Rencontre avec le torerro conteur de Blanca-Nieves

Damien Virgitti | 22 janvier 2013
Damien Virgitti | 22 janvier 2013

Après Mirror, mirror ou encore Blanche-Neige et le chasseur, c’est au tour de l’Espagne de livrer sa vision du célèbre conte des frères Grimm à l’occasion du bicentenaire de sa parution. Dans Blanca Nieves, le réalisateur Pablo Berger replace la princesse à la pomme empoisonnée dans un film muet en noir et blanc au couleurs du flamenco et des corridas. Une œuvre singulière qui ravive à la fois des souvenirs de cinéma mais aussi des créatures de l’enfance. Ecran Large ne pouvait passer à côté de son formidable conteur.


Comment avez-vous donné naissance à cette nouvelle Blanche-Neige ?

Après mon premier long, Torremolinos 73, qui avait remporté pas mal de récompenses, je me suis enfermé pendant un an pour développer trois scénarios. Les deux premiers étaient dans la continuité de  Torremolinos, tandis que le troisième marquait clairement une rupture avec ce que j’avais fait jusque là. Blanca Nieves témoignait surtout de mon amour pour le cinéma muet que j'avais depuis que j'avais vu jouer Les rapaces avec un orchestre symphonique. Mais au-delà de cet hommage, j’y retrouvais mon envie de travailler sur la format du 7ème art. C’est, en grande partie, du au fait que je considère le cinéma comme ma fenêtre sur le monde que le médium se retrouve lui-même au centre de mes histoires. Et après Torremolinos qui faisait référence au cinéma de Bergman, Blanca Nieves était l'occasion pour moi de plonger dans le cinéma muet européen.


Avec la sortie de The Artist, on s'est en effet aperçu que ce format savait encore trouver son public !

J’avais déjà tourné Blanca Nieves au moment de la sortie de The Artist. J’ai donc découvert en même temps que tout le monde le succès du film. Mais The Artist a en effet réussi à ôter la peur du mot "muet" auprès du public. Le cinéma muet peut encore tellement provoquer d’émotions si différentes d’aujourd’hui. C’est une expérience sensorielle qui rapproche le film d’un ballet ou d’un opéra. Je n’ai plus qu’à espérer que Blanca Nieves  connaisse le même destin !

Au dela de la relecture de Blanche Neige, le film est aussi une synthèse de tous les contes chers à l'enfance, tout en empruntant à l'imagerie de genre bien connue au cinéma.

En effet, dans le conte des frères Grimm, les origines de Blanche-Neige ne sont décrites que sur trois pages. Cela laisse donc toute latitude pour développer les personnages. J’en ai profité pour insuffler dans l’histoire un peu de Cendrillon, d’Alice au Pays des Merveilles, de la Belle au bois dormant et aussi un peu d’Oliver Twist de Dickens. C’était aussi le moyen pour moi de développer la dimension de roman gothique de l’histoire, ou de la partager avec la littérature des sœurs Brontë et de Daphné du Maurier. Au final, c'est ce qui donne à mon film cette texture à mi-chemin entre la culture espagnole, française et anglaise !


L’une des originalités de cette version, c’est la façon dont vous humanisez les personnages des nains. Vous établissez même de manière inédite un triangle amoureux entre Blanche Neige et deux de ses compagnons d’aventure.

Pour moi, les nains étaient les personnages clés du film. L'une des idées de départ de Blanca Nieves, c'était une photo de nains torerros que j’avais aperçue en Espagne. Et très vite, j’avais imaginé une Blanche Neige au milieu de ce groupe. Je leur ai donc inventé à tous un passé, même si ça ne se voit pas forcément à l’écran : l’un a perdu un œil dans une corrida, l’autre a travaillé dans un cirque et un autre est encore fils d’aristocrates… Cela me permettait de m’éloigner de l’iconographie Disney tout en en les représentant de facon juste. Ce qui est formidable avec ces gens là, c’est qu’ils sont des acteurs nés car ils sont sans cesse confrontés au regard de l’autre. J’ai d’ailleurs pu le vérifier, que ce soit dans mes courts- métrages ou mon premier long où j'ai toujours inclus ce type de personnage. Dans le groupe présent dans Blanca Nieves, il n’y en qu’un qui soit  réellement acteur professionnel.


Après  Torremolinos 73, vous avez confié qu’il était difficile de passer à la suite surtout quand on a eu du succès. maintenant que Blanca Nieves glane pas mal de récompenses en festivals, comment envisagez-vous l'après ?

J’ai toujours vu le cinéma comme une course d’obstacles. Mais jai un tel respect pour ce métier que cela ne m'a jamais miné. Je reste habité par la même envie, la même passion.
A l’image de Blanca Nieves dans le film, j’ai toujours assimilé le métier de réalisateur à celui de torerro, avec le taureau dans le rôle du script. Vous n'avez qu'à regarder : le plus mauvais des scénarios peut tuer la carrière d’un réalisateur et il doit alors se remettre de ses blessures. Et à l’image du torerro, nous avons derrière nous toute une équipe et un public qui nous soutient et compte sur nous. C'est ce qui fait que le combat en vaut la peine.
J'ai mis trois ans à faire mon premier court-métrage, six pour Torremolinos et huit pour Blanca Nieves. Ma vraie satisfaction, c’est qu’à chaque fois ces films ont trouvé effectivement leur public. Espérons juste que le prochain mettra moins de temps ! (rires).

 

Merci à l'interprète Laura Ciezar pour avoir contribué à la restitution de cet entretien.

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