Doctor Who saison 13 : critique de la fin qui sauve (presque) tout

Ange Beuque | 8 décembre 2021 - MAJ : 02/01/2023 09:46
Ange Beuque | 8 décembre 2021 - MAJ : 02/01/2023 09:46

C'est peu dire que cette saison 13 de Doctor Who débarque dans un contexte miné, prise en étau entre un rafraîchissement qui a globalement échoué à séduire, et la fin d'une ère puisque l'actrice Jodie Whittaker et le showrunner Chris Chibnall s'en vont. La série a le sonique coincé entre deux timelines, d'autant que les huit épisodes initialement prévus ont été réduits à six, en raison de la crise sanitaire. Cette treizième fournée offre-t-elle un Flux d'air bienvenu ou confirme-t-elle l'asphyxie créative ?

Attention, spoilers ! 

De la continuité dans le changement 

Arrivé pour prendre la relève de Steven Moffat après la saison 10 de Doctor Who, Chris Chibnall avait étrenné ses galons de showrunner par des partis-pris forts : la saison 11 n'était constituée que d'épisodes indépendants et s'interdisait de faire revenir les antagonistes récurrents. Un pari qui aurait pu insuffler un nouvel élan salvateur... mais qui avait surtout trahi un manque cruel de créativité.

La saison 12 avait déjà mis du poisson dans sa crème anglaise en orchestrant quelques retours, et en posant des jalons de continuité autour de « l'enfant intemporel ». Et cette 13e saison livrée parachève ce revirement. Elle ménage une place de choix à certains ennemis emblématiques, tout en étant constituée d'un seul arc narratif, qui donne son nom à la saison entière : Flux, un dispositif qui avait été expérimenté dans la série classique avec « Trial of a Time Lord ». 

 

Doctor Who : photoHeaaaad shoulder knees and toes POTATOES 

 

La bonne nouvelle, c'est que le showrunner semble avoir trouvé une voie d'équilibre entre fan service sans valeur ajoutée et tabula rasoir. Car si les Sontariens sont globalement fidèles à eux-mêmes, la représentation des Anges pleureurs évolue. 

Apparus pour la première fois dans l'épisode culte Blink, lors de la saison 3, ils comptent indéniablement parmi les créations les plus remarquables de la série moderne. Si la pureté de leur concept a été dilapidée au gré de leurs réapparitions successives, chacune avait le mérite d'enrichir leurs moyens d'action : Le Labyrinthe des Anges (saison 5) introduisait l'idée que l'image devenait le monstre, et Les Anges prennent Manhattan (saison 7) les montrait capables d'élever leurs victimes en batterie. 

 

Doctor Who : photoAlerte enlèvement : cette femme est retenue par deux individus louches dans une cage de type Tardis 

 

Cette logique est prolongée dans le quatrième épisode de la saison 13 : les dessins prennent vie, un enregistreur d'ondes cérébrales peut faire apparaître l'image honnie et le simple fait d'y penser devient un danger en soi. Ces variations permettent de générer de puissantes visions, entre une femme dotée d'ailes au détour d'un plan, des bras fossilisés qui sortent du mur, un Ange de feu... Même l'éternel rapport de force avec le Docteur est détourné, puisque pour la première fois, un renégat quête son appui. 

Bien sûr, ces modifications – notamment le fait de les doter de parole – leur font certainement perdre un peu de leur terreur viscérale en même temps que leur perfection conceptuelle. Au moins ne pourra-t-on pas reprocher aux scénaristes de ne rien proposer, d'autant que la répétition du motif finirait par l'affaiblir – quand les personnages auront-ils l'idée de fermer les yeux l'un après l'autre ? 

 

Doctor Who : photoLe changement, c'est maintenu 

 

LE ton dans feuilleton

Outre ces retours, la saison doit également s'atteler au grand chantier ouvert en fin d'année dernière sur les origines du Docteur. Et si celles-ci constituent un enjeu, que Jo Martin refait une apparition de l'autre côté du miroir et que Tecteun (qui a recueilli le Docteur sur Gallifrey) joue un rôle majeur dans la trame, les scénaristes jouent globalement la montre (sic) au sujet des révélations. Si bien qu'à ce stade, la pertinence d'avoir sacrifié la limpidité du lore est toujours questionnable. 

Par ailleurs, le renforcement du caractère feuilletonnant réclame un engagement supérieur du public, qui ne peut plus se contenter de butiner un épisode de temps à autre sous peine d'être décroché. De même, la complexification d'une trame qui s'étend sur une demi-douzaine d'épisodes peut en perdre en chemin, même si chaque itération propose une thématique particulière (l'exposition d'Halloween, les Sontariens, la tempête temporelle...) et un tempo qui lui est propre. 

Ce parti-pris visait à enrayer la baisse des audiences, mais le pari est raté, avec un démarrage faiblard (5,79 millions de téléspectateurs comptabilisés par la BBC en ouverture, presque deux fois moins que pour la première de Whittaker) et une chute progressive pour finir sous les 4 millions. 

