Strass et voyous : la biographie de Marcantoni

Didier Verdurand | 7 décembre 2009
Didier Verdurand | 7 décembre 2009

François Marcantoni. Un nom que connaissent tous ceux qui se sont intéressés de près ou de loin au banditisme du siècle dernier en France. Celui qu'on appelle « le dernier parrain corse » vient d'écrire ses mémoires, Strass et voyous, préfacées par Bébel (éditeur : Les Portes du Soleil). A l'heure où les polars s'enchaînent sur grand et petit écran, le réalisme fait parfois, pour ne pas dire souvent, défaut. Pour ceux qui recherchent désespérément une histoire de gangster qui sent le vécu, on leur conseille donc de se plonger dans la lecture de ce livre où ils retrouveront au passage les plus grands noms du cinéma français des années 50 à 80.

Nous avons posé quelques questions par mail au coauteur, Christian Chatillon, et voici ses réponses dans leur intégralité.

 

 

Présentation « succincte »

Professeur « désagrégé » de l' « univers cité », « anormalien », disons que je suis quelque peu atypique au sein de l'Institution Education Nationale. J'enseigne en banlieue les Lettres Classiques à des ados qui poursuivent pour la plupart de solides études supérieures et ne sont donc pas poursuivis, eux, par les études ! Récemment, j'ai eu le plaisir de compter 4 anciens élèves reçus au bac S avec mention très bien. Un autre a intégré le prestigieux Louis le Grand.

Dans les années 80, je me suis engouffré dans ce que l'on appelait encore les « radios libres », avant que les grands squales ne les absorbent une à une. Producteur présentateur d'une émission de musique classique sur la bande FM, à l'époque donc où les Nagui, Arthur, Lafesse et autre Lolo Boyer fourbissaient leurs premières armes, j'ai attrapé le virus, tout aussi contagieux que le H1N1 ou I2OQ ! Après le rachat par Francis Bouygues de « ma » radio, Radio Corsaire, je suis venu pirater la Presse écrite. De Téléstar à Voici, de La Vie à Penthouse, de 30 Millions d'amis à Playboy, en passant en coup de vent par Match, Gala et une trentaine d'autres publications, dont VSD, L'Optimum, où je bosse encore épisodiquement, L'Officiel de la Mode, français mais aussi russe et ukrainien et, plus récemment, Homme de Luxe, j'ai laissé mes traces dans l'univers parfois pitoyable de l'interview tous azimuts : hommes politiques de premier plan, stars des médias façon dinosaure (inutile de citer des noms !), artistes lyriques, « variétifs » à géométrie variable, stars de cinéma françaises ou américaines, etc. soit quelque 300 interviews au compteur depuis 1988. Eh oui, je suis depuis fort longtemps accro au « travailler plus pour gagner plus »... d'enrichissement personnel, tant l'être humain sous toutes ses formes me passionne ! Une leçon de vie transmise par la lecture des Anciens : « homo sum ; nihil humani a me alienum puto », ce que je m'efforce de transmettre à mes élèves : « je suis un homme ; rien de ce qui concerne l'homme ne me laisse étranger, je pense ». A méditer.

 

Votre rencontre avec François Marcantoni

En charge d'interviews à thème pour l'Optimum », type « paroles d'avocats », « paroles de juges », « paroles de flics », mes 2 co-rédac-chefs, Emmanuel Rubin et Christian Moguérou, m'avaient confié une vaste rubrique qui a tenu 3 ans : « Boulevard du crime ». Je revenais sur des affaires anciennes à fort retentissement médiatique qui n'avaient jamais été élucidées. Tout naturellement je suis tombé à un moment donné sur l'« affaire Markovic » qui, du fait des personnalités au cœur de cet imbroglio politico judicio truandesque, avait occupé, 7 longues années de manière ininterrompue, les unes des journaux. Pas question pour moi d'espérer une longue interview de madame Claude Pompidou ou de monsieur Alain Delon. 

C'est donc vers François Marcantoni que j'ai orienté mes recherches, ce qui m'a pris un certain temps. Finalement, je suis venu à lui, je l'ai vu. Dire que j'ai vaincu sa carapace serait outrancier ! Mais un courant a passé et, l'article paru, j'ai eu un bon écho de sa part ! C'était en 1999 je crois. 

Plusieurs mois ont passé. Alors même que je l'avais oublié, le téléphone un soir a sonné. Il voulait me rencontrer pour une affaire qui « pourrait m'intéresser ». Rendez-vous fut donc pris. Il avait signé un contrat avec un éditeur et souhaitait que je relise le manuscrit, voire que j'y apporte quelques « aménagements ». Là a commencé notre relation plus suivie. Elle n'a depuis jamais cessé. Souvent contacté par des confrères, il me sollicite chaque fois pour récolter mon avis. Qu'il suit ou non, car le bonhomme a une sacrée personnalité !

