La Chute de la maison Usher : critique d'un Succession pour gothiques sur Netflix

Judith Beauvallet | 12 octobre 2023 - MAJ : 13/10/2023 14:07
Judith Beauvallet | 12 octobre 2023 - MAJ : 13/10/2023 14:07

Depuis 2018 et la diffusion de The Haunting of Hill House, le réalisateur Mike Flanagan revient presque tous les ans avec une nouvelle série d’épouvante sur Netflix pour faire trembler les audiences de canapé. The Haunting of Bly ManorSermons de minuit et The Midnight Club sont de qualité variable, mais n’en sont pas moins devenues des incontournables pour les fans de genre qui s’aventurent dans le catalogue du N rouge. La Chute de la maison Usher arrive pour refermer le livre de ces hommages à la littérature horrifique avant que Flanagan ne s’envole pour Amazon, et c’est un départ en demi-teinte pour un réalisateur qui peine à retrouver la magie de Hill House.

PRIS EN FLANAGAN DÉLIT

Après avoir adapté La Maison Hantée de Shirley Jackson avec Hill House et Le Tour d’Ecrou d’Henry James avec Bly Manor, il était logique que la saga des manoirs à fantômes entraîne Flanagan du côté d’Edgar Poe et de La Chute de la Maison Usher. Nouvelle fantastique du romantisme noir qui emprunte au roman gothique, le texte d’origine avait tout pour que le réalisateur puisse y projeter ses tics de réalisation : longs dialogues entre deux personnages assis l’un face à l’autre, une baraque mystérieuse dont chaque couloir est susceptible de voir passer la blanche silhouette de Madeline Usher, un final tragique en grande pompe...

Et effectivement, Flanagan n’hésite pas à réemployer les formules caractéristiques de ses séries précédentes. Sans pour autant faire fuir les plus impatients, car les séquences statiques et verbeuses sont plus limitées que dans Sermons de Minuit ou Bly Manor, même si elles sont encore présentes. Autre petit changement : le cadre d’une grande maison hantée s’efface pour laisser place à un univers de bureaux et de penthouses modernes dans lesquels évoluent des personnages ultra-riches et déconnectés de la réalité.

 

La Chute de la maison Usher : photo, Kate SiegelKate Siegel, encore et toujours muse de Flanagan

 

Flanagan cherche cette fois-ci à parler plus de l’horreur du capitalisme que de religion ou de fantômes, en posant sur les dérives de l'économie moderne le regard désespéré et intemporel qui caractérise les textes de Poe. En résulte une direction artistique joliment bâtarde entre le blanc laqué du modernisme et les motifs baroques d’un sous-texte gothique. Un travail qui se reflète dans les looks improbables et recherchés de sa galerie de personnages (parmi lesquels on retrouve, bien sûr, de nombreux acteurs des séries précédentes, comme Carla Gugino, Kate Siegel ou Henry Thomas).

Comme d’habitude, le réalisateur justifie très bien le format sériel de sa narration, en consacrant chaque épisode à la mort d'un descendant de la famille Usher (la plus réussie étant sans doute celle, assez spectaculaire, du second épisode), faisant du récit un grand compte à rebours de la fameuse “chute” annoncée dans l’introduction. Un choix narratif aussi ludique qu’efficace, et qui permet de réinjecter du suspens dans une histoire dont on connaît l’issue dès le départ. Pourtant, malgré ses bonnes idées scénaristiques et visuelles, La Chute de la Maison Usher passe à côté de son potentiel, et ce pour plusieurs raisons.

 

La Chute de la maison Usher : photo, Mary McDonnellUne Madeline Usher et sa perruque impitoyable

 

CHUTEr à côté de la plaque

La Chute de la Maison Usher est sans conteste l’une des nouvelles les plus marquantes, effrayantes, intelligentes de l’œuvre de Poe. Pourtant, malgré de nombreuses adaptations, peu d’entre elles osent aller au cœur du récit original et utiliser ce qui en fait toute la profondeur. En effet, même s’il n’est jamais explicité par les mots, tout le sous-texte de la nouvelle parle d’un inceste (si ce n’est d’un viol) survenu entre Roderick Usher et sa sœur Madeline, dans l’espoir de se reproduire et de préserver le sang noble de leur lignée en voie d’extinction.

