Renny Harlin (interview carrière)

Vincent Julé | 28 mai 2010
Vincent Julé | 28 mai 2010

Le marché du film à Cannes, c'est un peu la caverne d'Ali Baba du cinéphage. On y trouve de tout comme par exemple un Etat de guerre (qui à l'époque de l'interview se nommer encore Georgia) réalisé par...Renny Harlin. Fan du bonhomme, notre rédac chef n'allait pas rater l'occasion de découvrir ce nouveau morceau de bravoure cinématographique. Bonne idée puisqu'après avoir discuté avec le producteur, il a rendez-vous pour voir un premier montage du film mais aussi avec son réalisateur pour une courte interview. Mais l'enthousiasme du Laurent associé à la gentillesse de l'immense finlandais ont permis de transformer les 4 minutes en 45 minutes...

 

Si je ne me trompe pas, vous êtes le premier réalisateur à avoir débarqué à Hollywood sans parler couramment l'anglais pour finalement réaliser un blockbuster.

Vraiment ? Bien. J'ai grandi en regardant et aimant des films américains. J'ai essayé de faire des films en Finlande, mais à cette époque dans les années 70 et 80, c'était difficile, tous les films étaient financés par le gouvernement. Des films très sérieux, pas vraiment commerciaux. Alors que moi, je voulais faire des films avec des stars américaines. Mais je ne connaissais personne qui était allé ou qui habitait aux Etats-Unis. J'ai décidé pourtant de le faire, de partir, et la raison pour laquelle j'ai réussi, au-delà de ma passion, était que je ne connaissais pas les règles là-bas et que je les ai brisés les unes après les autres. Par exemple, je me souviens, lors d'une réunion pour un projet où j'étais sur le point de signer un contrat, on m'a demandé qui était mon avocat. « Pourquoi, j'ai des soucis à me faire ? » Je ne savais pas qu'on avait besoin d'un avocat ou même d'un agent. Je me présentais même aux bureaux des producteurs sans rendez-vous. Ils étaient surpris par cette approche. La chance a aussi à voir, mais je pense que l'on provoque sa chance, avec du talent, du travail et surtout ne jamais abandonner ses rêves. J'ai passé une première année où j'ai tout perdu. Je vivais dans un garage. Un ami à moi a même abandonné et est retourné au pays. Mais pas moi.

 

(c) Peter Hopper Stone 

 

Votre carrière de réalisateur se divise en quelque sorte en quatre parties. La première dans les années 80 où vous êtes le « underdog », le réalisateur qui veut percer. Puis les années 90 où vous êtes la star des films d'action. Avec les années 2000, c'est le début de la fin avec des productions plus discrètes. Et enfin, aujourd'hui, avec Georgia, une nouvelle voie semble s'ouvrir.

C'est vrai, au début, je voulais juste faire des films, je voulais être sur le tournage. Puis j'ai pu faire des blockbusters qui cartonnaient au box-office. Mais comme chacun dans une carrière, j'ai aussi fait des choix moins heureux, et j'ai connu un bide monstrueux. (ndr/ il évoque sans le mentionner, L'île aux pirates). J'ai donc presque recommencé du début, je tournais des petits films pour pouvoir tourner. Et maintenant, j'en suis à vouloir des films qui comptent pour moi. Quand je me lève le matin et que je me rends sur le plateau, ce n'est plus juste pour faire un truc cool, je veux raconter une histoire qui importe pour moi, pour les gens. Et avec Georgia, j'ai vraiment trouvé le film que je voulais faire depuis longtemps.

 

C'est un bon exemple, c'est assez étrange et perturbant de vous voir réaliser un tel film. D'habitude, quand il y a des explosions dans un film de Renny Harlin, on exulte... mais là, on ne veut pas en voir, car elles sont sources de souffrance, de victimes. « No more explosion for fun ?! »

Avant, n'importe quel décor que l'on construisait, c'était pour mieux le détruire. Et c'était cool. Mais là, j'ai changé, je n'utilise plus de ralenti, je n'esthétise plus, je veux que cela soit plus réaliste, et plus puissant d'une certaine manière.

 

 

On peut faire un parallèle entre vous et John McTiernan. Vous avez tous les deux réaliser des épisodes de Die Hard, et aujourd'hui, c'est aussi dur pour l'un comme l'autre de monter des projets. Comme les années 90.