Qu'est-ce qui vous fascine chez Marcantoni ?

Je viens d'un univers aux antipodes du sien. Comme je le disais, l'être humain me passionne. Ministre, SDF, voyou, autant de trajectoires que suit tel ou tel, avec ses forces, ses failles, ses faiblesses, ses fêlures. J'ai eu l'immense chance de côtoyer, journalistiquement parlant, des hommes comme Robert Hossein, Dalil Boubékeur, Jacques Vergès. Des individus qui, à leur contact, vous font mieux pénétrer à l'intérieur de l'âme... ou (et) de l'esprit. Dans l'affaire Omar Raddad, par exemple, Vergès avait la vision du roman Le Rouge et le noir. Une analyse pénétrante des contours de ce que nous sommes tous, des hommes, des femmes, avec nos zones de lumière mais aussi nos zones d'ombre, nos fantasmes, nos pulsions, nos désirs. De meurtre ? Pourquoi pas. A cette différence près, de taille, que certains vont au bout de leurs actes, alors que d'autres les transfigurent en fiction ! Aussi n'ai-je aucune fascination particulière pour Marcantoni. Quel sens cela aurait-il ? Mais au-delà de l'image qu'il renvoie, comme chacun de nous, j'ai au fil du temps mieux sondé sa manière d'être, son mode de pensée. Et au-delà du « rat des villes », le Marcantoni mondain, tiré à 4 épingles, une véritable cour à ses basques dans les grands palaces, je sais qu'il y a un « rat des champs », tout en intériorité, solitaire, pudique. C'est ce Marcantoni là qui m'a intéressé, car bien plus séduisant que l'autre. Oui je préfère l'être au paraître, l'authenticité au faux clinquant. 

 

Seriez-vous tenté d'écrire un livre avec une autre figure du grand banditisme ?

Je viens de recevoir un manuscrit d'un « beau mec » d'Aix en Provence. Que je ne connais nullement, autrement que par son pedigree dans le monde de la voyoucratie. 30 ans de placard, si j'ose dire, ça en impose ! J'ai feuilleté les 8 premières pages. Superbe entrée dans son histoire, sa vie, le tout écrit dans un style alerte. N'ayant pour l'instant pas le temps de lire le récit en entier, j'en ai confié la lecture à mon éditeur. S'il est OK, on se mettra au boulot et en octobre 2010 ça paraîtra. Le titre que lui-même a donné est excellent. Sollicité par un confrère lui aussi spécialiste du Milieu, il m'a accordé, selon lui, la préférence parce que j'étais l'auteur et l'ami de François Marcantoni. Voyez que même chez les voyous, les relations, ça joue ! 

Comment s'est passée l'écriture du livre ?

Depuis une dizaine d'années, je connais donc Marcantoni. Avec une mémoire intacte, infaillible même jusqu'à ces temps récents, j'ai glané mille et une « confidences » sur ses ami(e)s stars du cinéma du show-biz...et du Milieu. Que ce soit Delon, Bébel, Pousse, Carlos, Jo Attia ou Raymond Pellegrin, tous ont été des relations amicales avec « monsieur François ». Tous le sont restés. Pensez que Charles Aznavour lui avait envoyé une lettre, alors même qu'il séjournait en 1994 en maison d'arrêt, qu'il concluait en ces termes : « dans les moments difficiles, on compte ses amis. Vous pouvez compter sur moi. » Lorsque j'ai été contacté pour un livre de souvenirs sur cette période show-biz, j'ai demandé l'avis de l'intéressé. Sa réponse, spontanée : « allons-y, constituons une association de bienfaiteurs ! Une nouvelle fois vous serez mon complice... pour la bonne cause ! » 

Vu mes autres obligations professionnelles, il m'a fallu une année pour concocter ce Strass et voyous. Sans doute s'est-il glissé quelques erreurs de dates ! Les ans en sont la cause ! Et j'avoue ne les avoir pas systématiquement vérifiées. Qu'importe au demeurant pour le lecteur que tel événement se soit produit en 1956 ou en 1957 ! Ce qui compte, c'est la véracité des faits. Et, pour ne prendre qu'un seul exemple, quand on sait l'importance capitale que joue, dans la culture corse, et chez ce vieux monsieur aujourd'hui, la mère, l'entendre vous jurer sur la tombe de celle-ci qu'il n'est pas l'assassin de Stevan Markovic, je le crois à 1000%. Sur d'autres points, je serai moins catégorique. Mais ces faits sont sans commune mesure avec un assassinat. Et si sa mémoire le trahit ou travestit quelques éléments, faut-il l'en accabler pour autant ? Tout ce qui est dit ou écrit dans un livre doit-il être toujours pris pour argent comptant ? Ce qui vaut pour les ministres qui « écrivent » leurs souvenirs ne vaudrait-il pas pour d'autres, fussent-ils « voyous » ?

