Mélanie Laurent (La Chambre des morts)

Laurent Pécha | 13 novembre 2007
Laurent Pécha | 13 novembre 2007

Portant le film sur ses frêles épaules, Mélanie Laurent compose une enquêtrice en mode redoutable profiler dans le controversé La Chambre des morts. Une chose est sûre : la demoiselle a été emballée par l'expérience et défend le film de manière appliquée et convaincante. La preuve...

 

 

 

 

Quelles ont été vos réactions à la lecture du scénario ?
À la première lecture, j'ai été frappée par le naturalisme de toute  la partie policière, les débriefs dans le commissariat, la manière d'enquêter, le rapport de mon personnage de jeune brigadier avec ses collègues plus ou moins sympas. J'avais envie de participer à ce film où l'on retrouve l'ambiance réaliste du milieu policier, et en même temps, celle d'un vrai thriller. On a du mal à comparer La Chambre des morts à un autre film, ou à le classer dans un genre. Ça faisait longtemps que je n'avais pas lu un scénario qui me donnait à ce point-là l'envie de participer à un film.

 



Êtes-vous amatrice de thrillers, de romans noirs ?
Pas du tout. Alfred Lot m'avait donné des bouquins de serial-killers, mais après en avoir lu trois pages, j'étais terrorisée, je faisais des cauchemars ! Donc je n'ai pas du tout fait de préparation en me faisant violence, en me forçant à voir ce genre de films. Je n'ai même pas vu Le Silence des agneaux ! Et je n'ai pas lu La Chambre des morts. Ce qui m'intéresse, c'est le film que le metteur en scène veut faire.



Parlez-nous de Lucie, votre personnage.

Les enfants traumatisés ont des vies un peu extraordinaires. Lucie a une certaine maturité, on a lui a volé son enfance donc elle s'est construite, de manière naturelle, un bouclier pour se protéger. Il va lui falloir de la patience, et beaucoup d'amour pour essayer de se libérer un peu de ses obsessions intimes. C'est à cause d'elles qu'elle ne lâche pas quand elle est sur cette enquête. Une jeune femme qui ne dort pas pendant quatre jours, ça justifie des moments de fatigue et de larmes, pour une comédienne c'est passionnant... D'ailleurs, ça m'intéresse de plus en plus de ne pas jouer « jolie ». C'est-à-dire, avoir à peine un quart d'heure de maquillage, ne pas cacher ses cernes, ne pas avoir de coiffure apprêtée, et porter les mêmes fringues pendant deux mois. Pour moi, c'est beaucoup plus fort. Quand on joue « jolie », on ne sait pas comment se tenir entre les prises, on pense toujours aux raccords. Là, pendant tout le tournage, on est débarrassé de la dimension physique du rôle, il ne reste que l'émotion pure. En fait, il n'y a plus que le jeu, c'est très agréable.




 

On sait peu de choses sur le passé de Lucie. Comment donner une telle présence à un personnage si secret ?

J'y ai pensé pendant six mois. Je lis et relis le scénario et après je m'en débarrasse, et j'en rêve. Tout un travail se fait inconsciemment. Dans la journée, tout d'un coup, si je me balade ou si je vais à un rendez-vous, j'imagine Lucie dans cette ambiance-là. Je la vois marcher d'une manière assez sombre avec toutes sortes d'idées dans la tête. Ou bien au cours d'un dîner, je me dis, comment réagirait-elle ? Je suppose qu'elle serait effacée, un peu perdue. Je crois qu'elle a sans doute pris beaucoup de cachets pour dormir et pour arrêter de faire des cauchemars. Je ne pense pas qu'elle ait consulté un psy. Non, elle a gardé à l'intérieur d'elle-même son traumatisme comme un secret dont elle puise une force. De même qu'elle a caché l'objet qui la relie à son enfance dans son armoire secrète. J'imagine qu'après avoir couché ses enfants, c'est une sorte de rituel pour elle de pleurer en mettant une bougie devant son petit autel. Elle vient s'y ressourcer, elle y trouve l'énergie pour mener à bien sa quête, elle a une vie à sauver. Quand Alfred m'a appris que je faisais le film, je me suis dit que pour ce genre de rôle, je devrais travailler pendant des mois avec un coach. Finalement, je ne l'ai pas fait. J'ai plus besoin d'adrénaline, le moment où je découvre la scène le matin et je dois improviser, je fonce. Quand les rôles sont bien écrits et qu'une partie de nous-mêmes correspond au personnage, le travail est déjà fait.



