Avalon : l'anti-Matrix oublié qui mérite mieux

François Verstraete | 8 janvier 2023
François Verstraete | 8 janvier 2023

On vous parle du film de science-fiction Avalon, réalisé par Mamoru Oshii, le cinéaste de Ghost in the Shell, et adoré par James Cameron.

Bien qu’oublié avec les années, Mamoru Oshii a marqué de son empreinte les années 90 et le début des années 2000. En effet, le réalisateur japonais a impressionné via plusieurs longs-métrages d’animation, en particulier ses deux opus sur Patlabor et bien sûr Ghost in the shell et Ghost in the Shell 2 : Innocence. Mamoru Oshii s’est ainsi attiré les grâces d'autres noms illustres du cinéma comme James Cameron qui a qualifié Ghost in The shell d’œuvre visionnaire.

Et lorsqu’il a entamé le tournage d’Avalon, Mamoru Oshii était au fait de sa notoriété critique. Avalon est un film de science-fiction en prises de vues réelles (pas la première expérience du genre pour le metteur en scène, mais les précédentes n’ont pas été concluantes) qui traite de la perception de la réalité. Mais il ne faut pas s'attendre à un ersatz d’eXistenZ ou de Matrix, car sur la forme comme sur le fond, Avalon est un ovni qu’il est urgent de redécouvrir.

 

Avalon : PhotoEt pour quelques frags de plus

 

Counter Sprite 

Quelque part en Pologne, dans un futur dystopique, Ash comme des milliers (millions ?) de personnes s’adonne à un jeu de guerre vidéoludique en réalité virtuelle, Avalon (qui tire son nom de la légende arthurienne). Ash fait partie des meilleures joueuses et désire franchir un palier supplémentaire en accédant à un niveau caché d’Avalon. Elle rassemble alors une équipe pour accomplir cette quête jugée presque impossible.

Une histoire déjà vue me direz-vous. Il n’en est rien et Mamoru Oshii le prouve en proposant une vision unique d’un monde virtuel, très éloigné de ceux conçus par les sœurs Wachowski ou David Cronenberg. Ainsi, contrairement à la Matrice des Wachowski (qui devait tranquilliser la population), l’univers d’Avalon paraît hostile, zone d’affrontements incessante pour les participants. Pourtant, les joueurs affluent dans ce conflit de leur plein gré. Ils se plient aux règles d'un combat de sprite à mort et n’hésitent pas à collaborer pour s’assurer la victoire. Avec cette représentation, Oshii présentait déjà certains codes de la pop culture actuelle, tout en ravivant d’inquiétants souvenirs.

 

Avalon : photo, Malgorzata ForemniakAsh au pays des pixels

 

En effet, les équipes de joueurs évoquées dans le long-métrage, les rôles de chacun et de chacune, l’organisation sociale du jeu renvoient aux guildes de World of Warcraft ou aux équipes de Counter Strike et bien sûr à l’esport… en 2001. En se basant sur le jeu vidéo Wizard, le cinéaste avait à l’époque, déjà prédit certaines structures qui régissent notre monde aujourd’hui… tout en revenant sur une période que l’on aimerait oublier.

Car précisons que le jeu Avalon a pour cadre la Guerre froide et, de fait, cela peut déstabiliser les amateurs d’Histoire dès les premières scènes. L’irruption des chars et des hélicoptères dans Varsovie fait frissonner et le cinéaste utilise ce cadre angoissant pour immerger un peu plus ses protagonistes et le spectateur dans cette autre réalité. Cette réalité (et les autres présentées dans le film) bénéficie d’ailleurs d’une esthétique singulière qui peut séduire ou diviser.

 

Avalon : photo, Malgorzata ForemniakImmersion dans la matrice imminente...dans Avalon, pardon

 

Aux frontières du réel 

Il faut avouer que sur le plan visuel, Oshii adopte des choix drastiques en s’appuyant notamment sur le long-métrage polonais Mère Jeanne des anges de Jerzy Kawalerowicz, mais également sur le cinéma d’Ingmar Bergman. Avalon puise chez le premier toute sa radicalité, sa dureté et chez le second, son aura mystérieuse (Bishop par exemple renvoie à la Mort dans Le Septième Sceau). En outre, Mamoru Oshii appose sur la pellicule des filtres sépia qui ôtent toute la couleur, toute la vie à l’écran (excepté pour quelques aliments dévorés au cours d’une scène de repas écœurante et bien sûr lors de la découverte du dernier niveau d’Avalon).

Et si cette esthétique déroute, elle a le mérite de fonctionner puisqu’elle répond à la logique du long-métrage et sert merveilleusement bien l’exposé du cinéaste sur la perception de la réalité. Contrairement à Matrix qui sépare clairement la réalité post apocalyptique et celle de la Matrice, Avalon fait douter sur ce qui est authentique ou non dans la mesure où il n’existe aucune différence graphique notable entre le jeu et le quotidien d’Ash (mis à part il est vrai, la présence des tanks et des armes à feu).

Plus déconcertant encore, on approuverait presque le message d’Avalon ; il vaut mieux pour cette population de se plonger corps et âme dans le jeu plutôt que de vivre dans un monde moribond. Ce message surprenant se distingue fortement de celui de Matrix qui demande d’ouvrir les yeux et de dissiper l’illusion engendrée par la société libérale qui nous entoure.

