Un meurtre au bout du monde : critique du Millenium poétique de Disney+

Geoffrey Fouillet | 29 novembre 2023
Geoffrey Fouillet | 29 novembre 2023

Comme le dit le proverbe, "jamais deux sans trois", et pourtant, tout comme la série Mindhunter, The OA ne connaîtra jamais de saison 3 (et c’est un crime). Heureusement pour nous, ses créateurs, Brit Marling et Zal Batmanglij, sont de retour avec la mini-série Un meurtre au bout du monde, à voir sur Disney+. Avec un casting présidé par Emma CorrinHarris Dickinson et Clive Owen, voici un whodunit qui avance masqué à bien des égards, et naturellement, on ne s’en plaindra pas. Attention, légers spoilers !

LE HACK ÉTAIT PRESQUE PARFAIT

S’il y a bien un genre que la série a investi avec succès et qui cartonne auprès du grand public depuis plusieurs années, c’est bien le thriller criminel. Une offre si pléthorique et qualitative en la matière (True Detective, Fargo, Top of the Lake…) qu’il devient de plus en plus difficile de se distinguer. Et quand l’ombre tutélaire d’Agatha Christie s’invite dans l’équation, le défi à relever est d’autant plus périlleux. C’est justement le cas d’Un meurtre au bout du monde qui arrive heureusement à tirer son épingle du jeu.

 

Un meurtre au bout du monde : photo, Clive Owen, Brit MarlingIl y a un loup dans la bergerie, saurez-vous le reconnaître ?

 

Darby (la géniale Emma Corrin, repérée dans The Crown) est une jeune hackeuse obsédée à l’idée d’identifier les victimes de crimes non-résolus. Lorsqu’elle est invitée par le milliardaire Andy Ronson (Clive Owen) à séjourner au sein de son hôtel particulier en Islande, avec huit autres experts dans leur domaine, elle est d’abord flattée de rejoindre certains des esprits les plus brillants au nom du progrès et de la recherche. L’aventure dérape tristement hélas quand Bill (Harris Dickinson), l’un des invités, mais aussi l’ex-conjoint de Darby, est retrouvé mort au beau milieu de la nuit.

Les férus d’enquêtes comme nous penseront être en terrain conquis, mais ce serait réduire le genre à ses oripeaux habituels : un crime, des indices et des suspects, pour simplifier. Or, Marling et Batmanglij ne sont jamais les derniers à surprendre, et cette mini-série le démontre encore une fois dans son habileté à convoquer les nouvelles technologies au sein de l’intrigue. Au-delà de moderniser le décorum souvent associé à ce type d’histoire (exit le vieux manoir de l’époque victorienne et place au bunker high-tech), l’automatisation informatique des lieux implique de nouveaux enjeux.

 

Un meurtre au bout du monde : photo, Clive OwenElon Musk est un petit joueur à côté

 

On pense alors un peu au travail d’Alex Garland sur le sujet de l’intelligence artificielle, notamment dans Ex Machina ou la mini-série Devs. Le moindre bug ou dysfonctionnement électronique devient ici une source d’angoisse terrible, surtout lorsque l’assassin s’avère un as du piratage et transforme des équipements anodins en instruments de mort (un casque qui se verrouille sur la tête d’un personnage et menace de l’asphyxier). Pourtant, il y a Ray, l’hôte virtuel créé par Andy, censé protéger les invités et son créateur de tout danger.

De fait, Un meurtre au bout du monde nuance son propos et évite d’entretenir un quelconque discours technophobe. Si l’ère du tout-digital est à l’origine de nombreuses dérives, et la mini-série s’en empare avec beaucoup d’acuité, elle est aussi un vivier de farouches justiciers. L’héroïne, Darby (la version "light" de Lisbeth Salander), appartient à cette catégorie en employant ses talents de cyber-détective au service de la vérité. On est donc davantage du côté des "zoomers" que des "boomers", même si la zone grise reste de mise (malgré la blancheur des paysages islandais).

 

Un meurtre au bout du monde : photo, Clive Owen, Emma CorrinQuand vous hésitez à vous lancer sur une piste noire

 

INTELLIGENCE ALTERNATIVE

"Ce qui est cool à propos de l’Islande et du désert sur lequel elle repose, c’est qu’on a affaire à des espaces plats, sans arbres, où les vents viennent hurler à travers les plaines (…) C’est comme si le vent du présent ravive le passé et vice versa. Chaque timeline s’anime et se réanime constamment", expliquait Marling dans une interview pour le magazine The Glass, en évoquant la manière dont la géographie du récit conduit à une double temporalité des évènements.

D’un côté, on suit l’enquête au présent, à l’intérieur de ce bunker pris dans le blizzard, et de l’autre, on assiste à différents flashbacks, montés de façon chronologique le plus souvent, où l’on découvre comment Darby et Bill se sont rencontrés, unis et aimés plusieurs années auparavant. C’est dans l’entrelacement permanent de ces deux moments que la mini-série puise sa force poétique, alimentant le mystère d’un point de vue avant tout sensoriel.

