Entretien avec Patrick Ridremont pour son Dead man talking

La Rédaction | 27 mars 2013
La Rédaction | 27 mars 2013

Montréal, dans une matinée ensoleillée de novembre, en plein festival Cinemania, à peine passer les portes de l'hôtel, je suis reçu par l'attaché de presse de Dead man talking. Comme je suis en avance, elle me demande si l'entrevue peut être avancée car Patrick Ridremont doit partir plus tôt pour New york où son premier film est diffusé. Ça ne me pose aucun problème, je m'installe sur un des canapés dans le grand hall. Patrick arrive, dynamique, souriant, l'œil rieur. On se sert la main, il s'assoit. Son côté abordable et son ton amical me donne l'impression de le connaitre depuis longtemps. C'est parti pour 25 minutes d'interview où le réalisateur va me parler sans langue de bois et avec une réelle passion de sa première expérience derrière la caméra.

 

 

Pouvez-vous nous décrire en quelques mots le pitch de votre film ?

C'est un condamné à mort à qui l'on pose la traditionnelle question : Avez-vous une dernière déclaration à faire ? Le mec commence à parler, à parler, à parler, à parler... Il ne s'arrête pas, ce qui énerve le directeur. Il lui demande combien de temps il compte discuter. Le prisonnier pose une question naïve et sincère : « D'après la loi, j'ai le droit à combien de temps ? » Tout le monde se regarde, et ni le gardien, ni l'aumônier, ni le directeur n'ont la réponse à cette question. La loi ne précise pas la longueur de la dernière déclaration. Le prisonnier comprend que tant qu'il cause, on ne peut pas l'exécuter. D'ou le titre du film, Dead man talking, l'histoire d'un mec qui trouve une dernière bouée, la parole.

 

Il y a un vrai mélange des genres, qui peut déstabiliser au début mais qui est totalement assumé. Qu'est-ce que cela a ouvert comme possibilité de passer de la comédie au drame, de la violence à l'émotion ?

Oui, violence, émotion, humour, beauté, laideur... Il faut savoir que quand je réalise ce premier film, je me dis que c'est peut être le dernier. Ce n'est pas sur le premier film que tu vas faire des concessions. Je vais être entier, tout ce que j'ai à l'intérieur de moi, je voulais le mettre dans le film. Et c'est une des choses qui a le plus déstabilisé les « professionnels de la profession » du cinéma. Comment peut-on dans un même film faire rire cinq secondes avant la mort d'un homme ? Mais la vie, c'est ça. Des gens saouls, renversés en traversant la route, ils meurent peut-être dans un éclat de rire. Le public le comprend beaucoup mieux que « les professionnels de la profession ».

 

Comment avez-vous fait pour gérer votre rôle et la réalisation du film ?

Je savais que ce serait difficile de jouer dans le film que je réalise, d'autant plus que c'est un premier film, sans même avoir tourné de court-métrage avant. Je serais très prétentieux de dire « je savais que ce serait facile... ». Non, je savais que ce serait difficile, faire un film même sans jouer dedans est difficile... J'ai été très bien entouré, le chef opérateur est probablement le meilleur chef opérateur qu'on puisse trouver en Belgique. C'est un peu le directeur du cadre, on a des conversations, je lui parle, il me fait confiance. Et à tous les stades, j'ai eu des gens qui étaient surdoués : le décor, c'était une tuerie dans ce film et pourtant je n'ai eu besoin que de quelques conversations avec la décoratrice. Je savais que tous les chefs de poste allaient assumer leur travail formidablement bien. Là-dessus, j'étais rassuré.

Deuxième chose pour rendre cela possible, on a pris une doublure, une vraie doublure, c'est-à-dire un comédien, qui connaissait mon texte, qui avait exactement le même costume que moi, je regardais comment il répétait avec les autres, j'allais jusqu'à le diriger. C'était presque ingrat parce qu'il a joué toutes les scènes, et il est dans aucun plan du film, puisqu'il joue dans toutes les scènes mais seulement quand la caméra ne tournait pas. Quand j'étais content du plan, je prenais sa place, et je rejouais la scène, pas comme lui, mieux. (rire).

 

Vous abordez le thème du spectacle et de la télévision. Est-ce que pour vous, il y a une dérive de ce côté là dans notre société ?

Absolument. En tout cas, il y a une satire dans mon film sur la télé-réalité. Mais il faut savoir que ce film, je le porte depuis douze ans. J'en ai quarante cinq, j'ai commencé à l'écrire à trente deux ans. Mon dieu, ça fait...(il fait une petite pause) 13 ans, je ne suis pas très fort en maths (rire). A l'époque, la télé-réalité en était à ses balbutiements en France. Même si je suis belge, la télévision française arrive jusqu'en Belgique, nous ne sommes pas à ce point-là un petit pays. Il y avait eu sur M6 une émission qui s'appelait « Loft Story », un peu l'équivalent de « Big Brother » aux États-Unis. C'était hallucinant ce qu'il s'y passait. Donc oui, il y a une satire de la télé-réalité mais ce qui m'intrigue, ce n'est pas les chaînes qui proposent ça, je comprends qu'une chaîne propose des émissions de merde, ce qui est étonnant, c'est qu'il y ait un public pour regarder. En gros, une télévision s'appellerait « Télé, fouille dans ton slip », on ne peut pas lui reprocher de faire des émissions où ils fouillent dans ton slip, c'est le titre. On ne peut pas leur en vouloir. Comment se fait-il qu'il y ait des millions de personnes pour regarder cela ? C'est ça qui m'interpelle.

