Warner : l'assassinat d'Infinity Train, ou la pire dérive de la SVoD

Léo Martin | 28 août 2022 - MAJ : 28/08/2022 13:33
Léo Martin | 28 août 2022 - MAJ : 28/08/2022 13:33

L’annulation et la disparition de la série Infinity Train d’HBO Max est un cas tragique, mais édifiant, du problème des plateformes de streaming.

Il y a quelque temps, Écran Large s’interrogeait sur le désordre apporté par l’annulation de Batgirl en tant que conséquence d’une gestion catastrophique de Warner sur ses productions. Toutefois il était inévitable qu’un tel phénomène (qui est sans précédent) soit un mauvais présage de bien d’autres manières. Depuis peu, Warner Bros. Discovery — désormais dirigé d’une main de fer par David Zaslav — mène un nettoyage de ses programmes avec une rare brutalité. Allant à rebours de l’ancienne politique de Jason Kilar (ancien président de WarnerMedia), c’est en particulier la totale restructuration de la plateforme de streaming HBO Max qui plonge nombre d’artistes dans la tourmente.

L’effacement absolu de Batgirl était l’annonce d’un cataclysme discret. Seul capitaine à bord de son navire, Zaslav semble avoir le pouvoir suffisant pour remanier toute la grille d’HBO Max (pour des motifs économiques, mais finalement, les raisons importent peu ici) dans un laps de temps très bref. Si bref que même les artistes ne sont pas mis au courant et se trouvent souvent devant le fait accompli. 

De nombreux programmes exclusifs à la plateforme se sont retrouvés récemment déprogrammés, voire annulés. Plus d’une trentaine de séries sur HBO Max ont été balayées d’un revers de la main. Parmi elles, un cas en particulier est édifiant : celui d’Infinity Train, titre pourtant assez populaire créé par Owen Dennis. Plus qu’une simple annulation, le programme est victime d’une compromision radicale de son existence sur Internet. Un phénomène qui doit mettre en évidence l’un des risques les plus dangereux inhérents aux plateformes de SVoD.

 

Infinity Train : photoQuand le train s'arrête brusquement

 

Terminus du train de l'infini 

Alors oui, le sujet a été évoqué déjà plusieurs fois sur le site. Mais si on y revient à nouveau, c’est parce que ce cas n’est pas anodin. Il est même caractéristique d’une importante problématique propre aux nouveaux supports de diffusion dont les conséquences sont de plus en plus observables. En somme, c’est la mise en péril des DVD et Blu-ray, au profit du "tout dématérialisé", qui représente le cœur de la question. À l’heure actuelle, la disparition progressive du support physique remet déjà en cause la nature des œuvres n'existant que sur les plateformes

Infinity Train, originellement diffusé sur Cartoon Network, s’est vue en 2020 devenir une exclusivité HBO Max, pour sa troisième saison. La série était alors déjà menacée d’être annulée, considérée comme trop sombre pour un format d’animation (un souci concernant désormais aussi la nouvelle série animée Batman, déprogrammée de HBO Max). Malgré tout, il semblait inimaginable qu’au-delà de son annulation, ce soit son entière suppression qui l’attende. Totalement rejetée par Warner Bros. Discovery, Infinity Train ne pourrait ainsi ne plus exister du tout

 

Infinity Train : photoLes plateformes et le néant

 

Pour être précis, Infinity Train est (au moment où cet article est écrit, du moins) encore disponible à l’achat sur Youtube, Amazon Prime, iTunes, Vudu et Google Play. De plus, comme le souligne tristement la nouvelle bio Twitter d’Owen Dennis, la série peut être toujours vue grâce au piratage (un larcin que les plateformes de streaming étaient censées éliminer).

Mais une telle situation n’assure aucune pérennité à l’œuvre de Dennis et la condamne à une destinée aléatoire dans laquelle les moyens de l’obtenir légalement vont tout simplement disparaître au fur et à mesure. Sur le site Owen Dennis's Infinite Train of Thought, le créateur de la série a ainsi résumé le problème : "Je ne sais pas combien de temps la série restera sur tous ces services en ligne. [...] C’est ce qui est terrifiant quand on n’utilise plus de supports physiques." Malheureusement, la bouée de sauvetage qu’aurait pu être effectivement le support physique est déjà une bouée percée.

 

Infinity Train : photoLe paradis du streaming s'ouvre sur le vide

 

DIRECT TO NOWHERE 

On a pu observer récemment une rupture des stocks sur tous les sites de vente en ligne du DVD de la première saison d'Infinity Train. Stock qui ne sera sans doute pas renouvelé pour suivre les directives de Warner. Cela provoque ainsi une hausse impressionnante des prix de reventes des DVD sur un site comme eBay (certaines offres allant jusqu’à plus de 200 dollars).

Cette pénurie est survenue très rapidement après la suppression de la série, exprimant un vent de panique du côté des fans de la série. Une occasion pour eux de réaliser que les plateformes ouvrent un accès aux œuvres, mais ne nous en donnent jamais la propriété. Enfin, aucun DVD n’est jamais sorti pour la saison 3 et 4 (à partir du moment où elle est devenue exclusive à HBO Max, donc). Dès lors, Inifnity Train avait déjà un pied dans le vide sans le savoir. 

 

Infinity Train : photoQuand tu réalises que ta série de coeur n'existe plus

 

Dégoûté à l’égard de Warner Bros. Discovery, et n’hésitant pas à les décrire comme "non professionnels et incorrects", Owen Dennis s’est exprimé quant au sort de sa série. Toutefois, si l’on est réaliste, ce n’est pas tant la décision de Warner ni ses motivations (que l’on connaît) qui sont à la source du problème. Les vrais enjeux se situent à l’échelle de toute l’industrie des films et des séries : on les a interrogé récemment quant à l’attitude de Disney vis-à-vis d’Avatar sur Disney+.

