Eric Névé, producteur indépendant

Didier Verdurand | 26 novembre 2009
Didier Verdurand | 26 novembre 2009

Eric Névé est un producteur indépendant que nous avions déjà rencontré il y a deux ans, à l'occasion de la sortie de Truands, de Frédéric Schoendoerffer. (lire l'entretien) Depuis, il a produit Les Femmes de l'ombre, de Jean-Paul Salomé et Une affaire d'Etat, d'Eric Valette, sorti mercredi dernier. Et si on reprenait la discussion là où elle s'était arrêtée ?

 

Un mot sur Les Femmes de l'ombre ?

C'était très enrichissant, pas forcément au sens parlant du terme parce que c'était plutôt compliqué de ce côté-là... Une expérience géniale à vivre pour un producteur car j'ai tout eu. Toutes les galères possibles et inimaginables. Avec LE gros pépin : l'une des actrices principales quitte le tournage au bout de 11 ou 12 jours pour des raisons de santé. (Laura Smet, remplacée par Marie Gillain, Ndlr) Il y avait eu des scènes qui avaient nécessité de gros moyens, comme la reconstitution de la gare St Lazare de l'époque avec 200 ou 300 figurants convoqués à 3h du matin à cause des coiffures qui prenaient des plombes...

 

Réaction ?

Il faut se dire que ce n'est pas la première ni la dernière fois dans l'Histoire du cinéma que ça arrive. Les comédiens sont des artistes fragiles.

 

Vous l'aviez vu venir ?

Pas du tout ! Le surmenage est arrivé d'un coup. Alors croyez-moi, quand vous avez traversé cela et que vous en ressortez vivant, vous vous dîtes : « Maintenant, je me sens vraiment producteur ! » Il y a eu aussi des moments de plaisir intense avec notamment la reconstitution historique, passionnante.

On ne peut pas parler de succès, en France...

Le film sort pendant la deuxième semaine des Ch'tis. Personne ne pouvait prévoir le raz de marée et on passe incognito. Par bonheur nous avons bien tenu pour finalement approcher le million. Par la suite, il s'est très bien vendu en DVD. Et la présence de Sophie Marceau a facilité les ventes internationales : nous sommes quand même sortis sur 1 000 copies en Chine ! C'est aussi le sujet et la qualité intrinsèque du film qui ont assuré ce succès. Donc au final, cela reste un excellent souvenir, qui comporte sa dose de bonheurs et de malheurs.

 

Vous avez choisi d'enchaîner sur un petit budget pour souffler un peu ?

Non, c'est le hasard. Mais rétrospectivement, on se dit qu'on joue un peu avec le feu quand on est producteur indépendant et qu'on commence à jouer avec des budgets supérieurs à 15 millions d'euros. Il faut faire très attention. Au départ, je lis le livre de Dominique Manotti, Nos fantastiques années fric, et je le trouve formidable. On y trouve une vraie intrigue, de vrais personnages, gris et pas caricaturaux, une vraie dramaturgie de polar et le tout sur une toile de fond. J'aimais un peu moins la charge sur les années Mitterrand - même si je fais partie de la génération quand même un peu déçue par cette époque - et je préférais qu'on se concentre sur une certaine intemporalité. Ce qui se passait il y a 15 ou 20 ans est toujours aussi vrai aujourd'hui. On pouvait ainsi extraire une dualité Gauche / Droite et vous remarquerez dans le film qu'on ne parle que de Majorité et d'Opposition. Je voulais qu'on s'intéresse au principe de la diplomatie parallèle qui débouche sur des commerces dont on ne parle quelques années plus tard. On achète du pétrole au pouvoir en place et en échange on leur vend des armes. Regardez l'Angola Gate. L'Angola est le premier fournisseur étranger de pétrole français. Si Pasqua n'avait pas vendu des armes pour sauver le gouvernement angolais, celui-ci serait peut-être tombé aux mains des rebelles et les compagnies pétrolières anglo-saxones auraient peut-être récupéré le morceau.

 

Vous avez fait appel à des scénaristes ?

Oui, à Alexadra Charlot et Franck Magnier. Je les avais trouvé très subtils en journalistes politiques quand ils écrivaient pour les Guignols. La question du réalisateur s'est très vite posée et ce sont eux qui m'ont proposé Eric Valette.

Ses mésaventures américaines ne vous ont pas refroidi ?

