Terra Prohibita - tome 1 : le mariage entre Annihilation et la tradition Steampunk

La Rédaction | 20 janvier 2021 - MAJ : 09/03/2021 15:58
La Rédaction | 20 janvier 2021 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Pulvérisée par un cataclysme végétal, l'Europe s'est réinventée au début du XXe siècle. Et c'est Glénat qui nous sert de guide dans cette Terra Prohibita.

 

photoUne nouvelle aventure sous la houlette de Glénat

 

BELLES PLANTES

Uchronie et steampunk comptent parmi deux des sous-genres les plus visités de la science-fiction. Il est donc rare d’en trouver une déclinaison qui parvienne à proposer une vision singulière, et c’est toujours avec prudence qu’on se risque dans une aventure qui ambitionne d’en remuer les codes. La satisfaction de découvrir une œuvre en passe d’y parvenir est donc d’autant plus grande. Voici pour l’univers dans lequel nous plonge Terra Prohibita. 

Début du XXe siècle. Victime d’une mystérieuse contamination biologique ayant fait dégénérer sa végétation de manière débridée et incontrôlable, l’Angleterre a été abandonnée par ses habitants. L’île, contaminée par d’innombrables espèces mutantes extrêmement dangereuses, a été désertée et mise en quarantaine : déclarée « Terra Prohibita ».  

Mais de nombreux chercheurs voient malgré tout dans le développement de cette faune et de cette flore une nouvelle source de richesses insoupçonnée. Jusqu'au cœur des ténèbres de ces territoires interdits, une troupe bigarrée de personnages que tout oppose va tenter de poursuivre un seul et même but : lever le voile sur les mystères qui entourent la contamination que les autorités s’évertuent à vouloir protéger. Chacun poursuit néanmoins des motivations profondes bien différentes... 

 

photoCochons d'anglais

 

Dès les premières planches, on appréciera le mélange de vigueur et de malice avec lesquelles le scénariste distille les premiers ingrédients de son récit, à coups de mystères et de situations complexes. Un biologiste déguisé en tueur à gages (ou l’inverse), un univers alternatif florissant, mais sur le point d’être dévoré par le règne végétal, un Paris art déco qui dissimule de mortels secrets... tout ici est immédiatement familier, mais instantanément étrange. 

Et sous ses couleurs lumineuses et ses traits clairs, Terra Prohibita dévoile la même luxuriance. En témoigne son ouverture, où le dessinateur parvient à styliser la mort violente et peu enviable d’un malheureux laborantin grâce à son découpage et à une l'atmosphère faussement légère. Il en ira ainsi pour l'introduction de tous les personnages et de toutes les sous-intrigues débarquant dans le récit par petites touches, intrigantes et évocatrices, chacune se transformant en pièce d'un vaste puzzle. Une entrée en matière excitante, à mettre au crédit de Denis-Pierre Filippi.

Malgré les masses d'informations que doit apporter ce tome introductif au lecteur (un univers pas avare en termes techniques et autres néologismes), le scénariste parvient à renouveler régulièrement notre intérêt. S'amusant à manier le mystère et les questions qu'il laisse en suspens, son intrigue interloque. Au même moment, la richesse de ce monde luttant contre une flore délirante permet aux étapes classiques, mais inamovibles de tout début d'aventure de se dérouler sans lasser. Il y a, dans cette brochette d'inventeurs, explorateurs et détectives, une vibration qu'on jurerait échappée d'un texte de Jules Verne, où créations délirantes, innovations ahurissantes et techno-trouvailles attendent le lecteur au détour de chaque page.

 

photoBeau choc infini

 

JULES VERT

Mais là où Terra Prohibita surprend et finit par impressionner, au cours de la seconde moitié de ce volume inaugural, c'est dans sa gestion de l'architecture.  On est d'abord surpris de constater que le trait de Patrick Laumond semble presque timide quand il est question d'agencer ses personnages et leurs actions. Puis on réalise que tout son talent est focalisé sur la gestion de l'espace et de l'architecture. Et en la matière, la bande-dessinée est un florilège de planches à se décrocher la mâchoire.

Quand le dessinateur imagine les falaises normandes transformées en ruches humaines par des centaines de milliers de migrants britanniques, ou explore un Paris devenu en partie une cité flottante, on est souvent saisi par l'équilibre de ses compositions. Elles allient harmonie, créativité et sens en une image unique, en distillant uniquement par le biais de la grammaire visuelle les lignes de tension d'une uchronie moins lumineuse qu'il n'y paraît.

 

photoSavants fous, mais de très bon goût

 

Les délires urbanistiques ne sont peut-être pas le genre plastique le plus immédiatement associé avec la folie créatrice, et pourtant Laumond transcende l'exercice avec une aisance étonnante. Sa représentation des années folles, comme grignotées par la paranoïa d'une société craignant soudain d'être dévorée par sa propre nature et dopée par quantité de trouvailles steampunk, flatte constamment l'oeil.

Les perspectives amusent et il n'est pas rare de se laisser imprégner de ses images qui rappellent souvent la démesure d'un Bioshock, ou l'émerveillement vénéneux d'un Annihilation. On y retrouve ce plaisir immédiat de la catastrophe à venir, ce vertige d'une science indomptable. Les dessins font également mouche quand il faut imaginer des intérieurs, qui paraissent issus du cerveau d'un Jules Verne sous vitamines. De laboratoires en salons bourgeois, les pages revisitent les classiques de l'époque, mais les rehausses d'inventions baroques. Ainsi, Terra Prohibita s'ancre dans une tradition bienvenue, avec un beau niveau d'exigence.

Reste désormais à savoir quelle ampleur prendra le récit quand il abattra ses cartes et dévoilera d'où provient la menace végétale qui a bouleversé l'Europe, la vie de nos anti-héros, et quelles sont les intentions, encore mystérieuses, de ces derniers. Autant d'interrogations auxquelles il nous tarde de répondre tant la promesse plastique de Terra Prohibita est singulière et affirmée.

Ceci est un article publié dans le cadre d'un partenariat. Mais c'est quoi un partenariat Ecran Large ?

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commentaires
benj
20/01/2021 à 22:25

Merci pour cette découverte, je pense que je vais me laisser tenter et l'acheter.
C'est top, les BD que vous recommander me plaisent en général pas mal :)

Opale
20/01/2021 à 22:23

Très intéressant. Quelque part cela me rappelle Les Cités Obscures. Je vais me procurer cette BD de toute urgence. Merci pour la découverte.

Zedd
20/01/2021 à 21:38

Comme dit Abibak, vos articles de présentation sur les bd/comics/mangas sont vraiment trop bien ! J'ai découvert Spy X Family grâce à vous et j'ai surkiffé le manga. Et une fois de plus, ce que vous présentez m'intéresse !

Abibak
20/01/2021 à 20:28

Super vos articles sur les bd/comics.
Ca donne envie