Inside Man : critique du Sherlock des Agneaux sur Netflix

Lino Cassinat | 7 novembre 2022 - MAJ : 07/11/2022 17:01
Lino Cassinat | 7 novembre 2022 - MAJ : 07/11/2022 17:01

S'il y a un showrunner qui représente la gloire de la télé anglaise, c'est bien Steven Moffat, devenu le scénariste prodigue de la BBC après avoir spectaculairement ressuscité Doctor Who (avec Russel T. Davies) et Sherlock Holmes coup sur coup dans les années 2000, révélant Martin Freeman et surtout Benedict Cumberbatch au passage. Mais depuis ces deux succès, le créateur semble en panne d'inspiration et a livré avec The Time Traveler's Wife et Dracula des oeuvres très tièdes. Une liste à laquelle il faut malheureusement ajouter sa nouvelle série Inside Man avec Stanley Tucci et David Tennant, disponible sur Netflix.

GIMMICK GIMMICK GIMMICK A MAN

Si Steven Moffat est un scénariste acclamé et populaire, il n'en demeure pas moins clivant par bien des aspects. Outre ses personnages féminins souvent critiqués, il est également de notoriété publique que Steven Moffat est ce qu'on pourrait appeler un auteur à formules. Steven Moffat aime jouer avec certains héritages poussiéreux pour les revisiter et les tordre afin de les fondre dans un moule pop-culture fait d'intertextualité, d'intrigues à double voire triple tiroirs et de dialogues comiques virant parfois à la stichomythie. Le problème d'une formule qui marche, c'est qu'elle a sa propre limite indépassable, et rien ne le prouve mieux qu'Inside Man.

Maintenant que l'on connaît tous les trucs et les tours de Steven Moffat, il est impossible de ne plus les voir, et donc d'autant plus difficile de les apprécier. Or, Inside Man est un point de rupture, le moment où la formule tourne au toc d'écriture pénible et où Steven Moffat tourne le plus explicitement à vide. La formule était éculée, elle est désormais fatiguée, et surtout fatigante. Comme conscient de ses derniers échecs, Steven Moffat semble tenter un retour vers le passé avec ce qui n'est ni plus ni moins qu'un Silence des Agneaux version Sherlock porté par une intrigue à la frères Coen période Ladykillers ou Brun After Reading si tirée par les cheveux qu'elle arrache le scalp.

 

Inside Man : photo, Dolly Wells, David Tennant"- Veux-tu entendre ma critique de l'ère MeToo et des vilains réseaux sociaux ? - Non"

 

MOFFATRAS

Disons-le, Inside Man est un véritable foutoir, un magma informe dont il ne ressort qu'une pseudo-réflexion sur les êtres humains et la violence maquillée de cynisme truculent so british pour faire oublier son caractère insipide et complaisant. Loin de l'ironie du sort tragique des évidents modèles Le Crime était presque parfait et Le Secret derrière la porte tournés en navrants sketchs grimaçants, Steven Moffat s'improvise petit curé moralisateur dont les considérations sur ses personnages en disent plus long sur leur auteur que sur le monde. C'est d'ailleurs non sans un certain refoulement gastrique que l'on voit Inside Man se servir des violences pédophiles et de son prétendu féminisme comme d'un bouclier humain.

Inside Man se rêve immoral et subversif, mais n'accomplit rien d'autre qu'un prêche sentencieux et lourdingue, qui donne l'impression d'assister à une leçon de catéchisme mâtinée de blagues pas drôles et de memes qui ne satisferont que les edgelords de reddit. Et la série aura beau souffler dans l'appeau à MeToo avec la grâce et la finesse d'un hippopotame pétomane pour se persuader qu'elle est dans le fameux air du temps après lequel tout le monde court désespérément, Inside Man n'en demeurera pas moins complètement à côté de la plaque pendant quatre longues heures.

 

Inside Man : photo, David TennantRéaction face aux Tennant et aboutissants d'Inside Man

 

KIRANNIBAL

Car s'il demeure l'affaire de chacun d'être agacé par la substantifique moelle d'Inside Man, il n'en demeure pas moins qu'en surface c'est le sentiment d'ennui profond qui règne. Avec ses allures de Death Note dopé aux mentats où le moindre figurant cache un surdoué sociopathe avec 250 de QI capable de calculer chaque manipulation 47 coups en avance, Inside Man est à deux doigts d'une logique d'anime et évoque régulièrement l'hilarant épisode parodique de Rick et Morty sur les films de braquage.

