En Place : critique tout simplement naze sur Netflix

Lino Cassinat | 20 janvier 2023
Lino Cassinat | 20 janvier 2023

Déjà tenté par le costume présidentiel sur l'affiche de son film Tout Simplement Noir, le réalisateur-scénariste-acteur Jean-Pascal Zadi enchaîne avec une déclaration de candidature en bonne et due forme dans sa série En Place pour Netflix. Malheureusement, même entouré de poids lourds comme Benoît Poelvoorde, Marina Foïs ou Eric Judor, cette tentative de satire se prend vite les pieds dans le tapis et vire à la parodie convenue et dépolitisante.

MONSIEUR BLÉ à L'ÉLYSÉE

"T'es trop con pour être malhonnête", lance un agriculteur suicidaire à Stéphane Blé. Notre héros est effectivement sympathique, mais un peu beta, voire enclin à la grosse gaffe gestuelle ou orale gênante. Un peu comme si la maladresse de Joe Biden avait rencontré l'humour à contretemps qui faisait le sel de Tout Simplement Noir et le bon fond de James Stewart dans l'ultra classique Monsieur Smith au Sénat (qui n'a d'ailleurs pas pris une ride et qu'on ne peut que vous recommander). On pourrait d'ailleurs s'arrêter à dire qu'En Place serait une version 2022 du film de Frank Capra, à ceci près qu'En Place est ratée dans les grandes largeurs.

Les prémices sont en tout cas similaires. Un Candide se retrouve malgré lui catapulté dans l'arène par un Machiavel manipulateur qui entend tirer parti de la popularité d'un naïf. Sauf que là où Capra exposait les rouages profonds du théâtre politique et la vertu de l'innocence avec la simplicité qui le caractérise, Jean-Pascal Zadi tourne tout cela à la vaste blague. Et la fable cruelle, mais optimiste de se transformer en vaudeville bas du front dont l'humour caca-coucouille embarrasserait un coussin péteur pour hippopotame. En s'attardant plus sur des testicules qui explosent ou sur des types qui éjaculent en hurlant au ralenti, En Place fait la triste démonstration que la satire politique ne l'intéresse pas tant que cela.

 

En Place : photo, Jean-Pascal Zadi, Eric JudorVotez Blé

 

D'ailleurs, cela intéresse si peu le récit qu'une fois la saison 1 terminée, on ne sait toujours pas quelle est la pensée de la série. Stéphane Blé n'a qu'une mesure identifiée et se balade nonchalamment en disant qu'il s'en fout du nucléaire et qu'il est de gauche, "je crois". Là où Monsieur Smith était conduit par un idéal fiévreux, Monsieur Blé est un mou sans engagement, qui ne défend rien si ce n'est sa victoire et fait en outre campagne sans programme, avec l'ignorance du second comme étendard plutôt que l'innocence du premier. Bravo l'Idiocracy.

En résulte qu'En Place n'est composé que de concepts mobilisateurs soporifiques, illustrés par des motifs visuels qui n'ont d'autre utilité que de faire joli ou de caricaturer des images d'Épinal pour le simple plaisir de reproduire La Liberté guidant le peuple. C'est réaliste quelque part, on connaît même quelqu'un qui a tout récemment gagné la présidentielle deux fois de suite avec cette méthode.

 

En Place : photo Super, mais ça ne raconte rien en fait

 

Mais, en plus de ne pas être héroïque, ce n'est jamais mis en perspective, la série préférant discuter de la taille du sexe des noirs. "Ne deviens pas un homme politique", exhorte l'entourage de Stéphane Blé : comme s'il s'agissait d'une vertu de ne pas s'engager. Croyant éclabousser les politiciens, c'est la politique elle-même qui se retrouve traînée dans la boue, au lieu d'en être sortie.

Mais sans pensées pour le nourrir, le propos affiche rapidement son rachitisme. Et surtout, il devient à peu près aussi subversif qu'un couplet d'Orelsan et aussi creuse et téléguidée qu'une candidature de Christiane Taubira. Comme par hasard, la seule vraie personnalité politique nommée par la série, et qui trouve symboliquement grâce à ses yeux puisque notre héros et sa femme veulent donner son nom à leur enfant, en hommage. Message reçu, et comme quoi, En Place n'est pas si apolitique qu'elle le croit. Ou plus hypocrite qu'elle ne le pense ?