 

Un meurtre au bout du monde : photo, Emma Corrin, Harris DickinsonLes héritiers 2.0 de Sherlock et Watson

 

Les transitions d’un espace-temps à l’autre sont non seulement un moyen de traduire l’état émotionnel de Darby, en proie aux regrets, mais également l’occasion de tisser une forme de lien invisible où passé et présent se répondent. L’énigme à résoudre est alors de nature plus spirituelle, existentielle, que purement criminelle, rationnelle. On pense par exemple à ce message écrit par Bill sur un miroir à l’attention de Darby : "Je trouve que c’est à la fois trop et pas assez " (on vous laisse tranquillement méditer là-dessus).

Cette double perspective a aussi et surtout pour effet de révéler les angles morts de l’intrigue, ces recoins secrets qui échappent à notre regard et donc à notre compréhension. Et ce n’est pas un hasard si la résolution de l’enquête au présent dépend en grande partie de ce qui se cache dans le hors champ d’une caméra de surveillance. Au-delà du choc du lever de rideau final, Un meurtre au bout du monde rappelle ainsi combien il est facile de passer à côté de l’essentiel et d’en subir ensuite les conséquences tragiques.

Un nouvel épisode de Un meurtre au bout du monde est disponible sur Disney+ chaque mardi depuis le 14 novembre 2023

 

Un meurtre au bout du monde : Affiche française

Résumé

Moins immédiatement atypique que The OA, Un meurtre au bout du monde n'a néanmoins rien perdu du pouvoir de fascination de son aînée. À la fois haletante et poétique, cette mini-série prouve définitivement que l'on peut faire du neuf avec du vieux.

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Lecteurs

(3.4)

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commentaires
steve
25/01/2024 à 20:17

Bon ben, vu la fin et après le très réac "Another Earth", cela me confirme que je ne suis pas fan de l'écriture de Brit Marling avec de gros coups de truelle à la place de la plume...
Que c'est décevant cette résolution avec un féminisme hors de propos ( SPOILER _non mais la génie hacker pauvre victime de la technologie et de son méchant homme et tout cela se solde par un enlèvement pur d'enfant_ bof bof )

MoiLeVrai
11/12/2023 à 08:00

100% d’accord avec @baliverno. Que c’est lent, il ne se passe rien, les dialogues sont d’un ridicule … moi qui espérait une enquête et/ou un whodunnit interessant, on en est très loin et la deception est immense

Draid
01/12/2023 à 16:22

...(tres bonne) critique...

Draid
01/12/2023 à 16:21

Tres bonne a laquelle j'adhere sans reserves. Serie atmospherique, obsedante et bigrement moderne. Et enfin, beneficiant d'un budget que l'on sent confortable et donc une tres belle mise en image.

baliverno
01/12/2023 à 09:46

Que c'est long, lent, et passablement prétentieux. Les personnages lâchent des sentences philosophiques, genre samouraïs des neiges. Ils ont réussi l'exploit qu'il ne se passe pas grand chose, mais qu'en même temps, on n'y comprend pas grand chose...

Altaïr Demantia
30/11/2023 à 22:25

Nan, c'est bien que The OA n'ait pas de saison 3. La série a été arrêtée au bon moment.

Le samouraï
30/11/2023 à 17:00

Pas du tout d’accord, en tant que fan de woodunit, j’étais déçu par les premiers épisodes entre flashbacks très longs qui ne font pas avancer l’intrigue principale genre 20 min de flashbacks pour découvrir que Bill est le père de Zoomer (au passage c’est quoi ce prénom nul ?), et puis j’ai l’impression de voir une série écrite par des vieux (exemple : Ray c’est une AI qu’un type dont j’ai oublié le nom parce qu’aucun des personnages n’ont de développement qui permet de creer du cinéma et d’écrire des livres fictifs en s’inspirant du style de certains auteurs, il aurait mieux fallut l’appeler Chat GPT ça aurait été plus simple). C’est long, trop long ( 1h15 pour le premier épisode) et les incohérences : Darcy qui sort dehors DANS LE FROID pour suivre le tueur, normalement c’est pas possible.

Bref, une série pas très convaincante selon moi.

Fenriss
29/11/2023 à 19:56

Je veux la saison 3 de The OA (oui, ce commentaire est inutile mais autant que la majorité des séries produites par Netflix à la place de The OA :p )

steve
29/11/2023 à 19:39

Comme quoi, il y a des bonnes choses sur Disney + niveau série (dernièrement bien aimé "Under the Banner of Heaven" et "The Clearing") et celle-là, je vais la commencer, je lirais la critique après ; )

Anna
29/11/2023 à 19:20

ça fait un moment qu'une série ne m'avait pas donnée envie mais celle-ci a l'air top, vous avez réussi à piquer ma curiosité merci

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