Elden Ring, Sekiro, Dark Souls... Hidetaka Miyazaki, le maître des plus beaux cauchemars

JL Techer | 27 février 2022
JL Techer | 27 février 2022

Discret et taciturne, Hidetaka Miyazaki est l'homme derrière les Dark SoulsBloodborne Sekiro : Shadows Die Twice, et Elden Ring. Retour sur celui qui a créé un style à part entière. 

Comment un enfant difficile, une fois adulte et devenu un salaryman sans ambition réelle, a-t-il pu réussir à compter parmi les personnalités les plus importantes de l'histoire du jeu vidéo ? Rien ne le prédestinait à se tourner vers ce médium, et pourtant, en à peine plus de 10 ans de carrière, il est passé du stade de simple codeur à président de l'entreprise qui lui avait donné sa chance.  

Créateur visionnaire, passionné d'architecture, des jeux de Fumito Ueda (Ico, Shadow of the Colossus), mais aussi de titres classiques comme The Legend of Zelda et Dragon Quest, il cite des auteurs comme Kentaro Miura, Go Nagai, H.P. Lovecraft, Steve Jackson et George R.R. Martin comme principales influences.

 

Dark Souls : photoBurn, Baby, Burn

 

Des médiévaux fantastiques Demon's Souls et Dark Souls, au gothique flamboyant Bloodborne, jusqu'à la revisite du mythe du samurai avec Sekiro : Shadows Die Twice, son oeuvre est pétrie de fantasmes sombres, de créatures aux designs dérangeants et de légendes obscures. Au-delà de leur apparente difficulté, ce sont surtout des titres qui gratifient et récompensent comme nuls autres les joueurs qui auront su se dépasser et franchir les obstacles mis sur leur route. 

Il est "l'autre Miyazaki", celui qui crée de grandes danses macabres où se mêlent Eros et Thanatos, pulsion créatrice et confrontation à la mort. Il se nomme Hidetaka Miyazaki et a créé un genre à lui seul. Retour sur le parcours hors normes d'un enfant qui n'avait pas de rêves.

 

Demon's Souls : photoManif de gilets jaune version Miyazaki

 

Salaryman 

Né en 1974, le jeune Hidetaka Miyazaki a grandi dans un milieu social difficile à Shizuoka, une ville située à un peu plus de 100 kilomètres au sud de Tokyo, dans une famille qu'il a qualifiée lui-même de "extrêmement pauvre". Son seul passe-temps était la lecture, il y consacrait énormément de temps, dévorant les livres de la bibliothèque municipale, ses parents, simples employés de bureau, étant trop pauvres pour lui en acheter.

Parmi ses emprunts réguliers, la série de bouquins Les livres dont vous êtes le héros le fascinait. Certains des livres qu'il empruntait étaient en anglais, d'autres avec des kanjis complexes qu'ils ne maitrisaient pas. Cela ne l'empêchait pas de continuer ses lectures : il comblait les passages qu'il ne comprenait pas par un grand travail d'imagination. Un fait qui lui inspirera sa méthode de travail et de construction narrative de ses jeux plus tard. 

Ses parents lui avaient interdit de jouer aux jeux vidéo, car ils pensaient qu'il s'agissait d'un divertissement débilitant et sans intérêt, mais surtout bien trop couteux pour leurs maigres moyens. Il se consolait alors en jouant à des jeux de rôles sur tables comme Sorcery! ou Dungeons & Dragons, deux oeuvres qui auront une influence majeure sur son approche de la conception de jeu vidéo. 

 

Demon's Souls : photo qui bug ta mèreDonjons et "Oh My God un Dragon"

 

Dans une interview donnée à The Guardian, il se décrit enfant comme un jeune garçon difficile : "Contrairement à la plupart des enfants au Japon, je n'avais pas de rêve. Je n'étais pas ambitieux". Le contexte social difficile dans lequel il évoluait limitait quelque peu ses perspectives d'avenir, ou en tout cas il s'en était persuadé.

Il s'est laissé porter tout au long de ses études, dans lesquelles il n'était ni bon ni mauvais, et a fini par atterrir à l'université de Keio à Tokyo. Là encore, il a fait un choix par défaut, en optant pour les sciences sociales. Il trouvait quelques consolations dans la découverte des jeux vidéo. Pas vraiment passionné par les études, avant même l'obtention de son diplôme, Miyazaki est embauché par la société informatique américaine Oracle Corporation comme technicien. Il avait songé à un moment postulé dans une entreprise de jeux vidéo, mais avait fini par y renoncer. 