 

En Place : photo, Jean-Pascal ZadiSi tu ne t'occupes pas de la politique, la politique s'occupera de toi

 

L'odeur de l'inconséquence

On pourrait nous dire de nous en foutre ou que, justement, dépolitiser ses personnages est le meilleur moyen d'arriver à la sacro-sainte neutralité et donc à l'équilibre des baffes distribuées. En vérité, nous n'avons pas la réponse, et la pertinence de l'effet politique d'En Place est au jugement de chacun.e. En revanche, ce qu'on peut dire, c'est que la pertinence humoristique et narrative du récit est de ce fait franchement faiblarde. Car à force de tirer sur tout le monde, En Place tire dans le vide, avant de se tirer dans la tête.

Sandrine Rousseau appréciera l'acharnement de la série sur son personnage, pourtant unique exemple d'intégrité, mais dont la seule faute morale connue est d'être trop parfaite et sermonneuse au milieu d'un ramassis de pourris ou de fachos, en plus d'aimer Tarkovski (qui prend une balle perdue au passage, la cinéphilie appréciera également). Caricature du fameux bobo-gauchiste, mais ne trouvant rien à lui redire sur le fond, le scénario n'a d'autre choix que d'attaquer le personnage de Marina Foïs non pas sur ses actions, mais sur sa personne. Ce faisant, elle devient le point de passage entre un humour plat et une complaisance profondément bête et satisfaite de l'être.

 

En Place : photo, Jean-Pascal Zadi, Eric JudorQui ça bête ?

 

Plutôt que de croquer un certain militantisme performatif par exemple, Corinne Douanier est coupable de connaître sept langues, s'occupe de réfugiés, et de parler en écriture inclusive, vous comprenez, c'est drôle. D'ailleurs, on entend Fdesouche baver d'ici. Tout comme le Zemmoroïde de service qui veut renvoyer "tous les noirs et les arabes dans un charter" est également drôle. Tout l'échec est dans ce "également" : juxtaposer et parodier à égalité ces deux positions politiques revient à établir une équivalence dans leur ridicule, leur absurdité, ou leur gravité perçue.

Mais En Place ignore les échelles, mélange tout, et fonce tête baissée dans le piège qui l'attendait. Victime de ses impensés (qu'elle a la flemme de creuser), En Place accomplit ce geste désastreux : mettre au même plan du rire la xénophobie et le quinoa, Sandrine Rousseau et Eric Zemmour, Corinne Lepage et Philippe Pétain. La confusion règne tant qu'on aura droit à la fois au policier qui n'est pas raciste parce que son beau-frère est noir (et ce n'est pas un gag), et dans le même temps au fameux "qu'est-ce qui vous dit que je suis un homme" (et c'est un gag, servi deux fois qui plus est).

 

En Place : photo, Marina Foïs'Je ne dirais pas que [Sandrine Rousseau] m’ait “inspiré”'. Mais bien sûr, voilà qui est lâche.

 

Et pas la peine d'essayer de lire entre les lignes une quelconque blessure narcissique d'un rédacteur supposément meurtri dans ses convictions politiques. On note juste qu'En Place passe tout le lamentable épisode 5 consacré au débat d'entre deux tours à dézinguer la seule candidate qui n'expose aucune trace de corruption ou de racisme, sur le terrain seul de son ethos. Et le propos politique justement ? Silence. Pendant ce temps, d'autres authentiques ordures sont plus épargnées (même si elles ne sont pas à ce second tour pour une raison très précise).

Sacrée contradiction pour une série cherchant à dénoncer le manque de probité de la classe politique et ses préjugés aristocratiques rances, le choix éternel entre "le corrompu ou le facho".

 

En Place : photoL'équipe de winners

 

VOTE TOUT SIMPLEMENT Nul

Tout cela est bien confus, et en l'absence d'idées claires, l'humour se trompe de cible et donc se vautre dans une facilité gentiment bouffie et lourdement fumiste, ne pouvant nécessairement pas faire mouche. Les fachos sont des gros cons de ruraux en bottes en caoutchouc. Les socialistes et les conservateurs sont des voleurs que rien ne nuance si ce n'est le degré de décomplexion de leur racisme. Et les éco-féministes radicales sont des misandres persuadées que les pénis brûlent les forêts en Amazonie. La parodie est paresseuse jusque dans ses outrances, à peine suffisamment délirantes pour amuser – merci à Benoît Poelvoorde et au bien trop rare Pierre-Emmanuel Barré de rattraper le coup.