De cet acte résulte la maladie mystérieuse de Madeline, la culpabilité dévorante de Roderick et, pour finir, la fameuse chute de la maison et de la famille Usher (“maison” et “famille” étant plus ou moins synonymes dans cette histoire d’héritage étouffant). Mais comme Jean Epstein en 1928 et beaucoup d’autres par la suite (à part Del Toro avec Crimson Peak, autre adaptation libre de ma nouvelle), Flanagan élude totalement cette question, allégeant et lissant cruellement la nature des enjeux de l’histoire.

 

La Chute de la maison Usher : photoSermons de Minuit mais avec une cheminée

 

À la place, le réalisateur va combler son récit à grand renfort de références à toute l’œuvre de Poe, faisant de chaque épisode l’adaptation (là aussi très libre) d’une nouvelle différente. Parfois sans aucune logique, le moindre personnage porte le nom d’un personnage de Poe, juste pour le plaisir de multiplier les clins d’œil (on pense notamment à l’avocat interprété par Mark Hamill et appelé Arthur Gordon Pym, sans qu’il ressemble de près ou de loin au héros du roman qui porte ce nom).

Chaque référence est martelée comme les arguments de la fiche de lecture d’un élève qui veut prouver qu’il a bien lu le bouquin. Un artifice qui dissimule mal le fait que Flanagan passe à côté des thèmes les plus profonds du matériau d’origine. Eh oui : mettre un corbeau à chaque coin de rue, ça ne suffit pas à rendre justice à l'auteur. Lorsqu’arrive enfin le grand final tant attendu, sa construction a tant été diluée dans un récit gangréné par les appels du pied qu’il en devient insignifiant, presque un peu ridicule.

 

La Chute de la maison Usher : photo, Samantha SloyanLa chambre de la mort verte

 

The haunting of netflix

Pourtant, un auteur a bien le droit de s’éloigner tant qu’il le souhaite de sa source d’inspiration, et pourquoi pas même de la saccager, s’il le juge opportun. Ce qui compte, c’est la qualité à part entière de l’œuvre finale. Mais c’est justement bien dans ses qualités intrinsèques que se situe le vrai gâchis de La Chute de la Maison Usher. Et il ne s’agit certainement pas de dire que la série est franchement mauvaise, car ce n’est pas le cas, mais elle souffre de la comparaison avec les compositions les plus réussies de Flanagan.

Pour une fois, ce que rate le réalisateur, c’est ce qui sauvait même ses séries plus faibles : une capacité à émouvoir profondément (et à terrifier en même temps si possible). Ici, les personnages étant tous particulièrement froids et détestables, l’implication émotionnelle du spectateur dans leur destin est très limitée. S’il est parfois jouissif de les voir se faire dégommer un à un avec beaucoup d’inventivité, le rythme est trop lent pour le seul plaisir simpliste de voir augmenter un bodycount.

 

La Chute de la maison Usher : photoRepas de famille et veillée mortuaire à la fois

 

Toutes ces morts manquent terriblement de substance et d’émotion, réduisant la série à un objet plus esthétique que profond. Mais si la direction artistique mentionnée plus tôt est intéressante, l’ensemble souffre de CGI très moyens, comme la séquence de la pluie de cadavres sur la ville : si l'idée est très belle, elle est trahie par la laideur de ses images de synthèse.

Globalement, un formatage Netflix lisse et un peu vulgaire semble avoir grignoté la Flanagan touch, et on regrettera aussi l’écriture trop épaisse du personnage de Carla Gugino qui aurait pu être fascinant (apprécions la séquence où, aux yeux d’un public français, elle livre une performance qui rappelle surtout le personnage d’Adèle Exarchopoulos dans La Flamme et Le Flambeau). Il serait faux de prétendre que la série est un ratage total, car les fans sauront y trouver du plaisir et quelques réussites. En revanche, il faut reconnaître qu’elle n’est pas à la hauteur de ce que pouvait laisser espérer une relecture de Poe par Flanagan.

