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Them saison 1 : critique d’une horreur radicale sur Amazon

Par Gaël Delachapelle
8 mai 2021
MAJ : 6 janvier 2022
18 commentaires

Avec Get Out et Us, le cinéaste Jordan Peele a remis au goût du jour une horreur psychologique basée sur les névroses d’une Amérique divisée qui n’a jamais été aussi actuelle que sous l’ère-Trump. Et la série de Little Marvin se place dans la continuité de cette nouvelle vague horrifique avec pour postulat de départ : ausculter la terreur liée au racisme dans l’Histoire des États-Unis. À l’image de l’anthologie à succès American Horror Story, Them a donc beaucoup de choses à raconter sur la culture américaine. Attention, quelques spoilers !

Affiche officielle

American Dream (or Nightmare)

Ainsi, la première saison de Them, intitulée Covenant, se déroule dans le contexte de la grande migration afro-américaine de 1953. On y suit les Emory, une famille noire qui décide de fuir les lois Jim Crow de la Caroline du Nord, pour s’installer dans un quartier résidentiel à Compton, en Californie, peuplé uniquement d’habitants blancs. Mais ce qui s’annonçait comme un nouveau départ pour cette famille à la recherche du rêve américain va alors vite se transformer en un véritable cauchemar, à travers un séjour en enfer d’une dizaine de jours.

Car oui, à l’image d’Amityville, la maison du diable, où la famille Lutz n’a tenu que 28 jours dans la tristement célèbre maison hantée, Them raconte le cauchemar des Emory sur 10 jours, soit sur une dizaine d’épisodes (à l’exception de deux segments centrés sur des flashbacks). Une construction narrative qui offre un rythme assez soutenu et haletant à la descente aux enfers de nos personnages.

L’ambiance pavillonnaire de ce quartier résidentiel, lieu central de cette saison, s’apparente plus à un enfer ensoleillé où, sous le vernis de ce faux paradis, se cache une horreur insidieuse qui se tapit dans les motifs du quotidien.

 

photo, Alison Pill« Welcome to California »…

 

Là où dans Us, Jordan Peele s’amusait à détourner les codes du Home Invasion par un ton parfois satirique, plus proche du grotesque, Them opte d’abord pour une horreur bien réaliste. Notamment à travers le racisme latent du voisinage et son apparence digne des panneaux publicitaires affichés dans la ville. Il suffit d’un simple plan parfaitement symétrique sur des épouses blanches qui occupent la pelouse des Emory, avec leurs chaises pliantes et leurs radios stridentes, pour exprimer l’horreur que subissent au quotidien les membres de cette famille.

Henry (Ashley Thomas), le père de famille, est méprisé malgré ses capacités sur son lieu de travail. Ruby (Shahadi Wright Joseph), la fille ainée, subit les moqueries de ses camarades au lycée. Gracie (Melody Hurd), la petite dernière, est confrontée quant à elle à un racisme plus institutionnalisé, à travers les valeurs enseignées par ses livres d’écoles. Et c’est bien évidemment la même chose pour Lucky (Deborah Ayorinde), une mère de famille qui porte très mal son nom, qui, de par les traumas qu’elle a subis dans son passé, est directement en première ligne face aux persécutions de Betty (Alison Pill), épouse modèle qui semble diriger le quartier.

Présentée d’abord comme une antagoniste face à cette famille, ce personnage féminin à l’apparence superficielle se révèle bien plus profond au fur à mesure des épisodes, cachant des failles qui témoignent d’un mal-être propre au mode de vie de l’American Dream. À travers ces sous-intrigues de soap-opera se cache une véritable charge politique qui fait la richesse de cette première saison, car Them se revendique avant tout comme le portrait historique et politique d’une époque. Avant d’être un authentique cauchemar qui puise dans les fondements de la culture américaine.

 

photo, Alison PillDes voisins vraiment charmants…

 

Le Mal Américain

Si la série de Little Marvin se veut comme une dénonciation du rêve américain et de ses valeurs puritaines, Them n’oublie pas pour autant d’interroger le racisme en prenant le mal à la source. À savoir dans son Histoire et sa culture, par le prisme du fantastique et de l’horreur. L’une des grandes forces de cette première saison réside sans aucun doute dans la richesse de son bestiaire horrifique, qui puise son inspiration dans un folklore propre à l’Histoire des États-Unis.