 

Avalon : photoTableau d'un monde moribond

 

Ghost in the game

Mamoru Oshii désire-t-il donc que ses personnages se soumettent à une chimère, pour mieux se voiler la face et écarter de fait les véritables problèmes qui gangrènent leur environnement ? Pas exactement ou plutôt la réponse s’avère bien plus complexe. De prime abord, elle pourrait se nicher dans la célèbre citation de Baudelaire "everywhere ouf of this world" (n’importe où hors de ce monde). En effet, Ash, à l’instar des autres compétiteurs, se réfugie dans Avalon pour trouver l’étincelle, le semblant d’âme, bref une raison de vivre, absente dans sa réalité.

 

Avalon : photo, Zuzanna KaszHistoire de fantômes errants

 

Car Avalon exacerbe les sensations, courage, peur, colère, bien plus que dans ce décor qu’Ash considère comme la réalité. En s’adonnant au jeu, Ash part à la recherche de sa propre humanité,maintenue uniquement par la présence aléatoire de son chien. Ce chien justement incarne la clé de voûte du film, tout autant que le mystérieux fantôme hérité de Ghost in the shell. Leurs apparitions incertaines contrastent avec l'inlassable répétition des événements au quotidien. Par exemple, les comportements de la population paraissent prédéfinis comme dans un jeu vidéo, Seuls les joueurs ne semblent pas affectés par ce phénomène.

C'est pourquoi, lorsqu’Ash pénètre dans le niveau dit réel, on comprend la véritable finalité du long-métrage. Comme le roi Arthur, Ash se met en quête du Graal qui pourrait la délivrer de sa prison. Car pour Mamoru Oshii, seules importent l’obtention de la liberté et l’ouverture sur le monde. Le leitmotiv de tout artiste talentueux et surtout de toute grande œuvre. Et Avalon est assurément une grande œuvre.

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commentaires
BillBaroud
16/11/2023 à 21:21

Ah mais quel film.
2001, j'ai 20 ans. J'ai déjà un sérieux background de rôliste derrière moi. Et pourtant. L'impact est toujours là. La sobriété de ce film est probablement ce qui continue de me creuser quand j'y repense.
Bonus, aujourd'hui, je prends des cours de chant lyrique et j'ai le go de ma prof de chant pour qu'on se fasse la mise en musique de Log Off/ Log In avec notre chœur de chant! (Quel pied de le chanter à pleine voix)

Kyle Reese
13/01/2023 à 23:21

J'ai ré-essayé de le revoir. Pas tenu 2 minutes. Décidément pas pour moi, je retourne o mon GITS adoré.

Leepifer
10/01/2023 à 13:36

J'étais ressorti hagard du cinéma me demandant si ce que j'avais vu était réel.
En tout cas, ça m'avait touché.
Revu une fois en mauvaise qualité et en français depuis mais qui m'avait permis de me mettre d'équerre avec l'histoire.
Je vais le revoir car heureusement on le trouve facilement en qualité HD.
Merci de revenir sur de tels films, Écran Large au top.

Jordhan
09/01/2023 à 23:01

Il va falloir que j'aille fouiller dans la bibliothèque pour retrouver le dvd, je l'avais acheté il y a longtemps et ça donne bien envie de le revoir. J'avais beaucoup aimé

Jean-Phi
09/01/2023 à 21:15

Je fais mien le commentaire de Pie o Pah. Et en plus, dans le coffret collector, il y a le cd avec la BO qui fabuleuse

Géguette
09/01/2023 à 13:43

J'avais des réticences...mais ça a grandi en moi. Grand film.

Jagwa
09/01/2023 à 12:27

Je l'ai vu la première fois, j avais 19ans , et sans être un pro du cinéma, j'ai trouvé que c'était un chef d œuvre... Revue 4 fois d affilié essayant de convertir mon entourage... On adore ou pas... Pour ma part c'est Bravo! Je l avais oublié et avec cet article j aimerai le revoir pour une me faire une nouvelle opinion ! -Merci-

Pie o Pah
09/01/2023 à 11:58

Vous m'avez rappelé avec cet excellent article que j'ai le dvd collector quelque part et que je l'ai pas ressorti depuis quelques années. Me vais le revoir ce soir. merci

La Classe Américaine
09/01/2023 à 03:55

Chef d'oeuvre. Claque métaphysique et visuelle et qui en plus - et malgré toutes les apparences - a été réalisée avec trois francs six sous.

Tonto
09/01/2023 à 00:39

Bordel, EcranLarge en général et M. Verstraete en particulier, il faut que je vous dise MERCI !!!
J'ai lu l'article un peu distraitement et je me suis dit que ça me ferait bien mon film du soir, sans trop en attendre non plus... PUTAIN, LA BAFFE QUE JE ME SUIS PRISE !
Tout est tellement parfait, dans ce film. La symbolique, l'austérité et la technicité de la mise en scène, les jeux de couleurs, les acteurs, et surtout cette putain de musique de Kawai... J'en reviens tellement pas !
Alors c'est donc ça qu'on appelle un chef-d'oeuvre ?

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