Fargo saison 5 : critique d'une vengeance contre l'Amérique sur Canal+

Alexandre Janowiak | 25 janvier 2024
Alexandre Janowiak | 25 janvier 2024

Alors qu'il s'active sur sa série Alien depuis fin 2020, le showrunner Noah Hawley a réussi à écrire entre temps une cinquième saison de son anthologie FargoSi les deux saisons précédentes étaient un cran en dessous des deux premières, la série revient avec une histoire de vengeance burlesque en pleine ère-Trump et sur fond d'émancipation féminine. Avec en plus Juno Temple, Jon Hamm, Jennifer Jason Leigh ou encore Lamorne Morris (New Girl) au casting, c'est un retour en force.

retour aux sources

La série de Noah Hawley avait déçu une bonne partie du public avec ses saisons 3 et 4. Non pas que ces deux itérations de l'anthologie étaient manquées, au contraire. La saison 3 offrait son lot d'instants magiques, notamment à travers une mélancolie très poétique et quelques clins d'oeil amusants et la saison 4 plongeait plus encore dans une auscultation de l'Amérique pour un résultat moins drôle et plus tragique. Cependant, en déviant un peu trop de la trajectoire de la série originelle (la saison 4) ou en suivant d'un peu trop près les codes établis (la saison 3), les deux saisons loin des sommets de leurs ainées.

Après une pause de plus de trois ans, cette cinquième saison de Fargo devait donc relancer la machine pour ne pas mettre en danger l'existence même de la série. Pour les plus inquiets, il n'aura pas fallu attendre longtemps pour se rassurer puisqu'un seul épisode suffit à remettre Fargo sur les rails. Le pilote de cette saison 5 est en effet une vraie merveille. De celle qui éclabousse les spectateurs de sa richesse narrative tout en prenant un malin plaisir à tordre les attentes.

 

Fargo : Photo Juno Temple, Sienna KingTémoin de la violence masculine, même là où elle ne s'y attend pas

 

C'est ce qui a caractérisé Fargo depuis le film des frères Coen, cette capacité à jongler entre les genres pour mieux surprendre les spectateurs et dynamiter son récit. Alors que l'épisode débute sur une réunion scolaire chaotique, menant Dorothy Lyon (superbe Juno Temple) au commissariat pour avoir tasé un policier, il va constamment jouer avec nos émotions pour se remodeler efficacement. Avec autant d'éléments humoristiques que de suspense, des crimes mortels et du pur drame familial, ce pilote est d'une grande ingéniosité.

Qu'il s'agisse d'un cache-cache lors d'un kidnapping virulent, d'une fusillade violente en bord de route ou de la mise en place méthodique d'une série de pièges dans une station-service, Fargo parvient à retrouver sa sève légendaire : ce mélange jubilatoire d'humour absurde et d'angoisse réelle. L'écriture ciselée de Noah Hawley nous donne alors très vite envie de nous attacher à son héroïne et à la myriade de personnages qu'elle va rencontrer (dont l'émouvant Witt, incarné par Lamorne Morris). Et lorsqu'avec un cliffhanger, Noah Hawley agrémente un peu plus le mystère entourant le passé de Dorothy, c'est une histoire foisonnante qui s'agence sous nos yeux.

 

Fargo : Photo Jon HammJon Hamm, personnification des dérives trumpiste

 

MAD MEN, STRONG WOMEN

On ne peut évidemment pas reprocher à l'une des saisons de Fargo d'avoir manqué de matière. À ce sujet, elle s'est même plutôt enrichi, la saison 4 s'attaquant plus frontalement aux démons de l'Amérique que les précédentes. Cela dit, cette saison 5 parvient à faire mieux tout en revenant aux basiques de la série. Il y a donc à la fois ce ton caractéristique, cet humour noir toujours aussi espiègle, une dose de fantastique très intrigante et surtout une résonnance au niveau politique – Roy Tillman, shérif trumpiste de l'effrayant Jon Hamm –, religieux (la poussée crescendo de l'intégrisme) et social plus percutante que jamais, les événements se déroulant en 2019 (soit la période la plus récente pour une saison de Fargo).

Ainsi, même si elle n'a rien d'original au vu des nombreuses oeuvres prenant à bras le corps le sujet depuis MeToo (Pauvres créatures, Barbie, Anatomie d'une chute), cette saison 5 place les femmes au centre de ses épisodes. Le moyen judicieux de s'attarder habilement sur les questions de charge mentale (Indira inarné par Richa Moorjani) dans le quotidien des femmes et aussi de violences conjugales, au coeur d'une histoire de vengeance et de résilience. Soit observer comment une galerie de femmes, épouse, mère, grand-mère, fille... vont tenter de s'émanciper ou de conserver ce qu'elles ont construit et ce pour quoi elles se sont battues (professionnellement ou personnellement).

 

Fargo : Photo Richa Moorjani, Sienna King, Juno TempleUn trio magnifique

 

Au coeur des États-Unis ère-Trump, où les droits des femmes ont été largement bafoué voire réduits (le droit à l'avortement), le message est clair et limpide. C'est d'autant plus poétique dans l'épisode 7 avec sa magnifique séquence de marionnettes peu subtile, mais très touchante. S'il s'agit d'un simple cauchemar de l'héroïne de Juno Temple, c'est in fine un miroir de sa réalité, de ce passé qu'elle a fui, qui semble la rattraper inexorablement et contre lequel elle va lutter pour survivre (et ne plus avoir à lui échapper). Pendant des années, subissant ses coups et sa misogynie, elle fut le pantin du shérif Tillman et fait désormais tout pour tirer les ficelles qui l'opprimaient afin de reprendre le dessus.