 

Vous n'étiez pas éprouvée par la noirceur de certaines scènes ?
J'avais envie de donner au personnage un peu de maladresse à certains endroits. Souvent dans les polars, les flics ne tremblent pas, ils tirent sans aucun problème, comme s'il n'y avait rien d'humain en eux, cela me semble irréaliste, je n'y crois pas. Pour avoir fait quelques séances de tir, c'est extrêmement violent. Et Lucie n'est pas sensée avoir l'habitude de pointer son flingue sur un homme. J'avais besoin aussi de mes petits moments de légèreté ou de sourire dans certaines scènes. On a pensé avec Alfred qu'il fallait privilégier de jolis instants de tendresse lorsque Lucie s'occupe de ses jumelles. Dans les cas des traumatismes de l'enfance, on reproduit le schéma que l'on a vécu, ou bien on va carrément dans le sens inverse. Donc je trouvais important qu'elle soit une vraie bonne maman, une mère aimante, même si elle est débordée, même si elle est torturée. Alfred m'a laissé improviser avec les enfants. Après ces moments quotidiens d'amour maternel très réalistes, c'est plus facile de créer l'inquiétude. On ne va pas jouer le mystère ! Juste en effaçant un sourire par exemple, ça questionne, ça donne un secret au personnage. De toute façon, j'ai besoin de rire énormément entre les prises. J'ai une capacité à sortir très vite de mes personnages. Je crois que je n'ai jamais autant ri que sur ce film !


 

Vous abordez des registres très différents. Quel plaisir particulier éprouvez-vous à tourner dans un thriller ?
En tout cas, déjà c'était très agréable d'être sur le plateau tout le temps. Je quittais ma loge le matin pour n'y retourner que le soir. Alfred Lot impulsait une énergie assez géniale. Finalement, le plus fatigant et le plus difficile dans ce métier, c'est l'attente. Sur ce tournage, il n'y en avait pas. On était dans une espèce de jeu non-stop. On finissait une séquence où l'on courait dans les dunes, aussitôt après je faisais réchauffer les biberons ! J'avais le sentiment qu'on faisait un court-métrage à l'arrachée, sans autorisation ! Ce rythme crée de précieux liens humains avec l'équipe technique, tout le monde se donne à fond. Et finalement, ça correspond à ce que vit Lucie, elle ne s'arrête jamais.

 

Quelle a été la scène la plus jubilatoire, ou la plus terrible à interpréter ?
Les scènes de flingue sont très amusantes, on a l'impression d'être Nikita ! La séquence sous la douche n'était pas forcément la plus sympa (NDR/ le personnage de Lucie s'y masturbe), on est au plus profond de l'intimité... Mais je savais que la scène se terminait dans la légèreté et la drôlerie avec l'arrivée d'Eric et sa gêne quand il pose sa main par mégarde sur ma petite culotte ! Seul le chef-op était présent dans la salle de bain, caché sous un énorme K-way un peu ridicule, et je n'étais pas complètement nue. Il y a rarement des scènes aussi intimes dans les films de genre qui soient traitées avec autant de pudeur et de respect. Et elle n'est pas gratuite, elle fait basculer leur relation.

 



Comment Alfred Lot vous a-t-il dirigée, et quelles sont ses qualités ?
Alfred est très pudique, il ne déborde jamais dans l'hystérie, ni dans un enthousiasme excessif à en rajouter dans les faux compliments ! J'ai pris beaucoup de plaisir à travailler avec lui. Je comprends qu'il soit obsédé par ses cadres, il est déjà en train de monter son film pendant qu'il tourne. Rassuré sur l'image, il peut se permettre d'être généreux avec ses acteurs. D'une manière très douce et avec beaucoup de respect, il nous donne des espaces de liberté en sachant qu'elle va nous amener au meilleur de notre capacité. Je suis très sensible à la direction d'acteurs et à la technique car j'espère passer à la réalisation.


 

Vous avez une belle complicité de jeu avec Eric Caravaca.
Alfred avait organisé un déjeuner pour notre première rencontre. À la fin, je me suis dit que deux mois et demi dans le Nord à travailler ensemble avec Eric, ça allait être sinistre ! Dès le premier jour de tournage, j'ai découvert un acteur extraordinaire qui donne autant dans le champ que dans le contrechamp, et un merveilleux complice pour mes moments de rigolade.

 

 

Quel souvenir gardez-vous du tournage ?
Le plaisir d'être dans une énergie permanente, et le bonheur absolu de retrouver l'équipe lorsque le réveil sonne à 5h du matin ! Ça devrait être comme ça sur chaque tournage puisque ce métier fait rêver le monde !

 

 

Entretien effectué par Gaillac-Morgue

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