Hidetaka Miyazaka se consacre à son travail, sans envie ni ambition particulière, comme des millions d'autres salary-men japonais. Coincé dans une routine métro, boulot, dodo, rien ne le prédestinait à devenir l'un des acteurs majeurs du jeu vidéo du XXIe siècle. Jusqu'à ce qu'une rencontre le bouleverse à tout jamais. 

 

Dark Souls 3 : photoPhoto de Miyazaki en tant que salaryman

 

Le choc Ico

Quelques années après son entrée dans la vie active, entre 2001 et 2002, Miyazaki a retrouvé par hasard un ami avec lequel il allait à l'université. Celui-ci l'invita à jouer à quelques jeux vidéo parmi lesquels se trouve Ico, un jeu d'aventure conçu par Fumito Ueda sur PlayStation 1. À mi-chemin entre le récit initiatique et le conte de fées tordu, le jeu avait un concept simple : explorer un château tout en protégeant une jeune femme d'étranges ombres qui la poursuivent. Ico a été un choc pour Miyazaki

Avec son apparence minimaliste, son game-design basé sur deux crédos : le "show, don't tell" ("montrer, ne pas raconter"), et le design par soustraction (qui consiste à ôter tout élément superflu du jeu, jusqu'à obtenir une forme la plus pure possible), le jeu a exercé une fascination sur un Hidetaka pas encore trentenaire. 

 

Ico : photoArchitecture démesurée, aventure absconse, les graines de Dark Souls sont là

 

Dans une sorte d'épiphanie quasi mystique, le jeu allume une flamme dans l'esprit du jeune homme, qui ne s'éteindra jamais. Lors d'une interview donnée au magazine Famitsu pour les vingt ans du jeu de Fumito Ueda, Miyazaki a insisté sur le fait que Ico a été le déclencheur. Celui qui lui a révélé le potentiel narratif du médium jeu vidéo et a modelé sa façon de penser le game-design : 

"Je n’exagère pas en disant que c’est le jeu qui a changé ma vie, et je suis fier qu’il l’ait été. Ce jeu était Ico et le jeu de Fumito Ueda. [...] En tant que fan, j’attends avec impatience [ses] nouveaux jeux. La mythologie qui court à travers [ses] jeux, y compris Ico, a toujours été un de mes objectifs.”

L'idée de ce que doit être un jeu vidéo tant dans sa narration que dans son game-design et son esthétique prend forme dans l'esprit de Miyazaki. Les heures de jeux passées sur Sorcery ! et Dungeons & Dragons, ses lectures de mangas (en particulier ceux de Kentaro Miura et de Go Nagai) et de littérature fantastique, et son expérience sur Ico étaient en train de s'unir pour créer une formule qui n'appartenait qu'à lui.

 

Demon's Souls : photoPoursuivi par les flammes de l'inspiration

 

Un problème subsistait cependant : à 29 ans, comment pouvait-il faire pour se lancer dans le milieu du jeu vidéo ? Trop vieux pour reprendre des études, et trop inexpérimenté pour être embauché chez des grands du JV, il était dans une voie de garage, frustré et déçu de sentir son envie de créer muselée. Il était prêt à tout pour accomplir le premier rêve qu'il avait dans sa vie, quitte à sacrifier sa confortable situation de salaryman. 

Il prit alors la décision de démissionner de Oracle Corporation, à la stupeur générale. Au Japon, une fois employé, on le reste jusqu'à la retraite. Le rêve d'Hidetaka était trop fort, il devait le mener à bien, qu'importe les risques. La chance a fini par lui sourire. Une société nommée FromSoftware accepte de lui donner sa chance, le recruteur ayant été impressionné par la ferveur de Miyazaki. Il a été embauché contre un salaire de misère.

FromSoft est alors principalement connu pour la saga d'action-RPG en vue à la première personne King's Field, des jeux PlayStation à la difficulté hardcore, et à la narration éclatée, voire occulte. Le jeu de ses rêves allait devoir patienter, puisqu'il devrait d'abord faire ses preuves sur le jeu de meccha Armored Core : Last Raven sorti en 2005 sur PS2, pour lequel il a dû se contenter d'un rôle lénifiant, en entrant des lignes de codes. 