Ce qui est intéressant avec les films d'action d'aujourd'hui, c'est que si vous les comparez avec ceux des années 70, avec Don Siegel ou Sam Peckinpah, ou encore plus tard à ceux de McTiernan, les miens et d'autres, c'est que nous montrions tout, nous donnions tout. Nous étions de vrais « action directors » ! Maintenant, les films se font avec plusieurs équipes de tournage, et par exemple avec les grosses adaptations de comics, le réalisateur ne tourne pas les scènes d'action. C'est le directeur de seconde équipe qui s'en occupe. Donc comment peuvent-ils se faire appeler ou même se considérer comme des réalisateurs de films d'action ? Je pense que cela a commencé quand les réalisateurs hongkongais sont arrivés à Hollywood et qu'ils se sont occupés des cascades. Mais surtout, les pontes de Hollywood ne prennent pas un réalisateur parce qu'il a du talent, mais parce qu'il fait du fric. « S'il a fait du fric, c'est qu'il s'y connaît. » Je ne peux pas dire non plus que je dirais non à un beau projet de 300 millions de dollars, ce serait fun, mais je n'aime pas par exemple tous ces films de super-héros. Hollywood est devenu vraiment l'endroit où l'on fait de l'argent, plus celui où l'on fait des films : remakes, suites, reboots, comics... C'est triste.

 

Il y a d'ailleurs eu la rumeur d'un Peur bleue 2, peut-être en Direct-to-DVD ?

J'en ai entendu parler, oui, mais je ne sais pas si ça se fait ou se fera.

 

Car je suis un grand fan de films de requins, et c'est toujours un plaisir de revoir Peur bleue. Ce n'est pas Les dents de la mer, mais lorsque je le revois, je ne suis jamais déçu.

Oui, Les dents de la mer est un classique... et faire un autre film sur des requins était un vrai défi, mais je trouve que le film fonctionne vraiment bien.

 

Je fais le lien entre Peur bleue et Georgia, car vous avez cette habitude de toujours tuer un personnage capital ou un acteur connu dans vos films. Samuel L. Jackson dans Peur bleue, Val Kilmer dans Profession Profiler et là,  (attention spoiler) H****** G***** dans Georgia.

J'aime faire ça... cette idée vient d'Alien, où Tom Skerritt est le capitaine du vaisseau, et donc a priori le personnage auquel on s'accroche au milieu de ce casting de quasi inconnus. L'identification est immédiate, le spectateur se dit qu'il sera un personnage important car il est joué par un acteur connu. Cela permet de jouer et de tromper les attentes du public.  Ce dernier se dit alors que si l'acteur connu meurt en premier, tout le monde peut mourir  à n'importe quel moment et le suspense n'en est alors que plus efficace. A chaque fois, les acteurs ou actrices acceptent ce type de rôle ou d'apparition, parce qu'ils aiment le script.

 

Et vous avez bon goût en femmes, puisque dans Georgia, vous avez Emmanuelle Chriqui, l'une des plus belles femmes du monde et une des plus talentueuses, bien que sous employée.

Peut-être qu'à après celui-là, les gens et les producteurs vont comprendre et un peu la prendre au sérieux. Elle n'a joué avant tout que dans des comédies ou des trucs assez légers. J'espère que cela changera pour elle car elle est vraiment très talentueuse. Et vous avez raison, elle est très, très belle.

 

 

 

Je voulais aussi vous parler de L'île aux pirates, un film que j'aime beaucoup, et je me répète souvent "qu'est-ce qui s'est passé ? Pourquoi un tel bide ?" Surtout quand débarque Pirates des Caraïbes quelques années après.

Force est de constater que les gens voulaient voir un film de pirates, mais tant de choses ont été de travers, c'est vraiment dommage, car cela aurait pu fonctionner. Mais le problème a été simple, prosaïque, et sans dire ce qu'est ou aurait pu être le film, aux Etats-Unis et dans le monde entier finalement, l'une des seules manières de faire venir les gens au cinéma est le marketing. Et quand L'île aux pirates a été fait, MGM était en train d'être vendu, avec de graves soucis financiers, et ils n'avaient donc pas d'argent pour promouvoir le film. Nous sommes sortis à Noël, une période où la promotion bat son plein et coûte encore plus chère. Mais nous avions rien du tout. Donc personne ne savait que le film sortait. Et quoi qu'aient dit les gens sur le film après, je crois toujours que c'est un film fun, pour les enfants, et qu'il aurait pu marcher. Mais on se doutait que nous n'avions aucune chance.