En résulte encore une contradiction : les gags zizi-coincoin sont systématiquement plus drôles que le reste, en particulier grâce aux attitudes et aux mimiques de Jean-Pascal Zadi, qui ne peut décidément pas s'empêcher de faire sourire... malgré quelques blagues sur la gay panic aux relents pas toujours savoureux. La scène sur le goût du sperme et sa chute finale, ou l'humiliation de la virilité du protagoniste parce qu'il n'a pas violé une femme en soirée n'aurait à ce titre pas fait tache dans Épouse-moi mon pote ou Gangsterdam. Mais à tout seigneur, tout honneur : oui, En Place nous a fait rire, parfois, dans ses saillies d'humour les plus directes. En Place nous a même divertis, sans temps mort ni ennui.

 

En Place : photo, Panayotis Pascot, Benoît PoelvoordeHeureusement que ça joue bien

 

Mission accomplie alors ? Certainement pas. Benoît Poelvoorde qui frappe les gonades de Jean-Pascal Zadi, Pierre-Emmanuel Barré qui ne maîtrise pas la technique du crachat ou encore Eric Judor qui fait du Eric Judor : tous ces moments de vraie joie sont à la périphérie du sujet d'En Place, dont elle se moque, au propre comme au figuré. C'est un peu comme si on devait se satisfaire d'une pièce montée cuite dans l'urine d'un des chats de Marine Le Pen : le décorum est très joli, mais la substance dégoûte plus qu'autre chose, et laisse une impression de gâchis, non pas par manque d'humour, mais par manque de sérieux et trop plein de bouffonerie justement.

Or, si la politique n'est pas toujours sérieuse ou à prendre au sérieux, surtout dans une réalité chaque année un peu plus proche d'une Gorafisation complétée. Faire rire, le rire même, en revanche, est toujours sérieux, et ne peut survivre à une réflexion par-dessus la jambe. En Place voudrait de bon cœur se foutre, de la gauche, de la droite, des fachos, des noirs, des Arabes, des racistes, des LGBT, qui finissent mécaniquement dans le même panier, car tous coupables du même péché aux yeux de la série : tous égoïstes, tous pourris, vive l'abstentionnisme version j'en ai rien à foutre.

 

En Place : photo, Pierre-Emmanuel BarréRira bien qui rira le dernier, et ce pourrait être le dernier des êtes humains

 

Sauf qu'à force de s'en foutre du monde, mécaniquement encore, le spectateur lui aussi, finit par s'en foutre. D'ailleurs, c'est la morale des derniers instants de l'épisode final : après avoir écouté le discours vibrant de Stéphane Blé, qui les encourageait pourtant en toute bonne foi à voter tout court, quel que soit le candidat, "les Français ont élu un homme incompétent plutôt qu'une femme". Faire triompher le nihilisme apolitique en ricanant sur le cadavre des idéaux et en humiliant encore les femmes au passage, voilà qui n'est pas drôle.

En Place est disponible en intégralité sur Netflix en France depuis le 20 janvier 2023

 

En Place : photo

Résumé

On pardonne aux innocents de mauvaise grâce, mais En Place paye lourdement le prix de sa légèreté revendiquée, et son inconséquence tue l'humour dans l'oeuf. Laissez un gosse jouer avec une arme à feu et il pourrait flinguer sa mère ; laissez En Place jouer avec la politique, elle pourrait flinguer les idéaux, achever de tout dépolitiser et résigner encore un peu plus son public. Exactement ce dont personne n'a besoin.

Autre avis Alexandre Janowiak
En reposant sur un humour périmé et des situations d'une gênance absolue, En Place s'enfonce dans sa propre caricature en étant aussi vide que la politique qu'il espère pointer du doigt.
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Lecteurs

(2.4)

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commentaires
Cine fil
04/06/2023 à 23:27

Cette série m’a fait beaucoup rire, et même plutôt beaucoup de fous rires, ce n’était pas arrivé depuis bien longtemps.
Pour ma part je féliciterais le choix du casting, et OK, tout n’est pas parfait, mais vraiment ce qu’on attend de ce type de série. Et quand même, je trouve le scénario bien ficelé, bien trouvé. Et si, par malheur des idées politiques devaient en transpirer, je les trouve humaines et justes.
Je recommande !!!

DML
12/02/2023 à 10:17

Un exemple d’intégrité S. Rousseau ? Parlez en à Claire Monod qu’elle a éjecté de la candidature de députée dans le 13e alors que les militants EELV avait voter pour elle. Oubliez le concept de sororité et du respect du vote des militants. (https://www.bfmtv.com/amp/politique/elections/presidentielle/la-sororite-tu-t-en-souviens-sandrine-rousseau-critiquee-apres-son-parachutage-aux-legislatives_AN-202203230569.html)

Pouaimp
03/02/2023 à 08:13

Je ne suis pas certain que la personne qui a écrit cette critique ait choisi le bon job. Je vois ici très peu de commentaire cinématographique, et beaucoup de commentaire politique.