 

Hidetaka Miyazaki : king's fieldKing's Field, lointain ancêtre des Souls

 

Les âmes du démon

Malgré son manque d'expérience, Hidetaka a rapidement montré sa volonté d'aller de l'avant, et est devenu une personne-ressource pour la petite entreprise qu'était FromSoftware. Non pas qu'il ait été un excellent codeur ou concepteur de jeu, mais il ne rechignait jamais à la tâche, et pouvait passer de longues heures à tenter de trouver des solutions à des problèmes complexes. 

Promu réalisateur de la série de jeu de meccha, il dirige une petite équipe qui produit Armored Core 4 sur PS3 et Xbox 360 en 2006 et Armored Core : For Answer en 2008. Des titres moyennement appréciés par la critique, mais qui sont parvenus à séduire un public de niche, avide de grosses mécaniques bien huilées. 

Alors qu'il finalisait Armored Core : For Answer, Miyazaki a entendu parler d'un projet d'une autre équipe de FromSoftware : Demon's Souls. Le jeu, lointain héritier de King's Field, connaissait de grandes difficultés. Ce qui devait être un action-RPG à l'ambiance médiévale fantastique n'était qu'un immense gâchis. Embourbée depuis trois ans dans un développement chaotique, l'équipe n'arrivait pas à produire de prototype solide, et la pression était d'autant plus forte que le titre devait être une exclusivité PS3 éditée par Sony. Le projet était à deux doigts de l'annulation. 

 

Demon's Souls : photoDemon's Souls était mal barré

Les cadres et développeurs voulaient tous quitter le navire Demon's Souls, mais Hidetaka y avait vu l'opportunité de créer le jeu de ses rêves. Après quelques négociations, Miyazaki a reçu la direction du projet, avec carte blanche pour y inclure même ses idées les plus farfelues. Si c'était un échec, tant pis, puisque tout le monde pensait le projet déjà mort. Le jeu avait reçu ce qui lui manquait : une vision, une direction vers laquelle tendre. 

Quand le réalisateur reprit les rênes, il fit le choix de jeter presque tout ce qui avait été fait auparavant sur Demon's Souls. Le game design est entièrement modifié, le concept du  jeu est repensé, et seuls les assets graphiques ont été conservés. Miyazaki a profité d'avoir les coudées franches pour inclure des tonnes d'ennemis, d'énigmes mystérieuses et de personnages laconiques. Il voulait cependant éviter à tout prix que son jeu ne devienne un hack'n'slash où l'on moissonne des ennemis à la chaine. 

 

Demon's Souls : photoChaque combat peut-être mortel

 

Pour éviter cela, il fit le choix de relever le challenge, de rendre chaque ennemi potentiellement mortel, dans l'optique d'un "Nintendo Try Hard" comme les jeux de l'ère 8/16 bits. Il voulait se positionner à l'opposé de la tendance d'assistanat qui s'installait alors dans le paysage vidéoludique. En moins d'un an, Miyazaki est parvenu à rebâtir le jeu à sa guise, et il brulait d'impatience de le présenter au public.

Il l'a fait lors du Tokyo Game Show de 2008, pour un résultat catastrophique... Certains joueurs n'allaient même pas au-delà de l'écran de création d'avatar. Le titre semblait voué à l'échec. À sa sortie en 2009, le jeu ne s'est vendu qu'à 20 000 exemplaires au cours de sa première semaine. Un échec cuisant pour Miyazaki, qui a vécu cela comme une défaite personnelle.

Après s'être consacré corps et âme à ce projet, personne ne s'y intéressait. Il se demandait si cela valait la peine de continuer. Comme ses héros qui meurent et reviennent à la vie, Demon's Souls a connu une seconde vie

 

Demon's Souls : photoPremier destin de Demon's Souls

 

consécration 

Les joueurs qui ont apprécié le jeu n'arrêtaient pas d'en parler. Les forums d'entraide et d'explication de lore se créaient à la chaine. Lentement, le titre faisait parler de lui et gagnait en popularité, à mesure que le public découvrait à quel point il était gratifiant de franchir les obstacles et de vaincre les énormes ennemis du jeu.

De plus, en Europe et aux États-Unis, la critique était dithyrambique, le jeu récoltait plusieurs awards, dont plusieurs titres de jeu de l'année. Fin 2010, le titre avait atteint le chiffre de vente honorable de 300 000 ventes. FromSoftware considérait cela comme un succès. Fin 2011, il a atteint le million d'exemplaires vendus, un chiffre impensable pour un jeu au lore si cryptique et à la proposition si extrême.