Pas du tout, son expérience lui a été utile. Il faut savoir se fier à son instinct et vous vous rendez très vite compte si le réalisateur est l'homme de la situation, à sa façon de parler, d'envisager les choses... Je n'ai pas eu le moindre doute sur Eric. Comme je n'en avais pas eu sur Frédéric Schoendoerffer pour Scènes de crimes. J'étais le 46è producteur qu'il démarchait et j'avais accepté de le recevoir parce que j'admirais le travail de son père. Je lui demande s'il a fait des courts et il me répond que oui mais je ne peux pas les voir. Bon... Je lui dis de parler de son script et là, au bout de 5 minutes, je dis banco ! Avec Eric, j'avais un nouvel angle qui collait parfaitement au projet car il voyait une mise en scène de western.

 

Vous lui avez garanti le final cut, pour le rassurer ?!

En général, tous les gros problèmes de final cut concernent la fin des films. Là, à partir du moment où on était tous d'accord sur un scénario, le problème ne se posait pas vraiment. Après, moi je ne suis pas réalisateur, je ne veux surtout pas du final cut, cela ne m'intéresse pas. Chacun ses compétences et ses talents ! Je ne me gêne pas pour donner mon avis au montage mais en aucun cas je n'impose mes idées au réalisateur qui a le dernier mot. Si mes idées sont meilleures, il suffit de le démontrer par A + B.

 

La sortie a été avancée d'une semaine au dernier moment. Pourquoi ?

Pour s'éloigner des fêtes de Noël pendant lesquelles il y a beaucoup plus de rotations dans les salles, à cause d'un besoin accru de nouveautés. Je pense qu'il peut y avoir un bon bouche à oreilles autour d'Une affaire d'Etat donc il faut lui laisser le temps de s'installer. J'ai donc préféré une plus petite combinaison de salles mais avec la possibilité de la tenir. Traditionnellement, les polars sortent en janvier et février mais si vous regardez ce qui nous attend en 2010, il y en a déjà presque deux qui sortent chaque semaine ! Je préfère encore être un polar dans une offre diversifiée plutôt que dans une offre mono-polar... 

Combien d'entrées vous faut-il, au minimum ?

Je vous avais répondu pour Truands et ça n'avait pas marché alors depuis, je ne dis plus rien ! (rires)

 

Quelle est votre vision de la crise, dans le cinéma ?

Je la sens actuellement, dans le montage du premier long de Romain Gavras, un croisement entre Les Valseuses et Orange mécanique. C'est une galère pour le couvrir financièrement à cause de la nouvelle configuration qu'offre la crise. Il y a trois phénomènes en même temps. Déjà, elle touche les ventes à l'international qui ont baissé de 80%. Un film comme Truands faisait 800 à 900 000 euros de ventes soit 25% de son budget. Aujourd'hui, il ferait 100 à 150 000. Pas plus ! Tous les acheteurs étaient financés par le crédit banquaire. Des pays comme la Russie qui était le premier acheteur, n'achètent plus rien. Ensuite, on se prend les tergiversations sur la loi Hadopi. L'opposition a été dramatique, ne proposant aucune alternative et qui n'a fait que détruire pour des raisons de démagogie. On essaye de récupérer un électorat jeune en lui faisant croire qu'Internet peut être gratuit. Très bien les gars mais en attendant, tous nos catalogues sont pillés sur le Net et ne valent plus rien quand on veut obtenir des crédits. La position de la Gauche est lamentable. Jusqu'à présent elle avait plutôt soutenu la création en France et maintenant elle se planque derrière les rideaux avant d'aller voter contre Hadopi à l'Assemblée... C'est ridicule. Et surtout, où sont les propositions d'alternatives ? L'impact sur nos moyens de financements est énorme. Enfin, troisième phénomène, c'est la modification très sensible du paysage télévisuel en France. L'arrivée de la TNT a beaucoup touché les chaînes qui investissaient activement dans le cinéma donc il y a moins d'argent aussi de ce côté-là.

La Chauve-souris produit un film par an. C'est suffisant ?

Non. Economiquement, ce n'est pas assez. Nous sommes un petit groupe d'artisans, seulement trois, et c'est fragile. Mais nous allons essayer d'augmenter la cadence.


La création d'un César du box-office, vous étiez pour ?

Je croyais que c'était une plaisanterie !

 

Le fantasme d'un producteur, c'est Paranormal activity ?

On ne peut pas vraiment aborder notre métier en se disant qu'on gagnera un jour au loto ! Un fantasme, non, car cela impliquerait quelque chose d'obsessionnel et ce n'est pas le cas. Mais tant mieux pour eux, on ne peut que s'en réjouir.

 

Le dernier film qui vous a emballé ?

Hadewijch, de Bruno Dumont. (sorti le même jour qu'Une affaire d'Etat ! Ndlr) J'ai énormément d'admiration pour Dumont, un cinéaste de la trempe d'un Robert Bresson.

 

Propos recueillis par Didier Verdurand.

 

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