Quant à notre protagoniste, c'est bien sûr un pur génie foudroyant capable de résoudre des crimes sur Pluton depuis sa prison et de déduire la taille de ton caca de la veille en jetant un oeil à ta feuille d'imposition.

 

Inside Man : photo, Stanley Tucci30 cm, je le vois dans ta niche fiscale au Mexique

 

Que Dieu bénisse Stanley Tucci cependant pour son interprétation toute en sobriété légère de cet Hannibof Lecter, seule lueur d'espoir dans cette avalanche de Moffateries, entre quiproquos hasardeux aberrants, surpuissance intellectuelle et dialogues se voulant fins d'esprit.

Reconnaissons que tout fatigué que soit Steven Moffat et malgré l'humour répétitif d'Inside Man ("I'm a fucking vicar" répété au moins cinq fois comme un slogan cool), au moins arrive-t-il encore à insuffler du rythme dans les échanges verbeux et ineptes de ses personnages. Dommage que la série soit emballée dans une réalisation abusant tant de la courte focale déformante qu'on la croirait filmée à la GoPro, on aurait pu mettre la moyenne.

La première saison d'Inside Man est disponible sur Netflix, mais s'il vous plaît, on préfèrerait s'éviter la saison 2 que la scène post-générique a très envie de faire.

 

Inside Man : Affiche officielle

Résumé

Inside Man est un bordel constant qui se croit extrêmement malin mais qui ne pose qu'une seule question pertinente : pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? Ajoutez à cela la pire reprise de God's Gonna Cut You Down au générique, une formule Steven Moffat fatiguée et une généreuse tartine de MeToo opportuniste, et vous obtenez un ragoût qu'on vous conseille de ne pas goûter.

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Lecteurs

(2.3)

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commentaires
Adamo
26/11/2022 à 22:55

Si seulement j'avais lu cette critique avant de perdre 4 heures devant.

Morcar
23/11/2022 à 14:23

Oh là là, quelle catastrophe !
On m'en avait dit du bien, et j'ai donc tenté le coup. D'abord surpris que cette série ne compte que quatre épisodes, finalement c'est tant mieux, car ça limite la perte de temps.

Pourtant les pitchs de départ ne sont pas mal, bien qu'ils n'aillent pas du tout ensemble. L'histoire du pasteur qui perd le contrôle d'une situation complexe dans laquelle il se retrouve malgré lui est une bonne idée au départ, mais c'est tellement mal traité à tous les niveaux, jusqu'à finir avec des retournements dignes de SOAP opera tellement attendus pour certains (qui n'a pas deviné qu'elle allait se faire shooter en reculant sur la route ?), ou hasardeux pour d'autres (la coïncidence de la rencontre inattendue dans l'appartement) que s'en est ridicule. Même le pauvre David Tenant ne parvient pas à rendre son personnage crédible, et en arrive même par surjouer à la fin lors de son face à face avec la journaliste.
Du côté du tueur/enquêteur, si le scénario et Tucci tentent de nous proposer une sorte de Hannibal Lecter, ils ne lui arrivent pas à la cheville. Une copie low-cost ayant une capacité de déduction trop exagérée pour être crédible.

J'ai trouvé ça franchement très moyen, et très vite oubliable.

Greedynamic
13/11/2022 à 01:26

Mdrrr, le scénario du film était vraiment un foutoir inqualifiable, un pasteur bien bisounours et à peine croyant qui se sacrifie pour sa cause ultime. Une histoire de clé USB un peu trop hard, la prof qui se la joue sherlock, la maman qui a des révélations incessantes et le filston qui joue au détective, tout le monde gagne 300 de QI dans ce film ça me termine ! Puis y'a la retraitée amatrice d'heineken associé du condamné qui vagabonde avec la journaliste tout en entretenant des dialogues insensés. Enfin la diversité pour faire plaisir à ce bullshit netflixien, une policière noire et son acolyte lesbienne ou non binaire ascendant escargot, la copine pakistanaise du filston, c'était à gerber.

On notera bien sûr le jeu d'acteur de Tucci qui vient relever le niveau.

Lilybel
11/11/2022 à 18:56

(ATTENTION : PAVE avec spoilers)
Je viens de terminer la série et suis globalement d'accord avec votre critique, même si par certains aspects j'ai pris plaisir à regarder ces 4 épisodes (le rythme, l'humour british, le jeu d'acteur et notamment de Tennant, le personnage surprenant de Janice...). Il y a toutefois un aspect très problématique à mes yeux, que vous évoquez brièvement et que je voudrais développer ici : le sujet des violences faites aux enfants et aux femmes dans une série qui se revendique ouvertement post Me Too, et qui fait reposer l'ensemble de son intrigue sur la détention de vidéos pédopornographiques.

