 

LES FAUX coupables

Au milieu des Sept de Chicago, le personnage d'Abbie Hoffman (incarné par Sacha Baron Cohen, seul rescapé du projet initial) assure qu'ils sont victimes d'un procès politique. Évidemment, même si l'avocat incarné par l'excellent Mark Rylance lui affirmera, non sans dédain, que les procès politiques n'existent pas, il finira par lui donner raison, prouvant toute la hargne de certaines élites américaines de l'époque envers les meneurs progressistes.

Et si l'affaire des sept de Chicago était clairement un procès politique, Les Sept de Chicago est de son côté un pur film politique dans ce qu'il a de plus honorable. On reproche souvent aux films historiques engagés ou militants d'être de simples pamphlets classiques, copie-collant des pages Wikipedia sans une once d'imagination et manquant d'identité. Ce n'est pas le cas du long-métrage de Sorkin, qui, au contraire, est porté par son montage dynamique et sa sublime construction, pour mieux donner vie et corps à son propos alarmant.

 

Photo Sacha Baron CohenSacha Baron Cohen excelle dans la peau du révolutionnaire showman Hoffman

 

Aaron Sorkin a toujours adoré l'univers des procès. Ancien dramaturge, il n'a jamais caché son amour pour ce genre, son premier scénario Des hommes d'honneur en est d'ailleurs une des plus belles preuves tout comme son premier film derrière la caméra Le Grand Jeu. Toutefois, la construction mêlant procès et flashback de Les Sept de Chicago rappelle surtout le dispositif de The Social Network de David Fincher, scénarisé par Sorkin lui-même.

Le réalisateur et scénariste joue en effet de la succession de dépositions et témoignages pour montrer la réalité passée. Si certains personnages mentent au procès, les flashbacks, eux, rétablissent la vérité, et de fait, les accusations à l'encontre des sept de Chicago (huit avec Bobby Seale) deviennent de véritables injustices aux yeux du spectateur. D'autant plus qu'avec une telle justice biaisée et partiale, le destin des accusés semble scellé malgré leur bonne volonté. Rien ne paraît possible pour les sauver puisque leurs vérités ne sont pas entendues quand celles qui éclosent au tribunal durant le procès sont niées, dédaignées et finalement rejetées.

 

Photo Frank LangellaFrank Langella incroyable en juge Hoffman (rien à voir avec celui au-dessus)

 

Aaron Sorkin joue alors habilement avec les nerfs de ses personnages et ceux des spectateurs tout au long de son long-métrage jonglant astucieusement avec un ton grave et un humour noir bien pensé. L'injustice est là, sous nos yeux et Sorkin sait comment l'appuyer, la rendre encore plus agaçante. Il n'oublie, en effet, jamais de mettre également ses héros à mal en doutant de leur parole ou en les confrontant à leur propre conviction. Une remise en question qui mène dans le dernier tiers du film à une séquence musclée entre les personnages de Sacha Baron Cohen, Mark Rylance et Eddie Redmayne.

Quasi climax du film, avant l'envolée émotionnelle du grand final, cette scène de dispute, en plus d'être une leçon de narration, est complètement déstabilisante. Avec rage, émotion et des dialogues extrêmement précis (chaque mot compte), Sorkin offre enfin la possibilité à ses personnages de livrer leur vérité, celle que la justice ne veut pas entendre et déclenche ainsi un tourbillon émotionnel au milieu du déluge de malveillance qui les entoure.

 

Photo Sacha Baron Cohen, Danny Flaherty, Eddie Redmayne, Jeremy Strong, Mark RylanceUne des scènes les plus marquantes

 

LA JUSTICE SELON AARON SORKIN

Le long-métrage, tout au long de ses 2h09, est un terrain propice à une multitude de débats d'idées, et cette séquence intimiste et pourtant spectaculaire, mêlant présent et passé, est le moyen parfait de faire se confronter les convictions des héros. La lutte révolutionnaire violente du hippie Abbie Hoffman vaut-elle autant que les idées plus pacifistes de Tom Hayden ? Le petit bourgeois blanc né avec une cuillère en argent dans la bouche est-il moins légitime à militer contre le pouvoir que l'homme noir martyrisé et abandonné par l'État ?

Réponse de Sorkin : il n'y a pas de bonnes ou mauvaises manières de lutter contre les injustices. Au contraire, le plus grand ennemi de ces défenseurs d'un monde juste, ce sont leurs propres dissensions. Leurs méthodes sont parfois opposées (les YIP et les SDS), mais leurs luttes sont liées, et ce sont leurs fraternités qui doivent s'associer et non leurs différences les mener à se diviser.

 

Photo Kelvin Harrison, Yahya Abdul-Mateen II, Mark RylanceLes sept de Chicago et aussi Bobby Seale, au coeur du métrage

 

À l'heure où la présidentielle 2020 fait rage aux États-Unis, nul doute que Les Sept de Chicago est donc plus qu'un film historique. Comme l'a avoué ou plutôt confirmé sans surprise Sorkin en interview : "Le film n'est pas une leçon d'histoire, il n'est pas question de 1968 - il s'agit surtout d'aujourd'hui". Quoi de plus frappant que de constater à quel point les injustices et problématiques étudiées par le long-métrage résonnent avec l'actualité.

Au premier plan, le traitement du fondateur des Black Panthers, Bobby Seale (magistralement incarné par Yahya Abdul-Mateen II), durant le procès n'est pas sans rappeler le drame George Floyd de l'été 2020. La persécution raciste dont il a été victime par le juge (Frank Langella ahurissant) semble toujours d'actualité et vient appuyer la colère de la communauté afro-américaine et la montée en puissance du mouvement Black Lives Matter aujourd'hui. Les divisions entre YIP et SDS évoquent celles plus politiques entre les démocrates de Sanders et Biden, alors même que leur ennemi est le même.