L'autre satire que je fais, ce serait celle du pouvoir, des politiques, du cynisme des gens qui ont le pouvoir.

 

 

Était-ce un film personnel ? je pense notamment au scène de l'enfance.

Mon personnage dit qu'il a un gros problème avec sa mère, je n'ai pas de problème avec ma mère. Maman, je t'aime. Et elle m'aime (rire). Dans le film, je parle à un moment donné du rêve de mon personnage d'avoir trois filles. J'ai trois filles. Alors évidemment, les gens pensent que j'ai fait des « private joke » mais même ceux qui n'ont pas trois filles sont touchés par ça. Donc effectivement, j'ai mis beaucoup de choses de moi mais c'est romancé. Le personnage que je joue est bien plus intéressant que moi.

 

J'ai envie de parler avec vous du casting, qui est vraiment excellent. Je me suis dit, ça fait vraiment plaisir de voir des gueules de cinéma, avec des traits marqués, tout de suite caractérisables, identifiables. Était-ce une envie de votre part et pourquoi ?

Je suis heureux de cette question parce que c'est un élément sur lequel j'ai travaillé à fond, qui est « la ligne claire ». Pour moi, dans ce film, l'habit fait le moine. Il fallait qu'un enfant comprenne quel était le personnage. Un curé, ça a une soutane, mettez juste une croix à un curé sur un costume deux pièces, l'enfant ne comprend pas que c'est un curé. Dans mon film, je voulais que le condamné ait une espèce de marinière à la Dalton. C'était important pour moi. Si je lui mettais le traditionnel costume nord-américain, orangé, un enfant penserait que c'est un électricien. Il ne pense pas que c'est un prisonnier. Idem pour les gueules des acteurs. Ces derniers ont la gueule de leur personnage. J'aime ça, le côté un peu bande dessinée, ligne claire.

 

Vous avez été champion du monde d'improvisation en 1999 lors du festival Juste pour rire de Montréal. Comment avez-vous dirigé les acteurs ? Y-a-t-il de l'improvisation justement ?

Dans le texte rien, j'avais interdit à tous les comédiens d'improviser. Il faut savoir que j'ai longtemps travaillé sur le texte et surtout sur les dialogues. J'avais plein de doutes. Est-ce que je vais être à la hauteur comme réalisateur ? Est-ce que j'arriverai à diriger mon ex-femme (Virginie Efira) ? mon meilleur ami ? Francois Berléand, monstre sacré du cinéma ? Diriger un vieil acteur de 82 ans (Christian Marin) ? Une adolescente de 14 ans qui envoie des textos entre chaque plan ? Diriger 150 figurants entre minuit et six heures du matin ? De tout ça, j'avais un peu peur. En revanche, il y avait une chose sur laquelle je pouvais me raccrocher, c'était le texte. J'étais sûr de mes dialogues et de leur qualité. Là, j'ai l'air d'être une très grande gueule. Je veux bien être humble sur tout mais sur le texte, sur les dialogues, pas question d'être humble, je suis très fier de mes dialogues ! Et surtout il était interdit d'en changer parce que j'ai la prétention de dire que j'écris mieux en tant qu'auteur que chacun des comédiens qui sont tous meilleurs interprètes que moi. Mais pour le texte, c'est moi !

 

Comment avez-vous réussi à créer cet univers intemporel notamment à travers la photographie et les décors ?

Quand on commencé l'étalonnage, on a commencé à mettre du jaune, on avait rêvé de tableaux de William Turner, on regardait des ciels orangés, et ce n'était pas des délires de personnes qui ont fumé des pétards. Non, ce sont des gens à jeun, amoureux, artistiques, et on a décidé d'aller jusqu'au bout de ce qu'on s'était dit de manière théorique en l'appliquant  de manière très forte en pratique. Ce film est jaune par moments, il est orange à d'autres moments. J'ai vu des cheveux bleus dans ce film tellement on pousse la chroma. Cela ne dérange personne mais ça crée une ambiance qui me permettait aussi de réinventer le temps et le lieu. C'était important pour moi parce qu l'on fait un film sur la peine de mort, évidemment tout le monde vous dit, l'action se passe au Texas, en Amérique mais je voulais réinventer un univers.

 

Interview réalisée par Philippe Boissier au festival CINEMANIA 2012 de Montréal.

 

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