En guerre : critique en grève

Simon Riaux | 27 mai 2022
Simon Riaux | 27 mai 2022

En guerre est ce soir à 21h sur France 5.

La loi du marché avait valu à Vincent Lindon  un Prix d'interprétation cannois en 2016, au film éponyme une exposition (et un succès) inespérés, et au duo qu'il forme avec le réalisateur Stéphane Brizé, une reconnaissance nationale. C'est donc avec énormément d'attentes que l'on découvrait sur la Croisette En guerre en 2018, nouvelle collaboration sociétale du couple d'artistes tournée vers le terrain des luttes ouvrières et syndicales.

ROI DE GRÈVE

Quand une usine appartenant à un groupe largement bénéficiaire se voit notifier sa fermeture prochaine, ses travailleurs se mettent en grève et entament un affrontement tendu avec leurs anciens patrons, portés par un délégué syndical décidé à sauver le site. Le récit qui en découle se focalisera presque exclusivement sur les réunions, négociations et sorties médiatiques occasionnées par l'affrontement qui se dessine. Nulle dramatisation à outrance ici, ou travail académique des personnages : c'est la confrontation du travail et du capital que capte ici la caméra de Brizé.

Et s'il déploie la palette connue d'un certain naturalisme hexagonal, il ne le fait pas sans une impressionnante maîtrise des outils qu'il convoque. Le montage saisit à la gorge, le découpage se montre redoutable, tant dans son économie que dans ses ruptures de ton. Quant à Vincent Lindon, il inonde littéralement chaque plan d'un charisme brut, participe admirablement du projet du metteur en scène en cela qu'il ordonne la parole et permet une appréhension aiguë de la distribution du verbe, essentielle dans ce combat inégal.
 
 

photo, Vincent LindonVincent Lindon


PUNITION COLLECTIVE

Mais pour brillant qu'il soit et pour fusionnelle que semble être la collaboration entre l'acteur et le metteur en scène, l'utilisation que fait le film de Vincent Lindon est si problématique qu'elle en vient à saboter l'ensemble de l'entreprise. Récit du collectif, autopsie d'un bien commun (le groupe, le travail) sapé par le libéralisme contemporain, En guerre essuie une sévère défaite.

Malgré son voeu de penser communauté, le métrage se focalise en permanence sur Lindon et en vient à propager un sentiment de malaise prégnant. Comment traiter des traiter de la lutte collective, quand on ne quitte pas des yeux un homme en pleine posture messianique ? Comment parler de la cité et du devoiement des valeurs communes, quand la narration traite son principal protagoniste comme un roitelet doublé d'un prophète ?

Seul acteur professionnel (entouré de "vrais" syndicalistes, Lindon pourrait justement être questionné dans sa légitimité. Mais non, Stéphane Brizé, réalisateur de Mademoiselle Chambon et Quelques heures de printempspréfère le filmer faisant la leçon à ses semblables, sorte de saint patron des grouillots venu dissiper leurs vapeurs, jusqu'à un climax vomitif de candeur sacrificielle.
 
 

photo, Vincent LindonLe Messie


VENI VEDI VITE DIT

De même les séquences de reportages issus de chaînes d'infos en continu ont beau dévoiler intelligemment les dessous de la manipulation citoyenne, elles s'écoulent visuellement. L'hyperrealisme d'En guerre se fait maniérisme factice quand le film souffre de "la vallée de l'étrange", alors que ses scènes reconstituées dévoilent leur nature de contrefaçon au moindre défaut visible.

Dans La loi du marché, un Lindon le plus souvent de dos recueillait la parole d'authentiques citoyens, sa situation réelle soutenant ce dispositif. Dispositif qui se retourne comme un gant alors que lui revient de déployer ici le verbe et les bons points. Un changement de point de vue qui ne révèle pas tant un noble soutien aux luttes qu'une iconisation absurde de ces dernières, et franchement hors sujet. 
 
 

Affiche

Résumé

Excellemment raconté, En guerre voit son hyperréalisme artificiel et l'iconisation délirante de Vincent Lindon saboter ses intentions premières.