Face à un tel succès, décision est prise de mettre en chantier une suite à Demon's Souls. Les pontes de FS souhaitaient avoir un Demon's Souls II. Pour des raisons de droit, le jeu ne pouvait pas s'appeler Demon's Souls 2, car le nom appartenait à Sony, alors que le nouveau jeu allait être édité par Bandai Namco. Miyazaki opta donc pour Dark Souls.

 

Dark Souls : photoLe Démon Capra a provoqué bien des cauchemars

 

Hidetaka voulait pousser le concept encore plus loin, en offrant aux joueurs un vaste monde avec des zones immenses interconnectées, que l'on pourrait explorer sans temps de chargement. Le projet allait conserver tous les marqueurs de dark fantasy du précédent : dragons, monstres, obsessions autour de la flamme et du feu (métaphore de la pulsion créatrice), lutte millénaire entre d'anciens dieux... Le jeu devait offrir un lore inédit avec des connexions avec DS1, pour créer une sorte de multivers Souls, et chaque mécanique de jeu devait se justifier dans la diégèse

Les joueurs de Demon's Souls souhaitaient encore plus de challenge. Ils allaient être servis. Le réalisateur a donc imaginé une expérience plus gratifiante, avec des caps de difficultés plus sévères, jamais infranchissables, mais qui exigeraient des joueurs un investissement toujours plus grand pour un sentiment de satisfaction plus grandiose encore une fois la tâche accomplie. D'une certaine manière, il créait une métaphore de son propre vécu : pour réussir à atteindre son but, il faut tout sacrifier, et aller jusqu'au bout quitte à endurer de grandes épreuves

 

Dark Souls : photoDes boss toujours plus impressionnants

 

Livré en pâtures aux lions en 2011, la réception du soft fut très différente de celle réservée à son prédécesseur. Encensé par la presse, et accueilli à bras ouvert par le public, en une semaine il s'est vendu plus de Dark Souls que de Demon's Souls au cours de sa première année d'exploitation. La réussite du titre était telle qu'elle a mis Miyazaki en pleine lumière, et a inspiré de nombreux jeux chez d'autres éditeurs.

Le terme "Souls-like" a fini par apparaître (comme Doom a donné naissance aux Doom-like), afin de qualifier ces softs qui s'inspirent de Dark Souls, en ce qui concerne son level-design complexe, son feeling en combat très exigeant, ou sa narration minimaliste. Des titres comme Lords of the Fallen (et plus tard Nioh, The Surge...) tentaient de retrouver le feeling Souls, sans pour autant satisfaire les fans de la licence de FromSoftware. Miyazaki avait créé un genre à part entière dont lui seul détenait les clés

 

Dark Souls : photoSurmonter toutes les difficultés, in-game comme dans la vraie vie

 

Vous êtes mort (encore)

Dans le monde de l'entertainment, qui dit succès, dit suite. Dark Souls ne pouvait pas déroger à la règle. Pas de bol pour FromSoft, Miyazaki n'avait pas envie de refaire un Souls. Il souhaitait produire un titre qui serait plus encore empreint des histoires d'horreur gothiques qu'il lisait adolescent, un jeu qui aurait pour inspiration les écrits de H.P. Lovecraft, Edgar Poe et de Bram Stoker. 

La pression des cadres était pourtant trop forte, et en 2012 décision fut prise de réaliser Dark Souls II. Une équipe sous la houlette de Tomohiro Shibuya (ancien designer pour Capcom) et Yui Tanimura (un vétéran de chez FromSoft) fut affectée à la création du titre. Miyazaki ne devait être que superviseur sur DS2, afin de pouvoir se consacrer à son nouveau projet, au nom de code "Project Beast", renommé plus tard Bloodborne. Le projet était d'autant plus important que Sony et FromSoft avaient signé un contrat d'exclusivité pour que ce prochain titre soit une exclusivité PlayStation 4. 

 

Dark Souls 2 : photoDark Souls 2, on prend les mêmes et on recommence

 

Dès 2012, Bloodborne était mis en chantier. Attendu pour 2015, il accaparait toute l'attention du réalisateur. Pour concrétiser au mieux sa vision, il a demandé à ses supérieurs de pouvoir partir avec quelques collègues en Europe, afin de faire des recherches architecturales, et s'imprégner de l'ambiance des lieux. Miyazaki et l'équipe ont pu visiter la Roumanie et la République tchèque, s'imprégnant de leur grandeur gothique. 

