Hommage à Jean Rollin
Poète du macabre, fier artisan d'un érotisme soft, porté aux nues par les amateurs de bis et moqué par les autres, Jean Rollin s'est éteint le 15 décembre, à 72 ans, des suites d'un cancer.
Grand architecte d'une œuvre qui n'appartient vraiment qu'à lui (seule l'actrice et réalisatrice Ovidie a réussi à toucher du doigt « l'esprit Jean Rollin » avec son sublime Orgie en noir),
où se mêlaient des femmes vampires et une certaine vision de
l'innocence, le tout baigné dans un onirisme et un surréalisme souvent
déroutants.
Né Jean-Michel Rollin Roth Le Gentil, Jean Rollin est passionné de cinéma depuis sa découverte du Capitaine Fracasse d'Abel Gance à l'âge de 8 ans. Mai 68 : Dans un pays paralysé par les grèves, Le viol du vampire,
son premier long-métrage, s'avère être un des seuls films à parvenir à
se frayer un chemin vers les salles françaises. Si le public se déplace
en masse pour découvrir cette œuvre insolite et poétique, la réception
du métrage se révèle catastrophique : le jeune réalisateur (29 ans !)
est menacé physiquement par des spectateurs mécontents, et le film
recevra un accueil critique abominable.
Parce que Rollin, on aime ou on déteste. Son univers fascine nombre de
spectateurs (déviants ?), mais ne cesse de rebuter les autres. Cantonné
aux petits budgets pendant une très longue partie de sa carrière, le
réalisateur alternera longtemps les films pornographiques ou érotiques
tournés sous pseudos (Tout le Monde il en a deux, Si jeune et déjà cochonne, Remplissez-moi les trois trous) et les oeuvres plus personnelles (Lèvres de Sang, Les démoniaques, Les raisins de la mort). Dans les années 70, il fera d'une Brigitte Lahaie désireuse d'arrêter le porno une muse inattendue (Fascination, La nuit des traquées),
avant de réduire le rythme de ses productions la décennie suivante,
notamment à cause de la maladie. Cela dit, les années 80-90 auront tout
de même permis au cinéaste de réaliser quelques films magnifiques, tels
que Les deux orphelines vampires.
Parallèlement, et même s'il n'aimait pas qu'on le répète, il était
également derrière une des plus prestigieuses productions X des années
90, Le parfum de Mathilde.
En 2009, la Cinémathèque Française avait programmé sa Nuit des horloges, interprété par Ovidie,
un essai cinématographique sur les thèmes de la mémoire, de la création
et du temps... Une œuvre qui a sonné, dés sa sortie, comme un testament
dans le cœur de ses admirateurs : le film incorpore en effet de
nombreuses scènes tirées de ses films antérieurs, proposant un véritable
voyage dans la psyché du cinéaste, blindé d'auto-citations et balayant
d'un regard ses trente ans de lutte pour parvenir à faire des films. La nuit des horloges alterne donc entre réflexions philosophiques, poésie et exercice d'introspection de la part du cinéaste. Son dernier film, Le Masque de la méduse,
avait également été projeté à la cinémathèque en septembre dernier.
Lors de l'entretien qui avait suivi la présentation du film, Jean Rollin était apparu amaigri et
fatigué.
Parallèlement à sa riche carrière cinématographique, Jean Rollin laisse
également derrière lui quelques romans, souvent passionnants. Il était
d'ailleurs directeur de collection pour les éditions Florent-Massot et
Les Belles Lettres. Son autobiographie « Moteur, coupez » est disponible
aux éditions Élite.
Mal distribuée en France (alors que de superbes éditions « collector » circulent chez certains de nos voisins européens), l'œuvre de Jean Rollin est encore très méconnue, même au sein des fantasticophiles français. Espérons que sa disparition permette enfin au public de redécouvrir sa filmographie : Elle le mérite largement...
Pour terminer, voici quelques extraits qui pourront vous donner envie de (re)découvrir ce grand cinéaste à la vision poétique et décalée :
Bande-annonce du Viol du vampire (1968)
Extrait de La vampire nue (1970)
Bande-annonce de Requiem pour un vampire (1971)
Bande-annonce des Raisins de la mort (1978)
Extrait de Fascination (1979)
Teaser du «Rêveur égaré», documentaire sur Jean Rollin, réalisé par Yvan Pierre-Kaiser et Damien Dupont
Source du scan du flyer de la cinémathèque : psychovision.net
Source des vidéos : youtube.com / dailymotion.com
Un big MERCI à ces sites de perpétuer la mémoire de Jean Rollin.