Supersex : critique qui trique sur Netflix

Mathieu Jaborska | 6 mars 2024
Mathieu Jaborska | 6 mars 2024

Les biopics sont à la mode au cinéma... et en SVoD. Cette fois, c'est Netflix qui propose de raconter la vie d'une personnalité, et pas n'importe laquelle. Alessandro Borghi incarne la légende du porno Rocco Siffredi dans les sept épisodes de la série italienne Supersex, de son enfance à une conférence de 2004 où il annonçait prendre sa retraite. Critique.

Rocco et ses frères

L'acteur, probablement le plus connu de l'industrie, avait déjà eu droit à un film documentaire en 2016, sobrement intitulé Rocco. La vie et l'oeuvre de l'étalon italien ayant déjà été couvertes, il était attendu de la série des partis pris forts et un cadrage singulier. Rien de tout ça dans la production The Apartment, biopic archi-classique qui cumule à peu près toutes les caractéristiques du genre : une vie entière racontée en flash-back, une armée de personnages secondaires sous-caractérisés qui gravitent autour du protagoniste, une voix off omniprésente, une introspection à coups de notes de piano génériques, une mise en scène fonctionnelle (enfin en dehors des scènes de sexe)...

Et comme souvent dans ce genre de récits, la scénariste Francesca Manieri survole chacun des aspects de la vie fantasmée de Rocco plutôt que de se concentrer sur l'un d'entre eux. Sont évoqués, pêle-mêle, son rapport à la religion, à sa mère, au sexe, aux femmes, à la jalousie, à l'amour, à la célébrité... sans qu'aucun de ces sujets prenne vraiment le pas sur les autres. Supersex voudrait dépeindre chaque nuance de la personnalité de son personnage... au risque de tomber au contraire dans la caricature pure et simple.

 

Supersex : photo, Alessandro BorghiPar contre, Borghi s'éclate

 

Rocco guérit de son homophobie en une scène. Rocco devient instantanément ultra-proche de son seul ami non hétérosexuel lorsqu'il subit une discrimination. Rocco pécho sans effort les mannequins qui se baladent par dizaines dans les ruelles parisiennes. Rocco susurre "Tu es un bout de viande" à sa partenaire en plein coït public. Subtil...

Les femmes qu'il rencontre en dehors des plateaux se succèdent à un rythme métronomique, tentant presque toutes (à l'exception de la star du X Moana, personnage qui aurait pu être intéressant s'il avait le droit à plus d'un demi-épisode) de le convertir à la monogamie. Bref, bien qu'elle revendique de montrer l'homme derrière la figure publique, la série reste tributaire du mythe Rocco Siffredi.

 

Supersex : photo, Gaia MesserklingerGaia Messerklinger en Moana, personnage le plus intéressant honteusement sous-exploité 

 

Big Dick Energy

Manieri, qui a d'ailleurs hésité avant de s'attaquer au scénario, compte pourtant utiliser sa trajectoire comme un moyen de décrire une certaine masculinité à l'aune de la démocratisation de la pornographie, dont l'acmé sera le faste des cérémonies de récompenses du milieu. Éduqué pour dominer les femmes à coups de pénis, d'où le titre Supersex tiré de la revue qui pousse le jeune Rocco à voir la sexualité comme un super-pouvoir, l'homme contemporain qu'il représente est perdu dans une culture masculine puisant dans le porno... et condamnant ceux qui le font prospérer.

Une idée justifiant les écarts avec la vraie histoire (Siffredi lui-même a expliqué que la série était, au mieux, très vaguement inspirée de sa vie), mais encore une fois gâchés par les codes ronflants du biopic à l'américaine, voire par une complaisance évidente envers l'étalon italien et l'imagerie qu'il charrie. Difficile de vraiment croquer cette masculinité contrariée lorsqu'on reproduit les archétypes du porno, aussi bien vis-à-vis de la sexualité féminine que de l'addiction sexuelle dont Rocco souffre.

 

Supersex : photoLe syndrome de Paris

 

La description d'un Pigalle des années 1980 tout propre, où la luxure se consomme à même le pavé ou dans des clubs tout droit sortis de l'imagination d'un ado en pleine séance de masturbation, donne à Supersex des airs de Emily in Paris libertin. Les scènes de sexe sont finalement assez chiches et surtout correspondent à la vision biaisée véhiculée par l'industrie du X, faisant du protagoniste un pur champion du sport de chambre, dont toutes les femmes ont forcément envie de vérifier la véracité de la légende... Quant à "l'inconfort" provoqué chez certaines actrices, il ne s'agit que d'une manière de plus de forger la réputation de "la plus grande bite du monde".

Une vision extrêmement lisse, grand public, d'aucuns diraient netflixienne, du monde du porno d'autant plus ironique que Siffredi fait partie des grandes figures de l'explosion du gonzo en tant qu'acteur ou réalisateur (carrière complètement éludée), à mille lieues du softporn timide de la série. Pour vraiment réfléchir à ce que représente la figure de Rocco, peut-être aurait-il fallu commencer par là. Ou tout du moins par éviter de céder aux sirènes du biopic propre sur lui et complaisant.

Supersex est disponible en intégralité sur Netflix depuis le 6 mars 2024

 

Supersex : Affiche

Résumé

Un biopic tout ce qu'il y a plus conventionnel sur Rocco, qui en plus se vautre dans les artifices qu'il prétend déconstruire.

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commentaires
The insider38
08/03/2024 à 16:16

@ kool and The gang : allez l’abbé Pierreva te coucher , c’est pour les grand

Kool And The Bang
07/03/2024 à 14:09

Cool - en plein Metoo France, Netflix rend glamour la culture du viol et la violence dans le porno (Cette plateforme c'est vraiment le Monsanto de la culture numérique.
#UsineACrotte
Ps. A lire le très bon rapport du Sénat, qui met en évidence que 90 % des scènes comportent de la violence, et que les actrices agissent sous la contrainte (physique)

Mathieu Jaborska - Rédaction
06/03/2024 à 19:35

@Kyle Reese

Tu parles peut-être du très sympa Mope

Kyle Reese
06/03/2024 à 16:43

@Nico1

Je plussois, Pleasure est une claque. Boogie Nights est très cool. Il y a aussi un autre tout petit film sur l'envers du décor de production porno trash US dont j'ai oublié le titre qui est vraiment très bien et assez dur avec un perso qui pête un cable.

Lord Sainclair
06/03/2024 à 14:45

Effectivement "Netflixien" devient un adjectif qui désigne un produit médiocre qui ne prends aucun parti pris ni aucun risque. Tout n'est donc que spectacle et divertissement, du film avec The Rock au documentaire sur un secte, en passant par une série sur une porno star aux multiples facettes.

Brad Majors
06/03/2024 à 14:11

Il y la scène où il agresse Cécile de Ménibus sous les encouragements de Cauet ?

J. Poncherello
06/03/2024 à 14:05

Il faut le voir en IMAX.

Eomerkor
06/03/2024 à 12:20

Boogie Nights est surement quelque chose de plus intéressant.
Et puis il y a une version longue. A la fin...

Nico1
06/03/2024 à 11:30

Mieux vaut se replonger dans Pleasure, un film pour le coup vraiment réussi sur l'univers du porno

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