Pour son entrée sur cette nouvelle génération de console, FromSoft voulait frapper très fort. Le jeu devait conserver l'essence des Souls, avec son système de sauvegarde particulier (feux de camp), et son level design alambiqué, mais Miyazaki voulait twister la formule en rendant le jeu plus agressif, récompensant les joueurs qui prendraient plus de risque.  

 Bloodborne : photoBloodborne, chef-d'oeuvre d'horreur gothique

Parallèlement à cela, attendu pour une sortie en 2014, Dark Souls 2 n'avançait pas. La conception d'un nouveau moteur graphique avait tourné au fiasco, DS2 était injouable, mal équilibré et buggé. Les deux réalisateurs, Tomohiro Shibuya et Yui Tanimura, étaient en désaccord, les développeurs avaient des instructions contradictoires : le manque de vision créative était en train de détruire le jeu.

Après une restructuration, Tanimura était seul maitre à bord. Sa seule tâche : réparer le gâchis DS2. En reprenant tout de zéro, Tanimura avait fini par rendre le titre acceptable pour les critères exigés par FromSoft et par un Miyazaki gardant un oeil sur le développement. Dark Souls 2 a réussi à renouer avec le succès à sa sortie. Mais de nombreuses critiques ont été adressées au titre, qui manquait de personnalité comparé à ses deux prédécesseurs. L'absence de Miyazaki aux commandes avait failli signer l'arrêt de mort de la série. 

 

Dark Souls 2 : photoDark Souls 2 luttant pour sa survie

 

Dans le même temps, Miyazaki avait acquis une telle réputation publique, et était si apprécié pour ses méthodes de travail au sein de FromSoftware (et pour avoir sauvé DS2 en catimini) qu'il finit par être nommé président de la société FS en mai 2014, succédant au fondateur de la société, Naotoshi Zin. Certains cadres estimaient même que Demon's et Dark Souls avaient sauvé l'entreprise.

Avec malice, il avait déclaré à The Guardian à propos de cette promotion : "Maintenant que je suis président, je rencontre beaucoup d'autres présidents d'entreprise. Ce sont des gens tellement bizarres. Je suis fasciné par eux. J'en utilise certains comme personnages ennemis dans nos jeux".  La légende ne dit pas lesquels d'entre eux se sont retrouvés dans Bloodborne

 

Bloodborne : photoC'est le président de quelle société celui-ci ?

 

Lovecraft et Miyazaki sont sur un bateau

Fraichement auréolé de son titre de président de FromSoftware, Hidetaka Miyazaki présente Bloodborne au public lors de l'E3 de juin 2014, pendant la conférence de Sony. Comme à son habitude, la communication est succincte, l'homme ne supportant pas la communication à outrance, il préférait garder le secret afin de pouvoir travailler en toute sérénité sur ses projets. 

Un an plus tard, en mars 2015, Bloodborne arrivait sur PS4, et faisait l'effet d'une bombe. Le changement de ton, passant de la dark fantasy médiévale à un roman d'horreur gothique a immédiatement conquis le public. La critique est unanime : c'est un chef-d'oeuvre. Tout en conservant la patte FromSoftware, le titre est parvenu à renouveler le genre du Souls-Like. L'avatar était plus rapide, plus souple, le gameplay laissait la part belle à l'agressivité, et le scénario, bien que toujours mystérieux, devenait tout de même plus lisible. 

 

Bloodborne : photoEt on a même un flingue

 

L'histoire se racontait par l'environnement, qui subissait des changements subtils tout au long de l'aventure, et par les multiples descriptions d'objets (c'était déjà le cas dans les Demon/Dark Souls) conformément à la théorie du "Show, Don't Tell". Lors de la promotion pour Bloodborne, Miyazaki expliquait : 

"Je veux laisser aux joueurs le soin de découvrir et d'interpréter les traditions et les histoires du monde. C'est la principale raison pour laquelle je me concentre sur la narration environnementale et subtile. Au lieu que le jeu raconte automatiquement l'histoire, les joueurs en tireront davantage profit s'ils découvrent eux-mêmes des indices de l'intrigue à partir des objets et des personnes qu'ils rencontrent dans le monde."