La série elle même est une production française typiquement médiocre; script faible qui arrive a sembler long malgré le format court, et jeu d'acteur très inégal où l'on a
clairement l'impression que certains récitent leur texte.
La série arrive néanmoins à nous tirer quelques rires et sourires quand sa comédie fonctionne.

L'aspect politique est bien présent, et représente la vision politique classique que l'on retrouve dans les médias, une forme de gauchisme un peu mou et "bienpensant", qui évite de prendre des risques.
Je suis d'ailleurs surpris par la critique ici, il est évident que la gauche écolo est épargnée avec de petites piques mignonettes de surface pour donner le change. Bref, aux vues des positions politiques affichées en filigranne par le critique ici, on l'aurait imaginé beaucoup plus entousiaste sur l'aspect politique. Il semble simplement que la série n'aille pas assez loin dans sa vassalisation à la gauche pour l'auteur de la critique.

Elser Eric
02/02/2023 à 15:52

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Leland
28/01/2023 à 19:33

Je viens de finir la série et je reste un peu étonné par la critique d'EL lue dans la foulée. Si la série n'est pas bien fameuse, se limitant souvent à effleurer du bout des doigts des sujets piquants au risque de ne pas pousser l'humour cinglant assez loin, je comprends moins le portrait que vous dressez de Douanier/Rousseau dans votre critique. Il me semble justement que du 1ère épisode au dernier, c'est elle qui en ressort avec les honneurs, moins le monde politique ou les électeurs comme le relève notamment la journaliste lors du dévoilement des résultats. C'est dommage que la critique revienne à plusieurs surprise sur ce point au risque d'en faire un contre-sens et de sembler étonné par un discours de fin nihiliste alors que c'est justement ce discours qui guide la série de bout en bout : "la politique c'est tellement n'importe quoi que n'importe qui peut aller au bout en cochant (à peu près toutes) les cases de ce qu'il ne faut pas faire pour être élu". bref, je pense qu'"En place" aurait surtout gagné en s'étalant sur plus de temps plutôt que de vouloir traiter autant de sujets différents au risque de passer à côté des aspects les plus caustiques qu'aurait mérité une telle satire.

coolyo
28/01/2023 à 00:39

c'est nul comme beaucoup de production française

MaxiCartman
27/01/2023 à 10:31

ils auraient du appeler ca avatar 3...
Ecran Large aurait adoré....

xxxx
25/01/2023 à 14:31

c est dingue, ecranlarge est le site le plus critique que j ai jamais vu! tout est nul pour vous...alors j aimerais bien savoir ce qui ne l est pas.

fredisdead
25/01/2023 à 10:37

Une chose semble vraiment voulue et atteinte dans cette série, c'est de faire croire qu'elle va taper sur tout le monde au final en n'égratignant personne.

Toutes les tendances politiques actuelles sont caricaturées mais sans jamais atteindre le niveau de fulgurances, d'agressivité ou de stupidité des personnes que la série tente vainement de singer.

Et là on sent le manque de travail. En effet je pense que chacun d'entre eux aurait mérité plus de contraste pour réussir à atteindre des traits à la fois plus fins et plus exagérés.

Là je n'ai eu que le sentiment d'avoir des versions "entrée de gamme" de ce que nous proposent la vie politique Française.

Et au milieu de tout cela, Zadi qui n'est concrètement pas identifiable comme un politicien (ce qu'il cherche effectivement à ne pas être... même si au final il se fait aussi happer par le système et son entourage), s'en démarque uniquement par des casseroles ou des répliques et attitudes bien trop binaire.

Un peu comme si les cursus "politique" étaient les seuls à amener à une réflexion pertinente (ça se saurait depuis).

Bref, il réussit néanmoins à ne pas être parodique de lui même, mais rate complètement à me faire vraiment rire tellement le niveau des gens qu'ils singent est déjà de haut niveau.

Alors au final, tout ceci n'est certes que du détail, puisque l'on est sur une série qui à le mérite de ne faire que 6x30 minutes et que cela suscitera au moins autant l'avis chez le Netflixaddict que le contenu en tant que tel.

Sanchez
24/01/2023 à 21:28

Le jeune Lino vote Sandrine Rousseau et on est ravi de l’apprendre

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