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Lecteurs

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commentaires
Flo
31/05/2022 à 13:53

Pendant énergique (tournage très très serré) et plus sombre du précédent "La Loi du marché", où Lindon va ici plutôt parasiter une situation sociale et s’approprier un leadership avec tout son charisme… Mais sans être aussi concerné que ses camarades pour ce qui est des enjeux personnels, car étant une énergie vibrante mais vide à l’intérieur. Un concentré de jusqu’au-boutisme et d’orgueil qui s’ignore, force à la fois motrice et destructrice.
Le récit d’un gâchis annoncé, surtout.

Kynapse
29/05/2022 à 19:40

@Geoffrey Crété

Merci pour la réponse, je me demandais justement si c’était une question de contexte.
Et merci pour votre travail, aussi :)

Geoffrey Crété - Rédaction
28/05/2022 à 15:29

@Kynapse

Parce qu'on parle précisément de Sam Raimi dans l'usine Marvel, où la place des réal est très relative. Il l'a lui-même exprimé pendant la promo.

Quant à l'art de Sam Raimi, on peut rappeler qu'on aime le monsieur, qu'on considère comme un passionnant auteur. On l'a notamment longuement expliqué ici :
https://www.ecranlarge.com/films/dossier/1428407-spider-man-evil-dead-jusquen-enfer-sam-raimi-a-t-il-deja-fait-un-mauvais-film

Kynapse
28/05/2022 à 12:55

Dans l’introduction de cet article, vous qualifiez Stéphane Brizé d’artiste, mais dans le classement du MCU que vous venez de republier, Sam Raimi est considéré comme un artisan dans la partie MoM.
J’aimerais connaître votre positionnement sur la distinction artisan/artiste, parce que Sam Raimi me paraît avoir une identité visuelle et narrative bien plus marquée et marquante, sans même parler de son immense contribution au genre super-héroïque et horrifique.
Je suis juste un peu confus sur le coup ^_^’

Anyssa
19/06/2018 à 11:09

J'ai adoré!!! Vincent Lindon un super acteur qui se prête bien au jeu de ce que vivent des millions de gens ! Ce film ne peut pas laisser insensible ! Nos politiques devraient aller le voir:::

belibaste
28/05/2018 à 15:49

Ce film m'a vraiment énervé tant j'y ai retrouvé ce que j'avais vécu moi-même !
Il n'est certes pas parfait et ceux qui iront le voir sont déjà partisans, mais il a le mérite d'exprimer le présent et le quotidien de milliers de salariés en France et ailleurs.
Merci à tous ceux qui y ont participé.

blueman
27/05/2018 à 22:54

En 2004 le Festival de Cannes avait primé Michael Moore qui montrait à Bush qu'il ne fallait pas faire la guerre en Irak. En 2018, le Festival de Cannes n'a pas primé Stéphane Brézé, qui montre à Macron qu'il ne faut pas faire la guerre aux français. Si Cannes avait primé ce film, le Festival 2018 aurait FAIT SENS.

trouville
22/05/2018 à 10:34

film intense qui reflète parfaitement la triste réalité que nous vivons : l'écrasement de la classe ouvrière au profit des actionnaires. Il suffit de licencier et de fermer un unité de production pour que le cours de la bourse s'envole au bénéfice du monde des actionnaires....
Le discours des responsables est parfait , si les ouvriers ne comprennent les lois du marché il doivent déménager ...

Cocolouto
17/05/2018 à 18:08

Moi ce film m'a bien fait vibrer.....et donner à réfléchir! Même si certains disent qu'il suffi d'allumer la télé pour cela. Moi je suis allé voir une oeuvre de presque 2h, pas une info raccourcie.
Les acteurs tant professionnel (Lindon) que non-professionnels (inconnus) étaient parfait.
Du docu/fiction juste top!
J'ai aimé et n'ai pas été déçu!

Jean-Paul
17/05/2018 à 16:26

bonjour, la fin est décevante, et laisse un malaise sacrificiel, sans espoir ! Issu d'une famille de résistants communistes (hé oui), leurs actions nous ont préparé le P.N.R et le système de protection sociale dont nous continuons malgré tout à bénéficier : le film pouvait s'arrêter aux larmes de Vincent Lindon, on avait compris

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