En moins d'une semaine, le jeu s'est vendu à plus d'un million d'exemplaires (2 millions en six mois), et est devenu un system-seller : les fans achetaient une PS4 pour pouvoir jouer au dernier titre de Miyazaki. Le site Forbes désignait Bloodborne comme étant "le sauveur de la PlayStation 4". Certains journalistes affirmaient même qu'il s'agissait du premier véritable jeu de la nouvelle génération de consoles. 

 

Bloodborne : photo"Tant que dure la lune rousse, les fruits sont sujets à fortune"

 

Une fois encore, FromSoftware prouvait qu'il existait une place pour des jeux à part, allant à contre-courant de l'uniformisation des jeux AAA. Les fans de Miyazaki étaient de plus en plus nombreux, et leur cercle s'élargissait à chaque nouvelle sortie. Plus que jamais les jeux estampillés FromSoftware étaient bankables. 

Bien que Miyazaki souhaitait prendre ses distances vis-à-vis de la série Souls, il décida de reprendre les rênes d'un ultime épisode, afin de satisfaire les fans frustrés par Dark Souls 2, et pour faire entrer cette saga dans la next-gen. En réalité, la production d'un DS3 avait été entérinée en 2013, avant même le lancement de DS2. Le créateur de la saga étant affairé sur Bloodborne, il n'a rejoint l'équipe créative qu'après le lancement de ce dernier, soit en 2015. Cela ne l'avait cependant pas empêché de garder la main mise sur le projet.

 

Bloodborne : photoDes boss incroyables

 

retour aux sources et envies d'ailleurs

Dark Souls 3 devait être le point final de la saga des Souls. Co-réalisé par Isamu Okano (Steel Battalion) et Yui Tanimura (Dark Souls 2), Miyazaki contrôlait le projet, tout en dirigeant la société FromSoft. Une fois de plus, le jeu était extrêmement attendu, et DS3 n'a pas déçu. Plus beau, plus vaste, plus riche que tous les Souls précédents, il représentait la digne conclusion de la saga que tous espéraient

Bloodborne était passé par là, et le système de combat de DS3 a bénéficié d'une plus grande souplesse, certaines armes bénéficiant de coups spéciaux (weapon arts) dévastateurs. Le titre était beaucoup plus accueillant pour les nouveaux venus, sans pour autant concéder quoi que ce soit au crédo d'exigence et au concept de frustration/récompense propre à la série. 

 

Dark Souls 3 : photoUn défi toujours plus grand

 

Marque de fabrique de FromSoftware, la galerie des boss était exceptionnelle, et le titre réservait les combats de boss parmi les plus épiques de la saga. Les affrontements contre Lorian et Lothric, face à l'Âme des Cendres ou Midir, le fléau des ténèbres, sont restés gravés dans les mémoires. Encensé par les joueurs et par la critique, Dark Souls 3 est devenu le soft le plus vendu de l'histoire de l'éditeur Bandai Namco (3 millions d'exemplaires en quelques semaines). À ce jour, il s'est écoulé plus de 10 millions de DS3, et la saga compte 27 millions de copies vendues

Le dossier Dark Souls à peine clos, Hidetaka Miyazaki réfléchissait déjà à l'avenir. Après avoir exploré les méandres de la dark fantasy médiévale, et l'horreur gothique, le créateur avait envie de changer de registre. Il créa la surprise en révélant le jeu Déraciné (en français dans le texte) en 2018, un titre PS4/PSVR, qu'il a conçu avec une équipe réduite. Celui-ci permettait au joueur d'incarner une fée qui devait résoudre des énigmes afin de changer le destin des résidents d'un orphelinat. 

 

Déraciné : photoDéraciné : la curiosité est un vilain défaut

 

Une curiosité dans la ludographie de Miyazaki et de FromSoftware, mais le jeu conservait tout de même quelques thématiques chères à l'équipe : la dualité existence VS non-existence, la conséquence de ses décisions sur la vie d'autrui, un scénario que l'on devait reconstruire par pièces, etc. Le véritable retour de FromSoft aux affaires allait se faire grâce à un titre qui a fait date dans l'histoire de Miyazaki : Sekiro, Shadows Die Twice

