Ecrans 120 Hz et au-delà : vraie révolution ou mensonge marketing ?

Pierre Berthoux | 22 mai 2023
Pierre Berthoux | 22 mai 2023

Dans le milieu vidéoludique comme cinématographique, la fréquence d’image compte. Qu’il s’agisse de production ou de retranscription, le nombre d’images par seconde change une œuvre et notre perception de celle-ci. Mais jusqu’où nos sens peuvent-ils suivre ? Passée une certaine limite, pousser ce chiffre toujours plus loin ne relève-t-il pas du gadget inutile ?

Il ne vous aura pas échappé que vos yeux ne sont pas bioniques. Bien que l’on parle déjà de transhumanisme, les implants sont encore très rudimentaires et le futur représenté dans Terminator ou Cyberpunk 2077 reste relativement lointain.

Par conséquent, et malgré nos progrès en la matière, nos pauvres sens humains demeurent assez restreints. Pas de vision nocturne ni à rayons X, pas de perception des hautes vélocités ou de puissant zoom, alors à quoi bon démultiplier les capacités d’écrans dont personne ne profitera ?

Sur le même sujet : le HFR (High Frame Rate), qui avait tant divisé sur Le Hobbit et Avatar 2.

 

 

Des limites physiologiques

Combien d'images par seconde notre œil peut-il percevoir ? En réalité, cette question n'est pas si évidente car cela dépend grandement du contenu que nous visionnons. Beaucoup affirment que la limite physiologique de l'œil se manifeste au-delà d'un certain seuil de FPS (frames per second), mais cela s'avère inexact car tout est une question de perception. Par exemple, un film projeté à 30 FPS n'en est pas pour autant moins fluide et à l'inverse, un adepte de gaming trouvera God of War : Ragnarök injouable s'il ne dépasse pas ce seuil.

Parler de limites physiologiques à la perception d'images par seconde revient à considérer l'œil humain comme une machine graphique à part entière. Cela fait fi de la puissance sensorielle du corps humain qui peut tout seul vous créer l'illusion d'un mouvement fluide, même à 12 images par seconde. On parle alors de "persistance rétinienne", autrement dit le fait qu'une image laisse une trace sur notre cornée environ 1/25ème de seconde après sa disparition.

C'est d'ailleurs ce même procédé qui nous permet de ne pas percevoir les frames noires entre les différentes images projetées au cinéma. À cela s'ajoute des raccourcis faits par votre cerveau pour rendre votre perception du monde plus fluide, à l'image de "l'effet phi" qui donne une impression de déplacement entre plusieurs images fixes.

 

Matrix : Néo esquive les ballesOn en connait un qui n'a que faire de tous ces termes techniques...

 

24 images par seconde : la norme pour le grand écran

Le cinéma a bien compris l'intérêt de mieux exploiter les qualités d'illusion de notre cerveau car la fluidité n'est pas liée à l'augmentation systématique du nombre de FPS. En effet, les films s'en tiennent généralement à cette fameuse norme des 24 FPS qui fut déterminée dans les années 1920, principalement pour des raisons de coûts : il s'agissait alors du taux minimal d'images par seconde pour donner une impression de fluidité et de réalisme au film.

Au cours des années 2000, on a même vu des petits écrans diffuser les films en 14 FPS, sans que cela n'impacte grandement le rendu. Il faut dire que notre perception de la fluidité peut aussi varier en fonction de la surface de projection.

 

Avatar : La Voie de l'eau : photoAvatar 2 alterne entre 24 et 48 images par secondes 

 

Dans le même temps, il est bon de rappeler que la focale des caméras est capable de capturer le flou de mouvement (aussi appelé motion blur) en 24 FPS, et donc de créer cette illusion que notre cerveau perçoit naturellement. Ce petit détail permet aux films de se passer d'un taux d'images par seconde plus élevé, tout en proposant une fluidité réaliste. 

Paradoxalement, les quelques films qui ont tenté de pousser les FPS se sont heurtés à un accueil plus que mitigé. On pense notamment à la trilogie Le Hobbit, qui a véritablement défrayé la chronique lors de sa sortie en 2012 à cause de son rendu jugé artificiel par une partie du public. Sans même parler des maux de crâne dont souffraient certains spectateurs en fin de séance...