 

Doctor Who : photoThis is Halloween Halloween Halloween...

 

Le Flux de l'inspiration 

Pourtant, la saison a de beaux atouts à faire valoir, en déployant une menace qui parvient à être massive sans perdre son ancrage terrestre et émotionnel. Elle décuple les enjeux en ne mettant en péril rien de moins que l'espace (par le Flux) et le temps, dont les incarnations sont menacées. Toutes les actions des personnages s'inscrivent donc sous l'imminence de cette apocalypse, dont la Terre sera commodément le dernier jalon. 

Le format de la saison et la portée cosmique de la menace permettent de déployer un récit plus ambitieux, en démultipliant les planètes, les époques, les races et les forces en présence, chacune suivant initialement son objectif propre. Les fils convergent vers un final épique qui va jusqu'à s'offrir trois Docteurs en simultané pour épouser la forme d'un montage alterné géant. Un choix payant en termes de dynamisme, et qui permet de franches ruptures de ton – on passe en quelques plans d'un Sontarien qui éructe comme Jacquouille au Docteur soumis à la torture. 

 

Doctor Who : photoJodie We-Take-Care 

 

Certes, certaines jointures du scénario sont plus fragiles que d'autres (l'existence de la Division et la finalité de son plan pour ne pas mieux régner soulèvent pas mal de questions), et même les cliffhangers les plus excitants sont trop souvent résolus d'un (non-)claquement de doigts. Heureusement, outre des saillies burlesques très réussies (la porte du Tardis qui change de place, un ermite drogué aux ragots), l'ensemble est emballé avec suffisamment de soin pour emporter l'adhésion. 

De fait, la saison bénéficie d'une réalisation particulièrement plaisante. Le foisonnement de lieux et d'époques permet de composer des environnements variés, servis par une photographie qui joue habilement des contrastes. Les propositions visuelles sont nombreuses, à l'image du noir et blanc classieux en ouverture du deuxième épisode, quand le quatrième installe une ambiance campagnarde nocturne qui sied à merveille aux Anges, avant de basculer sur l'irréalité d'une entre-mer bleuissant le temps d'une hallucination du Docteur, pour finalement intégrer un dialogue visuel fort réussi entre les époques. 

 

Doctor Who : photoUne saison qui a du chien géant 

 

Qu'il s'agisse de représenter un temple mystique ou la guerre de Crimée, un tour du monde en mode Indiana Jones ou des planètes réduites en poussière par le Flux, un soin perceptible est apporté aux atmosphères. La réalisation bénéficie de CGI de bonne facture, à quelques incrustations ratées près, et les designs sont globalement inspirés, à l'image des deux antagonistes principaux inspirés par le Jour des morts. 

La greffe fonctionne entre les effets spéciaux, les costumes au rendu plus traditionnel et le réalisme du Liverpool contemporain, si bien que même l'idée potentiellement kitsch d'un chien à taille humaine ne dénote pas. Au point qu'on se demande dans quelle mesure la restriction du nombre d'épisodes a pu constituer au final une bénédiction, en concentrant les moyens et l'impulsion créative dans un format resserré. 

 

Doctor Who : photoDia del Apocalipsis 

 

It's a small universe after all 

Ces qualités donnent enfin à Jodie Whittaker l'opportunité d'exprimer son talent, en composant un Docteur partagé entre la fantaisie énergique d'un Matt Smith et les crispations identitaires d'un Peter Capaldi. Son évolution converge vers un dilemme majeur, lorsqu'elle doit choisir entre découvrir son passé ou tenter de défendre une cause perdue. Mais dans la lignée de ce que revendiquait Twelve, n'est-elle pas profondément ce qu'elle veut défendre ? Who I am is where I stand, where I stand is where I fall... 

Qu'il s'agisse de Dan, interprété tout en flegme par John Bishop, ou du Vinder combatif incarné par Jacob Anderson, sans compter la constellation de rôles secondaires parfaitement interprétés (dont une femme possédée, un Grand Serpent, un chien bourru, un fana de tunnels et un homme répondant au doux nom d'Eustacius), les nouveaux venus bénéficient d'une caractérisation simple, mais bien tenue, construite au détour de dialogues enlevés et rehaussés d'un humour qui fait souvent mouche. 

 

Doctor Who : photoTrou de ver gris 

 

Il suffit que deux protagonistes exportent brièvement une rivalité entre Liverpool et Leeds dans l'espace pour concilier intelligemment l'ancrage social et l'aventure cosmique. Même lorsque les personnages sont soumis à la tempête temporelle, la manière dont ils s'interpénètrent dans leurs vies respectives les lie astucieusement en dépit de leur séparation effective dans le scénario. 

