Canis Familiaris : critique à ne pas regarder en chien de faïence sur Arte

Ange Beuque | 28 mars 2023
Ange Beuque | 28 mars 2023

Quand leur leader traverse une petite crise de la septaine, le monde bien ordonné des autres chiens du lotissement vacille : tel est le point de départ délicieusement loufoque de la série Canis Familiaris sur Arte.tv, en compétition à Séries Mania 2023 dans la catégorie "Formats courts". Elle rassemble sous la caméra de Joris Goulenok une meute de pauvres hères costumés constituée de Tom Dingler (Plan coeur), l'éternelle second rôle Guilaine LondezBruno SanchesVincent DeniardAlice Moitié et Alexandre Steiger.

L'exquise étrangeté

Un labrador qui se rêve loup, une dalmatienne réticente à s'accoupler, un terre-neuve souffrant d'anosmie, un caniche revanchard... avec son pitch loufoque de meute confrontée à une crise de gouvernance en raison de l'introspection de leur mâle alpha, Canis Familiaris est un objet sériel difficile à appréhender. À plus forte raison quand chacun des chiens est interprété par un humain déguisé.

Après avoir ausculté la passion au temps des smartphones avec Amours solitaires, Joris Goulenok use de plans fixes pour saisir à point l'exquise étrangeté de son postulat surréaliste. Affectant une distanciation rigolarde, il se plaît à capturer l'ensemble de ses acteurs engoncés dans leurs costumes pour en exhausser la tendre absurdité.

 

Canis Familiaris : Tom Dingler, Guilaine Londez, Vincent DeniardCanis canem edit

 

Par contraste, ceux-ci opposent leur placidité inébranlable et leur interprétation on ne peut plus sérieuse. Qu'importe qu'une mélodie guillerette accompagne leurs dramas existentiels ou qu'un intermède animé brouille la perception de leur substantialité : en limitant le casting à ses six interprètes, le réalisateur recrée l'osmose d'une troupe de théâtre burlesque, au point qu'on en vient à se demander si la caméra n'a pas capté par mégarde la répétition costumée d'une compagnie férue de happening régressif.

Si sa société d'animaux anthropomorphisés aux préoccupations plutôt graves n'est pas sans rappeler Bojack Horseman, Canis Familiaris évoque également la singularité flottante et la douce dinguerie d'un Wes Anderson, dont L'île aux chiens pourrait faire office de cousin éloigné. Alexandre Steiger, qui incarne le poltron comploteur Rocky, a d'ailleurs fait une apparition dans The French Dispatch.

 

Canis Familiaris : Tom DinglerLe chien est aux abois, la caravane passe

 

Le chien est un homme pour le chien

Si le procédé est plus répandu en animation, de Bernard et Bianca à Zootopie, mettre en scène une société d'animaux aux us et coutumes anthropomorphes constitue un filon déjà mainte fois exploité. Qu'on ne s'y trompe pas : la plupart du temps, c'est bien de l'humain et de ses travers dont il est réellement question. D'ailleurs, si notre espèce fait bel et bien partie de l'univers de Canis Familiaris, la présence des maîtres est réduite à la portion congrue pour laisser le champ libre à ses occupants canins.

Les problématiques soulevées sont, de fait, éminemment humaines, qu'elles soient collectives ou individuelles : la liberté, le vivre ensemble, la démocratie, la hiérarchie sociale, le survivalisme, les choix de vie... Le vertige existentiel du leader Max entraîne un repositionnement de chacun de ses acolytes, entre ceux qui espèrent tirer leur épingle du jeu, ceux que le libre arbitre terrifie, ceux qui paniquent à l'idée que l'ordre ne soit plus vraiment établi et ceux qui ne voient pas plus loin que le bout de leur truffe.

 

Canis Familiaris : Meute de chiensL'expérience de Milgram

 

La voie de la satire animalière permet d'aborder certains thèmes rebattus sous un angle décalé. Chiens obligent, le harcèlement sexuel est ainsi normalisé, puisque la seule technique d'approche du nouveau mâle alpha consiste à exiger de la femelle convoitée qu'elle "se prépare à faire des chiots ensemble".

Par sa galerie de personnages parfaitement caractérisés et interprétés (le souffre-douleur, le second servile, le grand benêt influençable...), la série nous tend évidemment un miroir grimaçant. Le meilleur ami de l'homme constitue, pour ce faire, un excellent intermédiaire, en raison de leurs rapports si privilégiés que les deux espèces s'influencent mutuellement.

 

Canis Familiaris : Alice Moitié, Guilaine LondezS'entendre comme chien et chien

 

Le comique de rouspétation

Armée d'un tel pitch, la série n'a nullement l'intention de virer à la sinistrose dénonciatrice : sa tonalité reste résolument drôle, par l'absurdité intrinsèque de son postulat et le burlesque visuel qui en découle. Canis Familiaris plaque fidèlement nos comportements et nos emportements dans ce contexte inattendu pour mettre en évidence leur vanité, et nous invite à nous moquer de ces attitudes qui nous sembleront si familières. On ne rit jamais des comédiens, toujours avec eux.

Le quotidien ubuesque de la meute, constitué de désœuvrement et de jeux dérisoires, ou les atermoiements piteux d'un leader en mal d'autorité, scandent cette farce grinçante. La guerre du golf du lotissement n'aura pas lieu : même lorsque les enjeux s'élèvent, une rupture de ton inopinée peut transformer une lutte à mort en reddition infantilisante.

 

Canis Familiaris : Bruno SanchesGreen watching

 

La série exerce également un humour langagier pince-sans-rire, à base de pinaillage syntaxique, de querelles stériles et de duels rhétoriques. Par leur tempo impeccable et leur déploiement dans un contexte burlesque, ces saillies drolatiques mâtinées de mauvaise foi ("c'est du chien ancien....") ne dépareraient pas dans Kaamelott.

Et puisqu'il paraît que les plus courtes sont les meilleures, Canis Familiaris est structuré en six pastilles d'une dizaine de minutes seulement. Ce format resserré joue indéniablement en sa faveur, comme une blague qui a l'intelligence de ne pas s'étendre plus que de raison. Pour tout dire, on sort même de cette grosse heure en compagnie de la meute avec un goût de trop peu !

Canis Familiaris est disponible sur Arte.tv à partir du 28 mars 2023

 

 

Résumé

Portée par des acteurs au poil, Canis Familiaris tire de son postulat loufoque une satire hilarante et délicieusement décalée.

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