 

Le Hobbit : Un voyage inattendu : Version longuePremier réflexe en sortant du cinéma : se laver les yeux à l'eau de Javel

 

Une plus grande liberté pour le gaming 

Dans les jeux vidéo, c'est assez différent. En effet, le rendu y est bien plus "brut" que celui d'une caméra, ce qui engendre des saccades en 24 FPS. Pour contrer ce phénomène d'images hachées, les développeurs ont donc essayé divers subterfuges avec, entre autres, un flou de mouvement artificiel qui atténue le ressenti de saccades.

Mais revers de la médaille : la visibilité en prend un sacré coup, rendant certains jeux pratiquement injouables avec cette option graphique. Essayez donc d'enchaîner les one shots au sniper dans Call of Duty : Black Ops avec le motion blur, et vous comprendrez.

  

High-tech base de données : Fréquence affichage écrans - image floue FPSViser trois pixels avec du flou de mouvement peut vite devenir extrêmement frustrant

 

Finalement, la meilleure solution restait donc d'augmenter le nombre de FPS pour garder un rendu fluide et réaliste, tout en conservant la netteté des éléments ambiants, si importants pour assurer une bonne jouabilité. Et à ce niveau, la limite est assez élevée puisqu'on estime que l'œil humain est capable de percevoir une différence jusqu'à 250 FPS, voire plus pour certains joueurs professionnels. Et au-delà de ce seuil, c'est la perception naturelle du flou de mouvement qui prend le relais.

Mais certains jeux n'ont pas abandonné le motion blur artificiel pour autant. Bien moins amplifié qu'il n'était à ses débuts, il permet en effet d'améliorer le rendu en dessous des 60 FPS et peut être désactivé à tout moment dans les options graphiques. Soit on aime, soit on déteste, mais au moins on a le choix.

 

High-tech base de données : motion blurLe "motion blur", ou meilleur moyen de tirer sur ses coéquipiers sans même s'en rendre compte

  

FPS ou Hz : quelles différences pour quelle finalité ?

Avant tout, clarifions : pourquoi parle-t-on de hertz pour les écrans et de FPS pour le contenu ? Le premier exprime le taux de rafraîchissement dudit écran, soit un rafraîchissement de l’image 240 fois par seconde, pour un 240 Hz. Il en va de même pour les FPS qui, pour un jeu en 60 FPS, produira 60 images par seconde.

Mais si certains les utilisent de manière interchangeable, les hertz sont propres aux écrans et les FPS à ce qui produit les images (par exemple, ici, la carte graphique d’un ordinateur et le programme en question). En somme, l’un est en amont de l’autre, et posséder un écran ayant un nombre de hertz extrêmement élevé restera inexploité si le contenu propulsé tourne maximum à 30 FPS. Les deux se doivent d’être en adéquation pour améliorer les performances de rendu globales. Autrement, c’est l’équivalent de louer une salle IMAX pour une soirée diapos en famille.

 

High-tech base de données : Fréquence affichage écrans - oeilNos capteurs naturels, aussi fragiles que puissants

 

De la même manière, si un contenu tente d'afficher 120 FPS, mais que votre écran est limité à 60 Hz, vous ne pourrez bien évidemment pas le faire tourner à son maximum. Cela suppose aussi de posséder une carte graphique ainsi qu’un processeur puissant pour gérer le tout, d’autant plus si vous souhaitez garder une forte résolution simultanément.

Si toutes les planètes s’alignent et que votre fortune vous permet d’acheter une telle machine de guerre, alors les ressources pourront être exploitées à plein régime. Mais même dans ce cas, pour l’heure, investir dans un tel écran reste un pari sur l’avenir, notamment puisqu’il n’existe que très peu de films ou de contenus intégralement en 120 FPS.

 

High-tech base de données : Fréquence affichage écrans - capture écran FPS - HzPreuve par l'image (arrêtée) de l'atténuation du flou

 

Une technologie inutile ?

Maintenant cela posé, revenons à notre « à quoi bon ? ». Certaines personnes insistent sur l'importance de pouvoir faire la différence au-delà de 240 Hz/FPS et donc tirer parti de telles configurations. Bien que cela ne plaide pas pour des modèles encore plus puissants, les solutions actuelles seraient donc à la portée de nos sens.