Voilà le véritable drame des plateformes de SVoD, qui dépossèdent peu à peu les artistes de leurs œuvres pour en faire un produit modifiable et interchangeable de leur catalogue, victime de l’arbitraire et en en faisant quelque chose de dispensable, donc de périssable. À terme, la mort du support physique devrait rendre le cas d’Infinity Train de plus en plus courant et métamorphoser radicalement l’industrie.

Des répercussions actuelles d’un tel phénomène ont été évoquées par Matt Damon, ajoutant matière à réflexion sur le sujet. C’est pour cette raison que la vigilance est de rigueur et qu’il vaut mieux ne pas prendre à la légère la moindre offense faite par les services de streaming à l’intégrité des œuvres d’art, pour en assurer la sauvegarde autant que possible.

Tout savoir sur Infinity Train

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires

29/08/2022 à 18:01

@Hasgarn salut tien un site pour regarder infinity train https://needforponies.fr/other-tv-shows/infinity-train/

Rico
29/08/2022 à 13:32

@GTB vous avez raison sur la dualité de mon propos, la contradiction dont vous parler se réfère à mon propre système de valeur, supprimer un contenu ne me fait ni chaud ni froid (même pour des contenus que j’apprécie) mais l’altération d’une œuvre me pose problème, encore plus lorsqu’il s’agit de se conformer à la moral douteuse du moment.

GTB
29/08/2022 à 13:18

@Rico > Votre réponse se contredit elle-même. Vous comprenez parfaitement de quoi il est question puisque qu'après avoir expliqué que les ayant-droits font bien ce qu'ils veulent de leurs œuvres, que c'est une industrie qui ne vise, à raison insistez-vous, que son propre intérêt...vous évoquez le cas des retouches qui vous semble problématiques, ce qui est précisément un jugement de valeurs. Décidez-vous. Soit le droit est roi et il n'y a aucun débat à avoir peu importe leurs décisions, soit vous admettez qu'on puisse soulever, s'interroger et débattre autour d'autres aspects de l'exploitation des œuvres.

Mon opinion est que, sans remettre leur droit à faire ce qu'ils veulent de leurs œuvres (vous avez tout à fait raison), il est également sain d'échanger autour de ce qui peut être problématique pour améliorer les choses. Il y a une différence entre 'avoir le droit de" et "faire mieux".

Karlito
29/08/2022 à 11:45

Une question: existe t-il aux E.U. une loi qui oblige toutes les maisons de production de donner une copie à une institution publique?

Léo Martin - Rédaction
29/08/2022 à 10:02

@Hagarn Seule la première saison a été traduite et sortie en France. La deuxième saison était sur le point d'arriver chez nous quant tous les évènements décris dans l'article sont survenus.
Malheureusement, il est devenu très difficile d'accéder également à la première saison, toujours pour les raisons évoquées ici.

A
29/08/2022 à 00:12

''un larcin que les plateformes de streaming étaient censées éliminer''
Jamais au grand jamais ils n'y arriveront.

Rico
28/08/2022 à 23:55

@Ronan, la Warner ne vole rien c’est leur œuvre, leur propriété intellectuelle, pas celle des gens qui bossent dessus et qui auraient du négocier pour que ce soit leur œuvres justement.

@GTB, vous me faites rire avec vos valeurs, c’est une industrie qui pèsent des milliards, les majors et autre service de svod n’agissent que dans leur interêt économique et ils ont raison. La série Infinity Train n’est plus considéré comme un produit d’appel pour leur plateforme, la marque n’est peut être plus assez forte pour continuer d’investir de l’argent dedans donc poubelle dans le but de ré-orienter la ligne éditorial de leur offre. Les créateurs/superviseurs de ces contenus (on ne va pas se mentir, ce n’est rien d’autre) sont payés, les majors ne leur doivent rien de plus. Je ne pense pas que le film Batgirl de ces manchots du duo Fallah/El Arbi va manquer à grand monde ni n’atteindra le statut d’œuvre à dénicher absolument.

En revanche je trouve ça plus problématique de modifier une œuvre pour plaire au pleurnichard moderne, rallongement de cheveux dans splash pour cacher un cul par exemple ou le message d’”avertissement” ridicule et infantilisant avant Autant en emporte le vent.

GTB
28/08/2022 à 20:50

Bon nombre de ces problématiques ne sont pas liés à la SVOD, donc même si ce modèle a bel et bien ses limites (comme le fait de ne pas pouvoir se prémunir en tant que client de se genre de décision), il n'en est absolument pas la cause. Le phénomène existait avant. C'est juste qu'on s'en foutait, c'était peut-être plus discret, moins pointer du doigt. Aujourd'hui, le principe de conservation et d'accessibilité aux œuvres diverses est un sujet qui commence à être discuté. On en parle aussi, un peu, dans le jeu-vidéo. C'est bonne chose.

On peut s'épargner le réflexe habituel de rejeter bêtement la faute sur l'évolution. En revanche, il est effectivement particulièrement sain de s'interroger sur les évolutions pour les pousser dans la bonne direction.

@Rico > Certes. Néanmoins, pourquoi parlez vous droit quand il est question de valeurs?

Hasgarn
28/08/2022 à 20:14

Cette série a l’air vraiment bien mais est-elle dispo en France ?
Je ne vois aucun achat possible sur Prime, Apple TV et YouTube

Ronan
28/08/2022 à 18:30

Quand je vois des commentaires comme on s'en fout c'est leur possession je me dis que y en a qui capte rien de rien. Ils volent l'œuvre d'un artiste, exactement comme quelqu'un qui télécharge.

Plus