Sur les violences sexuelles commises sur les enfants, à mon sens rien ne va :

- Le pédophile - j'emploie ce terme et non "pédocriminel" puisque la série n'aborde pas le sujet du passage à l'acte, uniquement la détention de vidéos pédopornographiques - est un homme très perturbé, déficient mentalement et battu par sa mère. Ce cas de figure existe, bien sûr, mais il ne reflète pas la réalité de ces violences. Les chiffres sont sidérants, 3 enfants par classe en moyenne en France ont connu ou connaissent des abus à caractère sexuel, l'immense majorité commis par des proches ou des membres de leur famille, le plus souvent au sein du foyer. Les hommes (car 98% des agressions sont commises par des hommes, ce qui n'exclut par les 2% de femmes mais n'en fait pas un système) qui commettent ces crimes sont des "monsieur tout le monde", il s'agit du "bon père de famille", du "voisin idéal" ou du "tonton gâteau". En 2022 et à la lumière de ce que l'on sait aujourd'hui, il me semble très dérangeant de continuer à aborder le sujet comme des centaines de films l'ont fait pendant des décennies : par le prisme du "monstre déviant" qui relève de l'exceptionnel. Ce que Me Too inceste nous a appris, c'est que les pédocriminels sont partout, dans toutes les strates sociales, et ressemblent à toute le monde car ils sont "tout le monde".

- D'ailleurs le "monstre déviant" ici semble présenter toutes les caractéristiques d'une ancienne victime dont le trauma n'aurait pas été soigné, ni pris en charge : la scène de la "confession" dans l'église ainsi que les violences infligées par la mère m'y ont fait penser. On le sait, une partie des personnes ayant subie des violences sexuelles dans leur enfance pourront être amené à reproduire ces violences plus tard, notamment dans le cadre d'une dissociation : la traumatologie s'est longuement penché sur la reproduction des violences. Parenthèse d'ailleurs : la consommation de vidéos pornographiques, aussi condamnable soit-elle, n'est pas à mettre sur le même plan que le passage à l'acte sur des enfants. Edgar n'en était peut-être pas au stade de la violence effective, et apaisait peut-être ses pulsions violentes par le biais de ces vidéos. Dans ce cas-là, c'est d'un accompagnement psychologique poussé et spécialisé dans les victimes de trauma dont il aurait eu besoin, pas d'un emprisonnement à vie. Mais nous n'en sauront rien puisque la série n'aura PAS UN MOT sur ce thème, et évacuera vite la question avec le suicide d'Edgar. Pour une série qui fait reposer l'ensemble de l’intrigue sur des violences faites aux enfants (enfants qui resteront anonymes et dont nous ne saurons rien), c'est largement insuffisant.

- Le rôle du vicaire : nous sommes dans une fiction et j'ai bien conscience qu'une histoire n'a pas pour but d'être le reflet exact de la réalité. Pourtant, là encore j'ai trouvé le procédé plus que maladroit : quand on connait les chiffres effarants des abus sexuels au sein des institutions religieuses, il est plus que douteux de placer le prêtre en position de "martyre" sur la question des vidéos : le prêtre innocent va porter le chapeau à la place d'un autre, il se sacrifie pour sauver son fils. Face à la réalité des faits, c'est au mieux maladroit au pire extrêmement violent pour toutes les victimes de ce type d'abus - encore une fois, quand la série revendique ouvertement une prise de position sur les violences de ce type. Certes les actes du vicaire envers Janice soulignent sa violence et sa perte de contrôle, mais la beauté sacrificielle de son geste pour son fils le place malgré tout dans une position de martyre.

Et sur les violences faites aux femmes :

- Le personnage de Jefferson est fascinant à plus d'un titre, mais la "morale" qu'il revendique auprès de Harry (tout le monde peut devenir le meurtrier de quelqu'un qu'il aime, si les circonstances sont réunies) est très problématique. D'une part la référence à l'amour semble faire écho aux titres racoleurs des journaux pour évoquer les féminicides ("crime passionnel" etc). Non, la passion et l'amour ne sont pas des motifs valables pour expliquer les violences faites sur les femmes. Le travail acharné des militantes féministes de ces dernières années a permis de mettre en lumière des violences commises dans un cadre SYSTEMIQUE, et non pas un pétage de plombs aléatoire qui découlerait de l'amour/la passion. Mettre sur le même plan le meurtre de la femme de Jefferson, qui l'a tuée et démembrée (sauf si une saison 2 invalide ce scénario), et la tentative de meurtre de Janice par Harry, qui elle découle d'un enchaînement de situations rocambolesques, pour en plus en faire la """morale""" du récit (n'importe qui peut tuer ceux qu'il aime), c'est n'avoir rien compris aux violences faites aux femmes et au système dans lequel ces violences s'inscrivent. Pour rappel en France, au 10 novembre 2022, 98 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint sur cette seule année 2022.