Il n’est pas anodin que l’antagoniste démoniaque principal de la série apparaisse sous les traits d’un terrifiant prédicateur, nommé communément « L’Homme au chapeau noir », qui se cache dans le sous-sol de la maison des Emory, soit littéralement dans ses fondements. Une entité dont l’histoire est dévoilée dans la nouvelle tradition du fameux « avant-dernier épisode en noir & blanc de toute série qui se respecte » (comme ont pu le faire récemment The Haunting of Bly ManorMaster of None, la saison 4 de FargoWatchmen ou encore la saison 3 Twin Peaks) où l’origine du racisme maléfique se situe évidemment dans les écrits de la Bible.

 

photo, Ashley ThomasLE Croquemitaine de la série…

 

D’autres fantômes viennent persécuter les membres de cette famille, chacun ayant plus ou moins son croquemitaine attitré. À l’image de Miss Vera, une vieille institutrice acariâtre tout droit sortie d’un livre d’école, qui prend vie dans les cauchemars de la petite Gracie. Ou encore le terrifiant « Tap Dance Man », dont le maquillage dénonce la pratique très controversée du blackface, encore très présente au cinéma et à la télévision américaine dans les années 50. 

Sans aucun doute l’entité la plus réussie de cette première saison qui pousse notre père de famille vers ses pulsions les plus meurtrières. Une dimension fantastique qui convoque autant l’horreur psychologique et les cadres symétriques d’un Shining que le bestiaire horrifique d’un James Wan et de son Conjuring, pour un résultat qui force le respect. Them arrive donc à faire vraiment très peur, non seulement quand la série bascule dans l’horreur pure, mais aussi lorsqu’elle illustre ses thématiques avec une cruauté sans précédent.

 

photo, Deborah Ayorinde« Tu la sens ma référence à Shining ? »…

 

Plus cruel, tu meurs

Si Them a eu le droit à une sortie plutôt discrète sur le Amazon Prime Video français, il en a été tout autre pour la plateforme aux États-Unis. En effet, la série n’a pas tardé à susciter la polémique, notamment pour sa violence particulièrement éprouvante. Dans certaines interviews, le showrunner Little Marvin n’a pas caché son ambition avec Them de vouloir confronter les spectateurs à la violence subie par les Afro-Américains dans l’Histoire américaine. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la série ne nous épargne guère à ce sujet.

En effet, il est difficile d’évoquer Them sans parler de l’épisode 5 et de sa violence cathartique, à la limite de l’insoutenable. Un épisode qui pousse l’horreur du racisme américain jusqu’à son point de rupture, dans un flashback qui revient sur le trauma qui hante le personnage de Lucky, teasé dans le premier épisode de la série. Après avoir fredonné l’air d’une vieille chanson raciste de 1853, Old Black Joe de Stephen Foster, une vieille femme et deux hommes s’introduisent dans la maison de Lucky pour s’en prendre à la jeune femme, ainsi qu’à son nourrisson.

 

photoUne violence plutôt graphique…

 

Une séquence particulièrement dérangeante sous influences Colline a des yeux, où la violence de la série est poussée dans ses derniers retranchements. Avec cette scène, la note d’intention du showrunner est très claire : Them est une série qui est là pour déranger, avec une horreur bien réelle et sans concession. Si on est en droit de s’interroger sur la justification de cette violence assez extrême, on ne peut que reconnaître la pertinence du message politique qui se cache derrière, offrant à la série une identité et une cohérence implacable dans le paysage actuel.

Là où la série Lovecraft Country, co-produite par Jordan Peele et J.J. Abrams, interrogeait le racisme par les genres et l’esthétique Pulp dont elle se revendique, Them se veut avant tout comme une solide charge politique contre le rêve américain, en plus d’être un cauchemar aussi radical qu’éprouvant. Un parti pris qui divisera sans aucun doute son public, ce qui en fait une proposition assez unique dans son genre, réservée à un public averti.

La saison 1 de Them est disponible depuis le 9 avril 2021 sur Amazon Prime Video

 

affiche

Rédacteurs :
Résumé

Dans la continuité de Get Out et Us, Them fait figure de proposition radicale et politique dans le paysage sériel actuel. Avec cette série d'anthologie à la fois terrifiante, éprouvante, mais aussi d’une richesse thématique folle, la relève tant attendue d’American Horror Story pourrait bien se faire sur Amazon Prime Video. Une vraie réussite.

Tout savoir sur Eux - Saison 1
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Shinzo

Mais cette fois ci c’est vraiment bien ou c’est comme Dans les angles morts ?

Domo

Shinzo > Moi j’ai aimé Dans les angles morts.

Nico

Tout ça donne furieusement envie!

Fuzart

Un grand merci pour cette découverte.
Série avalée en une journée, belle torgnole dans la face pour ma part.

euh ?

Cette série me dirait bien, mais est-elle vraiment aussi violente ?

L’épisode 5 est vraiment si insoutenable ?