La Chute de la Maison Usher est disponible sur Netflix depuis le 12 octobre 2023

 

La Chute de la maison Usher : Affiche officielle

Résumé

Au regard du CV de Mike Flanagan, ses fans étaient en droit d'en attendre beaucoup plus de son adaptation du chef-d'oeuvre d'Edgar Poe. Si les manies de mise en scène du réalisateur sont toujours là, l'émotion de ses séries précédentes a disparu pour laisser la place à un produit plus formaté à la Netflix, aux effets numériques hasardeux et à l'écriture plus grossière. Pas de quoi empêcher d'y prendre du plaisir, mais largement de quoi regretter un coup de génie manqué.

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commentaires
Ozymandias
05/02/2024 à 05:28

Perso j'ai adoré, j'étais hypnotisé tout du long !

Kyle Reese
06/11/2023 à 17:46

Bien aimé cette nouvelle série.
Les défauts évoqués ne m’ont nullement gêné. Après je ne suis pas sûr d’avoir bcq lu de Poe dans ma jeunesse et ne me souvient pas de ses nouvelles. J’ai trouvé la série très classe avec une bonne ambiance et la Flanagan Touch est bien là. Très belles interprétations des acteurs réguliers ou pas du réal. Flanagan est un excellent conteur et c’est ce qui importe pour moi même si en effet cette série ne fait pas vraiment peur.

woody
20/10/2023 à 07:28

La série est beaucoup mieux écrite que Hill house.
N en déplaise aux pisse froid peuplant ce post

nootnootfrommoon
18/10/2023 à 19:10

c'est franchement le degré Zéro de l'horreur et de l'épouvante (jumpscare à en gerber),
sérieusement on est au niveau de la peur façon "fais-moi peur" ou "chair de poule" avec plus de thune
et un étalonneur en roue libre, certains choix de casting c'est vraiment dur d'y croire
hormis l'enquêteur, Le père Usher et la femme qu'il a abandonné, il n'y a pas grand monde à sauver...
Et je n'ai jamais lu du Poe ou tous les personnages sont perpétuellement détestables au point que pendant la lecture, je me dise " je suis bien content que ce personnage meure"... On reviendra pour l'aspect poétique et tragique de certaines nouvelle qui fais la sève de son œuvre.

ZakmacK
17/10/2023 à 09:32

Quelle déception pour l'instant ! Le problème aussi de la série c'est qu'il a oublié le fantastique et l'horreur au profit de dialogues interminables. C'est dommage, parce qu'effectivement, quand ça bascule un peu (la fin de l'épisode 2, effectivement) c'est toujours hyper bien fait. Je ne suis même pas sûr d'aller au bout de la série alors que je l'attendais tellement !

Cilla
16/10/2023 à 12:51

Merci pour cette critique! De mon côté j'avoue avoir trouvé la série vraiment nulle, sans rien pour la sauver autre que certains acteurs. J'ai trouvé le rythme tellement moi! Mention spéciale aux dialogues entre Dupin et Usher... Tellement ennuyeux !!
J'ai eu l'impression que Flanagan avait tout simplement pris le titre de la célèbre et fascinante nouvelle de Poe pour aller le coller sur sa série pas très inspirée, elle. C'est rageant!... Mais pas surprenant à mon sens puisque j'ai trouvé Bly Mannor et Midnight Mass très poussifs.

le complot des ewoks
15/10/2023 à 15:08

Alors j'ai malheureusement aussi pensé à une série estampillée Murphy dans ses personnages trop caricaturaux pour être intéressants... (tout comme le formatage balisé de chaque épisode).
Dommage car on voit qu'il y avait de quoi faire une bonne série...

... après toujours content de voir ici nos amis incels et leur orthographe ado (cotat :D) !

Maski maskk
13/10/2023 à 15:19

je reconnais Flanagan dans la réalisation de certains plans mais pour le moment niveau scénario c'est pas fou, mais divertissant par moment peut être que en ayant fini la série j'aurai un avis différent mais pour l'instant c'est chaud...

Maski maskk
13/10/2023 à 15:18

Je n'ai pas fini la série mais j'ai l'impression de regarder une série créé et réalisé par Ryan Murphy, je déteste utiliser se terme "cotat" mais on est a fond la dedans j'ai rien contre mais la façon dont c'est amené rend la chose nauséabonde par moment, on vire dans le malsain,

R
13/10/2023 à 15:06

Arf

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