Dès les premières annonces concernant Sekiro, le public était déboussolé. Adieu les mythes occidentaux, Miyazaki avait décidé de renouer avec le folklore japonais. Pour la première fois dans un Souls, le héros parlait, et les joueurs n'avaient pas le choix de leur avatar. Le scénario serait plus clair et cerise sur le gâteau : le titre allait être édité par l'éditeur américain Activision et non pas par Bandai Namco

Concernant l'implication d'Activision, le réalisateur avait expliqué lors d'une interview accordée à JVC que l'éditeur leur avait permis de rendre leur formule plus accueillante, sans pour autant renier l'ADN de la formule SoulsBorne historique : 

"Activision nous a aidés à consolider certains des domaines où nous n'étions pas les plus à l'aise. C'est par exemple le cas de toute la partie tutoriel du jeu, de celle du confort du joueur aussi. Activision a été de bon conseil pour Sekiro, le projet leur a tout de suite plu et ils nous ont laissé une très grande marge de liberté dans nos décisions de game design."

 

Sekiro : Shadow Die twice : photoLe mythe du samurai revu par Miyazaki

 

Beaucoup craignaient que cette alliance avec les Américains ne signe l'arrêt de mort de l'identité des jeux de Miyazaki. Des craintes qui ont été balayées dès l'arrivée du titre en 2019. Certains fans avaient regretté la disparition de l'aspect RPG des titres précédents, au profit d'une plus grande immédiateté, de combat plus nerveux que jamais, et d'un héros virevoltant et bondissant, du jamais vu dans les jeux Souls. Cependant, le sang de FromSoftware était bien là, la preuve en est les débats sur la difficulté du titre qui avaient pollué les réseaux sociaux. 

Ceci n'a pas empêché Sekiro d'être un immense succès, avec plus de 5 millions de jeux vendus en moins d'un an d'exploitation. Le titre a reçu une flopée de récompense, dont celle de jeu de l'année aux Game Awards 2019. Ce fut l'une des rares occasions de voir Hidetaka Miyazaki prendre la parole en public. 

 

 

Un anneau pour les gouverner tous

Toujours avide de challenge et de prise de risque, Hidetaka Miyazaki ne comptait pas se reposer sur ses lauriers après Sekiro. Alors que beaucoup pensaient que son jeu suivant serait dans la même veine que son jeu de samurai, avec une plus grande composante narrative, et une histoire plus linéaire, le réalisateur voulait prendre tout le monde à contre-pied.

En 2019, le public des Souls n'avait d'yeux que pour le remake de Demon's Souls sur PS5 par BluePoint, mais Miyazaki n'a rien à voir avec ce développement, la propriété intellectuelle de la licence appartenant à Sony. Le jeu fut l'un des fers de lance de la PS5 à son lancement en 2020, preuve du constant attrait du public pour la licence. 

Au cours d'une annonce faite à l'E3 2019, FromSoftware révélait l'existence d'Elden Ring, un titre renouant avec la fantasy, écrit à quatre mains, en collaboration avec G.R.R. Martin, l'auteur de Game of Thrones. En tant que fan du travail de Martin, Miyazaki lui a proposé de travailler avec lui sur la création d'un monde de fantasy épique, ce que l'écrivain a accepté avec joie. 

 

Elden Ring : photoLe déjà culte Godrick le Doré

 

Le réalisateur a révélé à la presse qu'Elden Ring serait un open-world, et que le projet avait été lancé dès 2017. Lors d'une entrevue avec IGN, il a déclaré "avec un monde plus vaste, de nouveaux systèmes et mécanismes d'action deviennent inévitablement nécessaires. Je pense qu'Elden Ring est une évolution plus naturelle de Dark Souls". Plus qu'une évolution, c'est une révolution pour FromSoftware. 

En optant pour une formule en monde ouvert, FromSoftware et Miyazaki jouent gros. Les fans hardcore des SoulsBorne l'attendent au tournant, d'autant plus que les équipes de FS ont eu le malheur de dire que leur jeu serait le plus accessible de toute leur ludographie. Un véritable parjure pour ceux qui recherchent l'expérience la plus rude possible. 

Comment le style Miyazaki pourrait-il s'adapter à un open-world ? Le design par soustraction, l'architecture complexe de zones interconnectées, la narration minimaliste, à la fois éclatée et cryptique, tous ces marqueurs du travail de Miyazaki semblent difficilement conciliables avec un action-RPG en monde ouvert. 

