Marie-Antoinette : critique du plaisir royal de Canal+

A Marriage Story

Après une nuit de noces décevante et expéditive, le dauphin de France Louis-Auguste quitte la chambre, laissant la jeune Marie-Antoinette "Toinette" seule dans un lit froid. Décidant à son tour de quitter la pièce, la jeune mariée se rend compte en regardant à travers les serrures des portes de la chambre que des yeux l'observent. Cette séquence du premier épisode de Marie-Antoinette résume à elle seule tout l'enjeu de la série : le passage à l'acte du couple. Comme les curieux qui observent en secret la scène nuptiale, nous serons les spectateurs de l'enfermement physique et psychologique de Marie-Antoinette.

Arrivée en France en 1770 en tant qu'Archiduchesse d'Autriche, la jeune Marie-Antoinette alors âgée de quatorze ans doit épouser le futur roi de France, qui soufflera bientôt sa seizième bougie, qu'elle a rencontré deux jours plus tôt. C'est en Autriche, quelque temps avant son départ pour la France que nous découvrons une jeune fille naïve et surtout bouleversée de devoir quitter son pays et sa famille. Ce n'est que quand elle se retrouve étriquée dans un carrosse qui la mènera à une majestueuse prison nommée Versailles que la série commence véritablement.

Princesse malgré elle

Inlassablement et assez grossièrement, une voix résonne, celle de la mère de la dauphine, qui la somme d'accomplir son seul et unique devoir : engendrer le futur roi de France. Cette naissance représente bien plus qu'un devoir moral, elle est le fruit de l'entente entre la France et l'Autriche. Mettre au monde un garçon n'est pas la mission de Marie-Antoinette, mais "le devoir de l'Autriche". Parce qu'elle est une femme, parce qu'elle a été mariée au prochain roi, elle doit obéir. Tant qu'aucun enfant ne sera né, la politique de la France sera mise à mal et ses relations avec l'Autriche ne seront pas fécondes.

Le problème dans tout cela ? Le mariage ne sera que pleinement consommé sept ans plus tard. Complètement ignorants de la nature des relations sexuelles, Marie-Antoinette et Louis XVI n'arrivent pas à mener à bien leur mariage. Plus que le mal-être d'une jeune fille contrainte, Marie-Antoinette illustre le dysfonctionnement d'un couple. Chétif et probablement intimidé par sa femme, Louis n'arrive pas à accomplir sa part du marché, mais la faute est bien évidemment rejetée sur Marie-Antoinette, publiquement humiliée pour sa virginité.

Le bleu n'est pas la couleur la plus chaude

L'actrice allemande Emilia Schüle est une Marie-Antoinette parfaite. Au fil des épisodes, la dauphine prend de l’assurance et s'affirme, notamment grâce à son sens aiguisé de la mode, malheureusement pas assez exploité. Néanmoins, les passionnés d'histoire et de costume seront ravis de retrouver sa fameuse coiffe en forme de bateau.

Ce n'est qu'une fois devenue reine qu'Antoinette peut enfin prendre des décisions, d'ailleurs soutenues par son mari, de plus en plus à l'aise dans son rôle. Mais l'émancipation gagnée par cette nouvelle position n'est que temporaire et son aptitude à mettre au monde un enfant reste le centre de toutes les discussions, et c'est bien dommage.

Marie, intermittente du spectacle

Marie-Antoinette vs le monde

Bien que montrer la pression mise sur Marie-Antoinette par ses pairs soit primordial, la série ne creuse jamais assez ce point et se contente de se focaliser sur un enjeu unique : le passage à l'acte sexuel du couple. Pendant six épisodes (sur huit), la seule intrigue est de savoir si oui ou non Louis XVI et Antoinette vont réussir à coucher ensemble. Si fondamentalement cette question est intéressante, elle est scénaristiquement parlant bien trop faible pour tenir le spectateur en haleine pendant autant d'épisodes.

Les mêmes mécaniques s'installent et se répètent encore et encore, de leur envie de consommer le mariage, à leur blocage physique en passant par quelques quiproquos inévitables. Même s'il est inévitable d'aborder le problème de l'enfantement quand on souhaite traiter du mariage de Marie-Antoinette et de Louis XVI, il est dommage que ce sujet soit le seul auquel il est donné de l'importance.

Et les autres personnages alors ?

En se concentrant sur cette seule intrigue, la série passe à côté de personnages complexes et intrigants comme celui du futur roi, montré comme un homme sensible et très loin de la maturité requise pour gouverner un pays. Quelques fois, on se souvient qu'il est doté de sentiments et que son point de vue pourrait même être aussi pertinent sur la question du mariage que celui de Marie-Antoinette, alors on a le droit de lire son journal intime. On se retrouve avec des personnages sous-exploités joués par des acteurs qui auraient pu donner bien plus.

La série n’arrive pas à assumer la décision de ne montrer que le point de vue de son personnage principal féminin, alors les personnages secondaires sont présents, mais bafoués, et surtout très manichéens. Il en est de même pour les intrigues politiques, qui sont évoquées, mais de manière très anecdotique. 

Le très vilain Provence

Versailles 2.0

La star de Marie-Antoinette est sans contestation le château de Versailles, personnage à part entière de la série. S'il est le lieu par excellence de l'abondance et des excès bourgeois, le château est aussi et surtout la prison à ciel ouvert d'Antoinette. Alors que la France entière rêve d'habiter à Versailles, en témoignent les riches qui s'entassant dans les petites chambres du château juste pour avoir le privilège de vivre à la Cour, la future reine s'y retrouve piégée.

En plus d'avoir un protocole strict qui lui est propre, le château est malignement personnifié. Si les murs de Versailles ont évidemment des oreilles, ils ont aussi des yeux. Partout, tout le temps, Marie-Antoinette est écoutée et observée. Ses moindres faits et gestes sont scrutés à la loupe par les centaines de résidents du château, de son lever à son coucher. Même en pleine nuit, la dauphine n'est pas épargnée par les regards malintentionnés.

Des miroirs et des yeux partout

La mise en scène de Marie-Antoinette illustre bien comment l'architecture même de Versailles est propice au commérage. Les nombreux surcadrages, notamment des pièces en enfilade, insistent sur le fait qu'il n'y ait aucune intimité. Même quand les personnages pensent être en sécurité, un œil se balade toujours. Les plans subjectifs insistent aussi sur ce point et renforcent le sentiment de malaise et de voyeurisme, un sentiment que le spectateur peut partager avec Marie-Antoinette, le centre de toutes les attentions. Même dans les jardins ou au Petit Trianon, son refuge, elle n'est pas en sécurité.

Marie-Antoinette est disponible depuis le 31 octobre sur Canal+