 

Votre film préféré est toujours Au revoir à jamais ?

Oui, je l'adore..D'ailleurs j'ai depuis longtemps une idée pour en faire une suite.

 

(les yeux qui brillent) Ah oui, et vous pouvez nous en dire plus ?

Dans la scène d'ouverture, Geena Davis ou plutôt son personnage est tué par de mystérieux assassins. Ils font passés cela pour un accident de voiture, qui aurait causé sa mort et celle de son mari. La nouvelle parvient jusqu'à sa fille qui a maintenant la vingtaine, qui va à l'université, à San Francisco par exemple... et qui est Jessica Alba ! Elle a assez grandi pour être Jessica Alba. Dès qu'ils sont au courant de son existence, les assassins sont à sa poursuite, et elle doit fuir. Mais elle a les mêmes talents cachés que sa mère, cette dernière se doutait qu'un jour cela arriverait, donc elle l'a préparé, entraîné.

 

 

 

Mais elle ne peut faire confiance à personne, sauf un... et c'est Samuel L. Jackson. Elle débarque donc chez lui, mais il s'est passé 10 ans et il est devenu l'ombre de lui, un loser alcoolique qui ne veut rien avoir à faire avec cette jeune fille. La dernière fois avec la mère, c'était déjà assez le bordel. Bien sûr, les assassins ont suivi la fille, et ils sont là, sur le pas de sa porte à lui. Il est obligé de fuir avec elle. Ensemble, ils vont devoir découvrir ce qui se passent, pourquoi eux. En fait, ils sont en possession sans le savoir d'un code secret que leur a donné Geena, un code qui pourrait dévoiler une conspiration gouvernementale et que les premiers concernés veulent récupérer. A la fin, ils sont à Washington !

 

C'est un super script, il faut que cela se fasse...

Il ne reste plus qu'à espérer que les fans lisent ça et se manifestent assez pour faire bouger les choses. On verra.

 

Et comment cela va se passer pour Georgia ?

Nous n'avons pas encore de distributeur sur le sol américain, mais Sony, Lionsgate, Universal, Fox viennent de voir le film. Ce n'est pas non plus un film qui doit sortir sur 3 000 écrans, mais s'il pouvait commencer petit pour mieux grandir, ce serait parfait. Nous aurons de la pub voire de la polémique de par le sujet du film. Et la bouche-à-oreilles aussi.

 

Sinon, je voudrais avoir votre sentiment sur 58 minutes pour vivre,  ne le prenez pas mal, mais comment réagissez-vous aux gens qui disent que le meilleur reste le premier, Piège de cristal.  

Je suis d'accord, il est à l'origine de tout, du personnage, etc. Le mien est « bigger », plus d'action, plus d'humour... mais après, les autres films, dès que vous avez Bruce Willis accroché à un Jet, comment dire, c'est ridicule.

 

C'est le quatrième ça, mais le troisième, Une journée en enfer.

Ah, je ne l'aime pas trop, trop de blablabla, notamment toute la dernière partie sur le paquebot.

 

Comment avez-vous vécu la baisse de vos budgets, disons à partir de Driven ?

Driven était une erreur selon moi, je l'ai fait pour de mauvaises raisons. J'adore le car racing, donc je voulais faire un film sur les courses automobiles. Dès qu'il y avait un projet ou une rumeur de projet à Hollywood autour de courses de voitures, je fonçais dessus dans l'espoir de faire le film. Avec Driven, je n'ai jamais réfléchi à savoir si l'histoire était vraiment bonne, si le scénario tenait la route. Et puis Stallone n'était pas le bon acteur pour le rôle.

 

La première scène de Cliffhanger reste l'une de mes préférées, tous films confondus !

C'est le problème du film, la première scène est trop bien. Impossible après d'atteindre à nouveau ce niveau de tension et d'émotion. En fait, j'ai écrit cette ouverture après avoir casté Stallone. Je voulais d'autres acteurs pour le rôle, mais la production le voulait lui, il avait fait Rambo. J'ai été longtemps contre, puis j'ai accepté, mais je voulais qu'il soit imparfait, qu'il ait une blessure. Pour ne pas qu'il passe pour un super héros. Je voulais donc aussi une actrice, qui en plus de savoir bien jouer, accepte de faire cette scène sans doublure à 2 km de hauteur et se laisse tomber dans le vide. Pour de vrai. C'est pour ça qu'elle fonctionne si bien.

 

 (c) Nakanimamassakhlisi 

 

 

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