 

Elden Ring : photoUne architecture toujours aussi démesurée

 

Et pourtant, les développeurs ont tout fait pour contenter à la fois les nouveaux venus curieux de ces titres dont l'aura est tout autant fascinante que repoussante, et les roublards qui ont déjà parcouru et conquis les terres des SoulsBorne. Elden Ring sera-t-il l'oeuvre somme de toute la carrière de Miyazaki ? 

Alors qu'Elden Ring n'est pas encore disponible à l'heure où sont écrites ces lignes, des rumeurs insistantes suggèrent que Miyazaki travaillerait actuellement sur le retour de la licence de meccha Armored Core. Étant donné qu'il s'agit de la première licence FromSoftware sur laquelle il a travaillé, cela serait une sorte de retour aux sources pour le créateur d'Elden Ring. Hidetaka Miyazaki compte-t-il appliquer la formule gagnante des SoulsBorne à un jeu impliquant des robots géants et des complots politiques à grandes échelles dans un univers post apocalyptique, ou surprendre encore en changeant de paradigme ? Il faudra se montrer patient pour le savoir. 

 

 

En à peine plus de 10 ans, Hidetaka Miyazaki a bâti une véritable institution (certains diront même une Église) du jeu vidéo. De simple salaryman à président d'une société de JV très en vue, sa vie est une success-story qui tient presque du rêve américain. Les SoulsBorne ont bouleversé le paysage vidéoludique.

Entre pulsions créatrices permanentes et envies d'horizons macabres, l'enfant qui n'avait ni ambition ni rêve est parvenu à créer un genre de jeu à part entière. Demon's Souls, Dark Souls, Bloodborne et Sekiro ont souvent été imités, mais rarement égalés dans le coeur des fans de FromSoftware.

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commentaires
Momo
28/02/2022 à 16:18

"Réclamer depuis des années par des millions de joueurs, le mode facile n'est toujours pas présent dans leur nouveau jeu."

Un mode facile détruirait l'ame du jeu.. Car sans ça les mécanismes seront rendu caduc et le jeu perdait de son challenge, ca ne serait qu'un jeu ou le perso pese une tonne et tape tout lentement.. autant jouer à un Devil May Cry

Elden Ring en plus permet de fuir et de level up ailleurs contrairement à avant ou tu étais obligé de suivre le chemin

Jean quiquine
27/02/2022 à 16:15

Les jeux from software... Réclamer depuis des années par des millions de joueurs, le mode facile n'est toujours pas présent dans leur nouveau jeu. Ces jeux sont un piège et personne ne dit rien. Pour un million de jeu vendu, seul 10000 ou 20000 personnes passerons le premier boss. A leur place j'aurais HONTE

Quaker77500
27/02/2022 à 15:42

Vieux blasé du jeux vidéo, les jeux de from sont les seuls que j'ai fini depuis des années haha. Je suis pas fan des jeux hard core pourtant mais j'adore tellement leur ambiance et la narration cryptique... Je pense qu'il faut saluer le travail de yuka kitamura aussi,elle a fait quelques musique de bloodborne et dark souls 2 mais elle est devenue compositrice principal de from software depuis dark souls 3. Et au delà de sa musique que je trouve fabuleuse, c'est vraiment l'alchimie avec l'ambiance des jeux de fromsoft qui m impressionne

Mimi Caca le caca elle aime ça
27/02/2022 à 13:34

@Kyle Reese : perso le hardgaming des Dark Soul/Sekiro m'a toujours rebuté. Là je tente l'expérience Elden Ring depuis vendredi, et je nage dans le bonheur : l'open world permet de diminuer la frustration (fuite et possibilité d'aller ailleurs en attendant d'être assez balaise pour péter un boss) et c'est c'est juste magnifique de génie dans le gameplay et gamedesign ... toi qui aime la découverte et les décors grandioses, ce jeu semble fait pour toi.

Kyle Reese
27/02/2022 à 11:36

Tous ces jeux sont beaux, j’aî joue à Dark soul 3 et Sekiro mais trop dur pour moi pour y trouver un vrai plaisir. Trop de répétition pour tuer les boss pour pouvoir avancer.
Surtout que l’un de mes plaisirs vidéo ludique avant tout est la découverte de paysages et décors grandioses.
Très bonne nouvelle qu’il aille se pencher sur le retour des Armored Core. J’étais un fan des jeux de robots géants. Curieux de voir si ça le plairait encore.