 

Avez-vous fait des vérifications ?

Impossible, en effet, de vérifier si telle anecdote est intégralement réelle, si elle a été génétiquement modifiée ou si elle a eu droit à un relooking ! Tant ressusciter les morts est pour moi « mission impossible ». J'ai pris néanmoins des avis auprès de gens qui avaient côtoyé telle ou telle star, de quelque « milieu » que ce fût. Tous m'ont confirmé, à défaut de l'anecdote évidemment, les liens d'amitié de Marcantoni avec Michel Simon ou Jo Attia, pour ne prendre que 2 exemples concrets. Je vous renvoie donc à Pirandello : « la vie est pleine d'absurdités qui peuvent avoir l'effronterie de ne pas paraître vraisemblables. Et savez-vous pourquoi ? Parce que ces absurdités sont vraies ! »

Lorsque pour L' Optimum j'ai réalisé l'interview de Marcantoni, je suis descendu à Marseille pour rencontrer le juge Patard, qui avait instruit en grande partie l'affaire. Quand j'ai évoqué madame Pompidou, il m'a répondu : « on savait madame Pompidou vulnérable sur le plan des mœurs ». 

J'ai demandé un entretien, toujours en amont, à Pierre Ottavioli, ex patron mythique du 36, qui avait eu à interroger Marcantoni, mis en cause par un Yougoslave sur un hypothétique trafic de drogue. Il m'a dit : « il était clair que cet homme mentait pour sortir de cellule. Je n'avais d'ailleurs que son témoignage. Au bout de quelques heures de garde à vue, j'ai remis Marcantoni à l'air libre ». Dès lors, pourquoi mettre systématiquement sous contrôle, voire interrogatoire serré, un homme qui, au demeurant, n'a jamais « balancé », même sous les coups des sbires de la Gestapo ?

Y a-t-il eu de l'auto-censure et dans quel domaine ?

Du début jusqu'à la fin du livre, jamais il n'y a eu la moindre tentation d'auto-censurer quoi que ce soit. La vie m'a enseigné la réalité des hommes. La technologie, la science et ses progrès ont permis à l'humanité d'évoluer. Mais le fond de l'homme n'a pas changé ; « homo homini lupus », l'homme est un loup pour l'homme, une maxime à méditer, dans un monde en pleine mutation. En tout cas, toujours d'actualité. Capable du meilleur, l'individu sera toujours capable aussi, hélas, du pire. Sinon comment comprendre que, selon le contexte, tel bon père de famille puisse se transformer en bourreau sadique et sanguinaire ? La chanson superbe de Goldman, qui pose la question de savoir de quel côté on eût été, collabo ou résistant, nous interpelle d'autant plus que nous n'avons pas la réponse. Mais nous avons besoin de trouver des exutoires, donc de désigner des boucs émissaires. Souvenons-nous de la fable du « bon » La Fontaine, « les animaux malades de la peste ! » Et sachons modération garder. 

 

Quelle est la scène du film à laquelle vous auriez aimé assister ?

Je sais à quelles scènes je n'aurais pas aimé assister, la tentative de viol de Martine Carol ou encore la fin tragique, sur un plateau désert, d'un minable voyou qui avait « balancé » son copain d'enfance.

En revanche, être présent autour d'une table avec un Michel Simon, un Georges Lautner, un José Giovanni et un Bébel, voilà qui m'aurait assurément ravi. Non parce que c'étaient des stars, je n'ai pas ce culte là, mais parce que j'aurais passé, j'en suis convaincu, un grand moment d'humour, de ping-pong verbal. Un divertissement dans son acception étymologique.

 

On lit ce livre comme si on regardait un vieux polar. La question d'écrire directement un scénario s'est-elle posée ?

C'est en tout cas très flatteur et je prends la question comme un compliment. Mais, au risque de vous décevoir, le livre a été écrit sur fond d'images sépia, parce que le personnage de Marcantoni, l'époque et quelques répliques hommages à Michel Audiard s'y prêtaient. L'écriture d'un scénar' est très particulière. D'aucuns partent d'un livre, vous avez raison, avec l'optique de tout faire pour qu'un film puisse ensuite en être tiré. Cela n'a pas été mon cas.

Y-a-t-il une adaptation sur le feu ?