Cependant, les preuves de cela sont minces, voire inexistantes. La science n’a pas encore pu mettre en évidence, avec certitude, des capacités humaines dépassant un seuil de 120 Hz/FPS. Si des écrans cadencés à 360 ou 480 Hz peuvent rendre justice au format de certaines œuvres d’art, il est ainsi peu probable que nous en profitions réellement à notre niveau.

Si l’on considère le prix rédhibitoire de tels équipements et les infimes différences au-delà de 60 Hz/FPS, seules des personnes très investies dans le jeu sauteront a priori le pas (voire uniquement des gamers pro). Après tout, la fluidité d’un jeu ou la qualité de ses graphismes n’importe pas à tout le monde, et certains programmes sont techniquement peu exigeants.

 

High-tech base de données : Fréquence affichage écrans - alignement écransUn des seuls cadres où cela importerait : des compétitions de e-sports

 

Comment vérifier la fréquence de rafraîchissement de mon écran ?

Si vous avez oublié les spécifications de votre matériel actuel ou bien tout simplement perdu la notice, il vous suffit de pratiquer un test de cette fréquence directement via les réglages de votre moniteur.

Certains clients de jeux proposent aussi un calcul des FPS, comme Steam, pouvant afficher cette donnée dans un coin de votre écran. Si un ou plusieurs jeux vous semblent lents, les vérifier par ce biais peut confirmer qu’il s’agit bien du problème.

Évidemment, des sites existent aussi pour effectuer ce même calcul via un navigateur.

 

Jonathan Pryce : photo, Brazil, Charles McKeown"J'ai perdu la notice"

 

La force du milieu de gamme

Dans un futur proche, il est plus que probable que les cinéphiles optent plutôt pour des téléviseurs ou vidéoprojecteurs de qualité, et non de tels moniteurs. Seule la frange la plus technophile ou exigeante des joueurs reste en lice pour l’adoption d’écrans aussi performants.

Au-delà d’être sûr que cette différence de performances importe, il s’agira pour ce petit nombre de croire au développement technologique et à l’apparition de bibliothèques de contenus plus adaptées à leur équipement. Car, quitte à mettre plus de 1 000 euros dans un écran, autant s’assurer que le reste finisse par suivre.

Il serait aussi judicieux de s’assurer que les composants électroniques de ces machines peuvent être remplacés. Le pari est devenu bien plus risqué depuis l’irruption de la crise des semi-conducteurs et la raréfaction en cours des matières premières. Se payer le meilleur des écrans mais être en rade de RAM ou de carte graphique, ce serait ironique.

 

High-tech base de données : Fréquence affichage écrans - joueuse avec un casqueDes mouvements lents et du jeu contemplatif, c'est bien aussi

 

Aussi, pour éviter que l’obsolescence ne nous rattrape avant d’avoir pleinement profité du moniteur, le plus fiable reste de se diriger vers un matériel plus qu’honorable, mais pas de pointe. Choisir une bonne configuration – un écran 120 ou 240 Hz adapté à vos besoins et appuyé par une excellente carte graphique – devrait amplement suffire à contenter vos petites rétines. Surtout au vu des évolutions graphiques excitantes que nous propose Unreal Engine 5, la nouvelle référence des moteurs de jeux vidéo.

Cela devrait aussi pouvoir faire tourner la majorité des productions à venir en leur faisant honneur, quitte à optimiser vos réglages par de petits programmes harmonisant le ratio entre FPS et hertz.

En somme, il paraît superflu de considérer de telles fréquences de rafraîchissement/d’affichage à la lumière des limites du corps humain, des coûts ou de l’actuel manque de contenu. Certes, ces écrans restent des prouesses techniques, mais leurs applications sont finalement fort limitées.

Co-écrit avec Yan Gamard

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commentaires
Wisi
23/05/2023 à 13:04

Le problème avec la lecture un peu simpliste de l'article sur la partie jeux (désolé de tacler et paraître pédant), c'est qu'il ocille entre 60fps, 120fps et plus, sans même s'attarder sur les vrais avantages d'avoir un écran de plus de 60fps.

Perso j'ai un écran de télé pour les jeux de 120hz. Je vais rarement à 120hz et je reste souvent dans une plage 70-90hz avec du VRR (rafraîchissement variable).