Fargo s'est toujours attelé à croiser plusieurs destins individuels dans un concours de circonstances burlesque. Ici, l'ensemble est évidemment guidé par la même logique, mais en resserrant quelque peu son récit pour s'appuyer essentiellement sur ce parcours traumatique, la saison 5 se révèle plus puissante encore. C'est sûrement la première fois que Noah Hawley parvient à nous toucher autant avec son personnage principal, porté par Juno Temple, dont la fragilité apparente cache une guerrière prête à en découdre.

 

Fargo : Photo Juno TempleMaman, j'ai raté l'avion version casser du mascu

 

L'actrice vole absolument toutes les scènes (même face à Jon Hamm ou Jennifer Jason Leigh) livrant une prestation inoubliable, à la fois drôle,  entraînante, robuste et bouleversante. Tout un symbole pour Fargo, plus que jamais capable de conter la dureté de l'Amérique, l'inévitable combat quotidien des femmes contre le patriarcat, tout en gardant un espoir : celui du pardon, de la rédemption (le personnage de Joe Keery, faux méchant suivant bêtement un système dont il devient victime inconsciemment) et de l'amour. Puisse-t-on lui donner raison un jour...

Deux nouveaux épisodes de la saison 5 de Fargo chaque jeudi soir sur Canal+ depuis le 18 janvier en France.

 

Saison 5 : Affiche officielle

Résumé

Magnifiquement écrite, la saison 5 de Fargo retrouve son ton caractéristique tout en parvenant à se renouveler, gagner en inventivité et en pertinence.

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commentaires
dédé de nimes
08/04/2024 à 08:51

superbe évocation d'une amérique moyen-ageuse confite en religion, violente et hors-la-loi même pour ceux qui font métier de la défenndre et protéger.

AYA
28/02/2024 à 21:09

Une saison réussie,bien filmée, mais bien loin du niveau de FARGO 1 et 2.

Claude
21/02/2024 à 00:23

Magnifique saison 5, un vrai plaisir

Nikko95
30/01/2024 à 18:42

Merci pour ce très bel article.
Si je devais choisir une saison ce serait celle ci. Je suis resté scotché par la qualité de chaque episode. Tout en gardant l'humour et le decalage des freres cohen, le fond est la avec des sujets forts et passionnants. Et cette realisation bluffante. Mention speciale pour la BO...sans oublier une direction d'acteur sans faille.
Du grand spectacle !

Zark
30/01/2024 à 18:26

Chris11 a visiblement du mal avec la définition de l'absurde.

Tout ce que tu décris...C'est l'essence même de cette série. C'est voulu, donc arrête de tout prendre au 1er degré car c'est pas l'objectif voulu par les réal'.

Certains ont vraiment besoin de prendre un peu de hauteur par rapport aux contenus qu'ils regardent, c'est effrayant...

Ouida
28/01/2024 à 08:42

Si on recherche une approche réaliste (et encore), faut regarder Jack Reacher et non Fargo…

Chris11
27/01/2024 à 18:48

Je viens de finir l'épisode 1...
Je veux bien comprendre que du stress, la peur de la mort etc etc puisse faire faire n'importe quoi, mais sérieux...
SPOILER
Tu te fais attaquer par deux hommes, tu réagis avec des armes de fortune, plutôt efficacement, et quand tu peux prendre le dessus parce qu'ils sont à terre ou perturbés, tu... fuis et tu lâches tes armes?
Une femme sort d'une voiture les mains attachées dans le dos et tu la fixes en train de courir s'enfuir pendant plusieurs secondes, sans regarder ladite voiture d'où elle s'enfuit?
2 mecs viennent de te tirer dessus, tu cours jusqu'à un magasin, tu sais qu'ils te suivent et... tu restes devant ledit magasin à découvert?
Un mec armé rentre dans ta boutique, et tu t'attaques à lui avec une corne de brume?
Tu neutralises le mec, il est à terre insconcient, à ta merci, et tu le laisses sans surveillance sans même l'attacher ou le réassommer ou lui tirer une balle dans la jambe?
FIN SPOILER
Ce serait possible un jour d'avoir des films d'horreur ou des thrillers, où les personnages ne sont pas systématiquement à la limite de la débilité mentale? Ok le monde dérape, le QI moyen s'effondre partout, mais quand même...

Guéguette
27/01/2024 à 13:57

Toujours du mauvais tarantino cette série?

Serievore
27/01/2024 à 13:40

@Stefun. tu penses avoir ete pris pour un couillon, sauf que c est l inverse.

les reals t ont pris pour quelqu un d intelligent capable de comprendre que ce qui etait montre a l ecran etait peu credible en tant qu histoire vraie, et ils ont pense que les gens intelligents le comprendraient aisement.
sauf qu en realite, ils t ont pris pour quelqu un d intelligent, alors que tu ne l as pas ete assez pour le comprendre.

donc tu n as pas ete pris pour un couillon, TU AS ete un couillon, ce qui est legerement different.

la morale etant de garder un esprit critique et de ne pas croire aveuglement ce qu on te dit sans le verifier par deffierentes sources credibles.

Risto
27/01/2024 à 11:26

Ceux qui connaissaient les frères Coen savaient déjà qu’il faut prendre avec humour et non pour argent comptant la notion d’ “histoire vraie “ !
Excellent article très bien écrit merci!
Jetez vous sur toutes les saisons (indépendantes) de Fargo, sur le film si vous l’avez manqué, et sur toutes les œuvres des frères Coen (même si personnellement j’aime moins leurs pures comédies).

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