Dès la sortie du livre, des droits cinématographiques ont été réservés. Sans suite à ce jour. François Marcantoni, avant l'écriture même de Strass et voyous avait eu des propositions de Claude Berri assez avancées, eu égard au personnage, à son passé, à son histoire. Le producteur est décédé... Il est vrai que de Pierrot le Fou à Mesrine, tous les grands faits divers ou grandes figures du Milieu ont eu droit au grand écran. Faut-il voir au travers l'affaire Markovic cette espèce de black out fait autour d'un homme dont chacun se plaît à souligner que sa vie mériterait cent fois d'être portée à l'écran ? Truffaut, Cayatte naguère, Boisset me semble-t-il, avaient manifesté leur volonté de réaliser un film. Pour les deux premiers, ce que je sais, c'est que le pouvoir politique, le couple Pompidou en premier, s'était opposé au projet. Alors même que maître Floriot, star du barreau, qui fut brièvement le conseil de Marcantoni au moment de « l'affaire », avait rapporté à son client les propos de l'Auvergnat devenu Président :

« Si monsieur Marcantoni avait été un salaud, je n'aurais pas été Président. » Et l'avocat d'ajouter : 

« Monsieur Pompidou ne vous attribuera pas la légion d'honneur mais il saura vous renvoyer l'ascenseur ». Marcantoni a-t-il eu besoin de l'utiliser ? Pas que je sache, à en juger par le nombre d'années de prison qu'il comptabilise ! 

Si des cinéastes de la nouvelle génération sont intéressés, qu'ils se fassent connaître auprès d'Ecran Large ! Une certitude : aux Etats-Unis, il y a belle lurette qu'un grand réalisateur se serait emparé du sujet, avec un De Niro ou Al Pacino dans le rôle principal ! Quelle frilosité, chez nous !

 

Qui Marcantoni, dans l'optique où un film se ferait, verrait-il dans son rôle ?

Lui-même, bien sûr ! certes, il a eu un rôle de patron de cercle dans Le Solitaire, de Jacques Deray, film dont la vedette était Belmondo. Cet essai n'a jamais été transformé, « peut-être Delon avait-il peur que j'entame une grande carrière qui lui eût fait de l'ombre ! » soulignerait Marcantoni en guise de boutade ! Plus sérieusement, c'est un monsieur aujourd'hui très âgé qui est moins au fait de la nouvelle génération. S'il apprécie un très grand comédien comme Auteuil, difficile de voir en ce dernier une ressemblance physique avec « le Corse boiteux ». Personnellement, je verrais bien Jean Réno, tout en pensant que Robert Duval serait peut-être le plus convaincant. Ou alors Guy Marchand pour X raisons. Et pourquoi pas Vincent Cassel, étincelant dans le Mesrine de Richet.

 

 

Jean-Paul Belmondo a écrit la préface. Pourquoi lui et pas un autre ?

François Marcantoni m'a souvent dit que si Michel Simon était encore en vie, c'est assurément lui qui aurait préfacé Strass et voyous. Le nom de Jean-Paul s'est très vite imposé pour cet exercice auquel il n'est pas coutumier et qu'il a accepté avec sa gentillesse légendaire, « parce que c'était François ». D'aucuns se sont étonnés que ce n'ait pas été Alain Delon le préfacier. Il l'avait été pour l'ouvrage précédent. Que n'aurait-on dit s'il avait réitéré l'exercice ! Ces deux stars ont été les amis de Marcantoni, le sont restées. Car tous trois ont parmi d'autres valeurs communes un sens aigu de l'amitié. Et la boxe, école du respect de l'autre, les a encore davantage soudés.

 

Avez-vous eu des commentaires de flics sur votre livre ?

Oui, deux à ce jour. De policiers aujourd'hui à la retraite et de ma connaissance. Le succès du livre ne les a pas étonnés. C'eût été plutôt le contraire qui les eût surpris. Car, pour eux, les « beaux mecs » ont toujours attiré le public. Et puis, à leurs yeux, Marcantoni, avec son aura de truand à l'ancienne, sa faconde, son sens de la formule, ne pouvait que rencontrer la sympathie du public. D'autant que le Milieu qui fut le sien, les personnages qui défilent dans le livre en leur redonnant vie ne peuvent que séduire une large partie d'une population française quelque peu vieillissante et de plus en plus tournée vers une nostalgie des années dites « glorieuses », dont la page semble irrémédiablement tournée. Cette période là, eux-mêmes semblent la regretter, pour leurs jeunes collègues, confrontés aujourd'hui à une nouvelle délinquance, où les codes et règles ne sont plus respectés. L'un d'eux m'a dit : « quand nous faisions une descente dans les bars de Pigalle, les calibres glissaient sous les tables, mais n'étaient jamais tournés contre nous ».

 

Un copié / collé de Didier Verdurand.

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