La réalité c'est qu'aucun écran de 60hz ne propose de VRR, et donc lorsque l'on joue sur un écran standard, c'est souvent une combinaison de 60hz et 30hz et cela est assez désagréable en terme de fluidité quand l'action est rapide et que les mouvements de caméra sont brusques.

Alors pourquoi les jeux restent souvent à 60hz max alors que la CG peut générer plus ? Eh bien juste à cause des jeux qui paramètres par défaut des présélections de résolution/FPS qui dépendent des caractéristiques de l'écran. Si tu reste à 60hz, alors le jeu va essayer de générer un constant de 60fps, mais dès que le jeu devient plus gourmands, le temps que ton goût s'adapte, tu perds 5-10fps et t'arrive à 50fps avec des petits frezzes écran qui oscillent entre 30hz et 60hz.

La solution dans tout ça, peut être une offre plus diversifiée avec du 90hz avec VRR ou du 60hz avec VRR (rare car le VRR marche difficilement en dessous d'un certain seuil d'images)

Pour la partie film, RAS ce n'est pas ma spécialité

Terror Turtle
23/05/2023 à 01:26

J'espere que le rédacteur s'en est remis ;)

Vos confrères de NoFrag avaient pondu un excellent article sur le sujet.

Il faut mettre en corrélation "ce que l'oeil humain peut voir" "ce que le cerveau peut enregistrer".

Biologiquement, l'oeil humain est une arme redoutable qui peut capter plusieurs milliers d'images à la seconde (donc bien plus que 60 /troll ). Le cerveau en enregistrera un certain nombre, c'est propre à chacun j'imagine (pour le moment, je pense qu'on est capable aisément de discerner au dela des 240fps... à vérifier quand la technologie le permettra et que des écrans avec un taux de rafraichissement de 480Hz sortiront.

Pierre Berthoux
19/12/2022 à 12:35

@Dumb and dumber @Neklin @Terror Turtle Merci beaucoup pour vos retours. C'était effectivement une grossière erreur. On a corrigé, et on a mis trois baffes au rédacteur.

Dumb and dumber
17/12/2022 à 19:18

Après "human eye cannot see above 24fps" on a droit à la version 60fps.

... Et après l'auteur va se plaindre qu'il se fasse moquer.

C'est le même qui irai pondre que 120hz natif et 60hz natif + 60hz interpolation c'est la même chose. Bah oui il voit que les 60 dans tous les cas.

Neklin
17/12/2022 à 15:20

Comment on peut oser dire que + de 60 images par seconde c'est imperceptible ? Vous êtes aveugles?
Au delà de 144 fps oui c'est peut être moins perceptible, mais la différence entre 60 et 144 est tellement flagrante que ça me choque que des gens pensent que la limite est 60 images par seconde

Terror Turtle
16/12/2022 à 20:21

"Notre vue ne fait pas exception et ne nous permet pas de percevoir un nombre d’images par seconde supérieur à 60"

je ne sais pas qui a pondu cet article, mais je l'invite fortement à changer ses sources et à mieux recouper les informations.
Bien entendu, cela est totalement faux.

alulu
16/12/2022 à 15:05

Et oui, l'humain à ses limites. Tout ce qui peut se passer dans notre environnement, une petite partie est perceptible par nos yeux, le cerveau compose avec. Le coup bien connu ou l'on doit passer par une caméra pour "visionner" l'infra-rouge de sa télécommande en est la preuve.

Kaladhel
16/12/2022 à 09:46

Pourtant on perçoit bien une différence sur un téléphone à 60 hertz et un à 120. L'ensemble parait plus fluide, l'interface plus réactive. Ce n'est pas forcément le seul critère mais c'est flagrant.

le mur du çon
16/12/2022 à 09:39

il ya la persistance retinienne qui est la frontiere indepassable et le cerveau qui fait son traitment image dans votre dos,
entre ce que vous voyez, ce que vous croyez voir et des choses qui sont que vous ne voyez pas, que vous ne voulez pas voir, il ya tout un monde
certains des pilotes d'avion de chasse USA sont quand même capable de discerner des avions au 1/220 de seconde
et vous percevez tous l'eclair d'un flash dont la vitesse varie de 1/300 à 1/25000 suivant les modeles

Madolic
16/12/2022 à 09:10

Je dormirai moins bête :)

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