Je trouve qu'il y a de brillantes idées dans le scénario (la perte de contrôle du vicaire, l'escalade de sa violence, la réflexion sur le bien et le mal en chacun de nous, le dilemme insoluble auquel le couple fait face pour protéger son fils...). Mais avoir recours à ces 2 types de violence dans l'intrigue pour les besoins du scénario (violences faites aux femmes et aux enfants) , tout en leur offrant un traitement aussi maladroit digne des années 90, c'est faire insulte à toutes les victimes qui ont enfin pu se faire entendre grâce aux Me Too successifs, et les innombrables victimes encore silencieuses.

Altan
09/11/2022 à 17:43

Il faut vraiment être de mauvaise foi pour prétendre que cette série est bourrée de personnages dotés d'un QI supérieur. Le fait est qu'en dehors de Janice et Brieff (allez, comptons également son voisin de cellule à la mémoire eidétique) les autres personnages sont complètement attardés. C'est même le problème principal de la série : ils prennent des décisions systématiquement débiles.

Quant à l'exagération autour du "vicar", le trait est forcé pour dénoncer l'hypocrisie de certaines autorités religieuses. Il ne s'agissait évidemment pas d'une tentative de rendre le rôle de cureton cool. Je ne comprends pas comment on peut passer à côté de ça (ceci-dit ça peut expliquer pourquoi l'auteur de cette critique voit des génies à chaque coin de rue dans cette série xD).

Ceci étant dit, si l'on peut reprocher plein de choses à Inside Man, dans le fond Moffat vise juste : les beaux sermons et valeurs morales de l'humanité peuvent vite s'effacer quand l'instinct de préservation prend le pas.

Mouais
08/11/2022 à 22:32

Hey ben, jamais vu autant d'incohérences dans une série si bien filmée...
ya des sursauts intéressants, mais c'est tellement gâché par du n'importe quoi toutes les 5 min... (je rajoute un ex spoiler pas dit parmis les 300000 : éteindre le chauffage ou ouvrir une fenêtre serait la première chose faite, même en panique, surtout quand tu calcules le moindre détail pour faire envoyer un mail :))

-Jo-
08/11/2022 à 16:55

Pour info ce n'est pas Moffat qui a ressuscité Dr Who qui n'est pas showrunner avant la saison 5 je crois et l'arrivée de Matt Smith. Il était l'un des scénaristes simplement. C'est Russel T Davis et en saison 2 l'arrivée de David Tennant qui ont fait ce miracle.

Niko
08/11/2022 à 16:29

Pour moi il y avait encore de l'espoir jusqu'au dernier épisode absolument catastrophique. Le pbl de Moffat, c'est effectivement qu'il fait du Moffat et que toutes ses productions (du moins celles que j'ai vu) finissent par trop ressembler à du Dr Who. Et malheureusement, ce qui marche dans Dr Who marche tout de suite bcp moins bien dans un environnement qui se veut plus réaliste, plus contemporain.

Crachepasdanslasoupe
08/11/2022 à 13:22

Moi j ai adoré la série et j attends la suite avec impatience. Je ne suis pas blasé parce que je n avais rien vu d autres du réalisateur. Je corrige une exagération tous les figurants n ont pas 250 de qi bien au contraire....

Clarence Sterlingue
08/11/2022 à 10:52

Je n'ai pas vu le dernier épisode, mon cerveau et mon corps m'ont dit non :x.
Au delà de l'opportunisme sur le thème du féminisme et des réseaux sociaux, les gens font n'importe quoi en fait. Le vicaire s'embourbe dans sa merde tout seul alors qu'il suffisait d'expliquer les choses, lui et sa femme ont pas tellement l'air de réaliser qu'ils séquestrent une pauvre nana dans leur cave, que ça va s'arranger s'ils arrivent à la convaincre O_O. Et les aller-retours Angleterre/USA, je sais pas on dirait qu'ils le font en 1h de TER (la journaliste portent les mêmes fringues tout le long alors que clairement plusieurs jours se sont écoulés).

Bref, ça n'a aucun sens et c'est énervant. Heureusement qu'il y avait Tucci et Tennant. Ou pas, puisque c'est surement à cause d'eux que j'ai persévéré et perdu 3 heures de mon dimanche.

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