 

photoSuffocante altercation, dont le souvenir ne semble pas si lointain

 

Plus loin encore, les émeutes à l'origine du procès ravivent le souvenir des violences policières de ces derniers mois un peu partout dans le monde de Hong Kong à la France évidemment (avec les Gilets jaunes). Car oui, les propos de Les Sept de Chicago sont universels et la manière dont Sorkin réussit à les incarner à travers un procès de plus de cinquante ans, les rendent d'autant plus puissants et vertigineux.

Reste à savoir ce qu'il en sera vraiment de l'avenir. Si le résultat du duel Trump-Biden ouvrira des perspectives et donnera des réponses, il semble que Sorkin ait d'ores et déjà choisi de garder espoir. Alors que son film débute avec une grande ironie - des images d'archives d'une Amérique s'embrasant mêlées à la présentation des sept de Chicago s'accolent à une musique feel good entraînante, sur près de sept minutes -, il se clôture sur une note plus douce et sentimentale : l'espoir que toutes les voix soient entendues et surtout écoutées, pour qu'enfin un monde juste soit possible. Il serait temps.

Les Sept de Chicago est disponible sur Netflix depuis le 16 octobre 2020 en France

 

Affiche officielle Netflix , Aaron Sorkin

 

Résumé

Les Sept de Chicago est un grand film de procès (et de justice) porté par un montage fabuleux et le scénario électrisant de Sorkin. Plus qu'une simple reconstitution historique, sa résonance avec l'actualité en fait d'ailleurs une oeuvre universelle et intemporelle d'autant plus marquante.

Autre avis Simon Riaux
La mise en scène fabriquée, pataude et académique de Sorkin écrase jusqu'à son bon scénario, laissant au spectateur la désagréable impression d'avoir reçu une leçon de catéchisme assénée par un bourgeois satisfait.
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Lecteurs

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commentaires
Kyle Reese
06/01/2021 à 00:26

Excellent film. Je ne connaissais pas cette affaire totalement édifiante.
Ca faisaient longtemps que je n’avais pas vu de film de procès . casting, montage, dialogues en tout point brillant et surtout quelle démonstration ! Passionnant et tellement contemporain malheureusement encore aujourd’hui.
Et pour finir quel courage de la part de accusés.

Duffman
04/11/2020 à 01:10

Sseb: merci pour ta réponse mais, désolé d’etre Chiant et chipoteur, elle n’en me satisfait pas.

J’ai bien vu la scène dont tu parles mais normalement, l’acquitement est censé être prononcé en même temps que la sentence des autres, non? Or là, ils ne sont plus sur le banc des accusés. Je n’en comprends pas

sseb22
30/10/2020 à 15:01

Duffman : Effectivement, il n'est pas impossible qu'un assoupissement soit à l'origine de ton incompréhension.

Tu as dû rater la petite scène de quelques dizaines de secondes dans laquelle un des personnages explique que ces 2 là ont été avec les 5 autres pour être acquittés par le jury afin que ce soit plus faciles pour ce même jury de rendre un verdict de culpabilité pour les 5 autres

Birdy
20/10/2020 à 12:42

Très bon film, très bonne critique, merci !

Duffman
18/10/2020 à 21:41

Je viens de finir le film, j'ai globalement bien aimé.

Par contre, j'ai une question qui implique un mini SPOILER:





Ai-je été distrait un moment dans le film (c'est tout à fait possible) ou bien il manque une scène dans le film? Lors du moment du verdict, comment se fait-il qu'ils ne sont plus que 5 à la barre? Bobby Seale et les 2 qui ne savent pas trop ce qu'ils font là sont parmi le public, ils ont été écarté du procès?

Catalunya
18/10/2020 à 04:41

J ai visionné ce film vendredi , jour de sa sortie sur Netflix. A de nombreux points de vue , il me rappelle un film des années 70, «  The Strawberry statement » ( «  Des fraises et du sang » ) , qui m avait énormément marqué à l époque. « Les 7 de Chicago » est un excellent film avec des acteurs de qualité et un Sacha Baron Cohen en grande forme ! Je conseille !!!

Sergio
17/10/2020 à 23:55

Très bon film ! J’en sort et j’ai kiffé. Un vrai sens de la narration, Sorkin, un film dense mais très rythmé. Un casting absolument parfait. Du très bon cinéma. Je ne peux que recommander.
Et une très jolie critique, Alexandre .

Alexandre Janowiak - Rédaction
16/10/2020 à 14:08

@Bran

Parce que Sorkin a beau être un immense scénariste, confirmer un grand talent de directeur d'acteur ici et réussir à créer une vraie énergie à son long-métrage à travers le montage, la mise en scène est sans grande idée, trop didactique et classique.
C'est assez facile de le dire comme ça, mais derrière la caméra (même si je trouve que c'est mieux que Le Grand Jeu), il est encore loin de tirer son épingle du jeu comme réussissent à le faire à travers ses scénarios des cinéastes comme Fincher ou Miller avant.

sylvinception
16/10/2020 à 12:56

Sorkin, quel as du dialogue!! (YOU CAN'T HANDLE THE TRUTH!!)
Point noir : niveau réal il est encore très loin d'être au même niveau.

Sanchez
16/10/2020 à 12:33

En plus y’a Jeremy Strong ! Je veux !

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