Les personnages ne cessent de se croiser, s'allier et se perdre, et ces recompositions constantes enrichissent leurs interactions. Le périple de Bel (Thaddea Graham) à travers l'espace pour retrouver le père de son futur enfant offre au spectateur un point d'accroche limpide. Et contrairement aux saisons précédentes, lorsque survient l'inévitable réunion, on a réellement l'impression d'avoir affaire à un groupe et non à une juxtaposition forcée de protagonistes. 

Et si l'on craignait que cette prolifération s'exerce au détriment de la dynamique du Docteur avec Yaz, leurs péripéties burlesques en ouverture du spécial Halloween témoignent d'une belle complicité. Bien qu'elles disposent au final de peu de scènes en commun, leur relation parvient à se construire en creux via quelques subtilités narratives, à l'image de ce WWTDD qui orne la main de Yaz. 

 

Doctor Who : photoIn the Ood for love 

 

Vers la fin et au-delà 

Cette treizième saison semble transposer dans sa narration les questionnements éditoriaux qui parcourent la série depuis quelques années, par cette tension entre renouvellement et continuité. 

Car comme des fans clairvoyants l'ont deviné en observant les lignes qui traversent l'affiche de la saison, celle-ci consacre l'avènement du multivers. Certes, cela a déjà été fait, via l'épisode Le Règne des Cybermen notamment, mais le concept a le vent en poupe au point de devenir la nouvelle tarte à la crème pop-culturelle. L'idée est séduisante et peut générer du fan service à l'infini, en justifiant de faire revenir n'importe quel personnage, rejouer les mêmes histoires avec de subtiles variations... ou repartir sur des bases vierges. 

 

Doctor Who : photo, Jodie WhittakerSi Thanos l'a fait, pourquoi pas moi ? 

 

Or, rarement peut-être la question de l'échec a-t-elle été si froidement posée que par Tecteun dans l'épisode 3 ! Le Flux y est présenté comme une fatalité incontournable, et la Division qui visait à sécuriser la continuité de l'univers n'a plus d'autre ambition que d'appuyer sur le bouton reset. Le temps lui-même est incarné sous forme de divinités aussi intransigeantes que vulnérables. 

À l'image de la série, qui joue avec l'idée du redémarrage tout en témoignant de son attachement à son héritage (Unit, les Lethbridge-Stewart...), le Docteur est tiraillé entre son passé et l'envie d'avancer. Son obsession pour ses origines est utilisée pour la mettre à l'épreuve. Dans ces conditions, sa lutte pour préserver son univers est-elle légitime ou mue par un pur réflexe conservateur ? N'est-il pas plus sage, parfois, d'abandonner pour recommencer à zéro ? 

En filigrane : le lore de cette série presque soixantenaire ne commence-t-il pas à peser d'un poids qui grève les élans scénaristiques ? L'exigence de continuité peut devenir un fardeau, et bien que les scénaristes savent s'en affranchir au besoin, la tentation existe peut-être d'un nouveau Big Bang. 

 

Doctor Who : photo, Jodie WhittakerSaison 14 : le Docteur démissionne et part élever des chèvres à trois pattes dans le Larzac alternatif... 

 

Jusqu'alors, la série n'a jamais eu besoin d'un reboot pur et dur, puisqu'elle porte dans ses gènes narratifs tous les composants nécessaires à son renouvellement, au premier rang desquels l'inusable régénération. Et bien que la fin de la saison éloigne – pour le moment – la menace, ces univers parallèles continuent d'exister dans le lore, prêts à s'ouvrir à quiconque souhaitera les exploiter.

Russell T. Davies aurait pu se détacher de l'ancienne série en 2005, mais il a fait le choix de s'inscrire dans ses pas. Or, le showrunner à qui l'on doit le retour du Docteur, et qui a brillé depuis avec Years and Years et It's a Sin, s'apprête à reprendre les commandes. Et si le gardien du temple revenait 18 ans après pour lui mettre le feu ?

 

Doctor Who : Affiche

Résumé

Avec ses péripéties cosmiques portées par des personnages incarnés, sa réalisation soignée et son rythme trépidant, la saison 13 de Doctor Who parvient enfin à revivifier la série. Suffisant pour pardonner quelques scories scénaristiques et se projeter avec envie sur la fin de l'ère Chibnall/Whittaker. Rendez-vous le jour de l'an pour le premier des trois spéciaux chargés d'assurer le passage de relais à Russel T. Davies !

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(2.8)

Votre note ?

commentaires
Redwan
01/01/2022 à 22:24

L'une des meilleures du doctor,qui me fait penser à la belle époque avec David tenant. Ils se sont enfin lâchés.

DieuP0ulet
11/12/2021 à 19:03

Une saison incroyable, je ne comprend pas pourquoi elle a pas cartonné

Écorce
10/12/2021 à 11:53

J'aurais tellement voulu qu'elle cartonne.

thierry A
08/12/2021 à 18:14

Moi, j'attends 2023.

votre commentaire