Denzel Washington (Inside man)
Inside Man est votre quatrième film avec Spike Lee après Mo'Better Blues, Malcolm X et He got game. Pouvez-vous nous parler de cette collaboration ?
Bien sûr, et c'est assez simple : nous aimons travailler ensemble. Peu
à peu, nous avons mis en place une sorte de code qui nous permet de ne
plus avoir à parler. Notre relation a surtout évolué depuis que j'ai
réalisé mon premier film, Antwone Fisher,
il y a quelques années. Mon approche est différente depuis que je suis
passé derrière la caméra. Je comprends mieux maintenant ce que cela
implique et combien c'est difficile de tourner un film. J'apprécie et
je respecte d'autant plus ce que fait Spike. Je sais moi aussi tout ce
que l'accomplissement d'un tel travail dans un temps si court peut
nécessiter.
Avez-vous déjà refusé quelque chose à Spike Lee?
Oui. Il m'avait proposé d'interpréter Jackie Robinson (le premier
joueur de base-ball noir américain) et je ne le sentais pas. Je n'avais
pas envie, après avoir joué Malcolm X, de me spécialiser dans le
personnage historique : Malcolm X, Martin Luther King, Steve Biko,
Jackie Robinson
C'était il y a longtemps. C'est la première chose que
Spike m'ait proposé après He got game.
Pourquoi avoir accepté Inside Man?
Parce que l'histoire était bonne. En fait, j'ai longtemps hésité entre
le rôle du policier et celui du braqueur de banque avant de me dire «
Une seconde
si je joue le braqueur, on ne verra jamais mon visage ! »
Mon agent aussi me disait « personne ne te verra ! ». Je voulais
vraiment participer à ce tournage, d'autant que Spike avait réuni un
très bon casting. Je venais juste de jouer Jules César au théâtre, et
l'idée de participer à un film choral me séduisait beaucoup. Il ne
s'agit ni d'un film de Denzel Washington, ni d'un film très
représentatif du cinéma de Spike Lee. C'est simplement un scénario
pré-écrit qu'il a décidé de réaliser.
Spike Lee est réputé pour cultiver une atmosphère très familiale sur le plateau. Est-ce vrai ?
Tout à fait : c'est un business familial. L'un de ses frères est son
photographe, et un autre s'occupe du making of. Nous répétons toujours
dans le même bâtiment qu'à l'époque de Mo'Better Blues,
il y a 17 ans. C'est assez confortable et rassurant. Je me souviens
m'être assis dans la véranda pour manger un sandwich et m'être senti
chez moi. Je vis à Los Angeles mais je suis new-yorkais. New York me
manque.
En tant que réalisateur, en profitez-vous pour prendre des notes ?
Bien sûr. Par exemple, après les répétitions, Spike et son photographe
sont revenus sur tous les plans du film pour réfléchir au matériel
qu'ils allaient utiliser sur chacun d'entre eux. Je me suis joint à eux
et j'ai noté tout ce qu'il voulait faire dans l'idée de m'en servir la
prochaine fois que je réaliserai un film.
On
peut observer une constante dans votre filmographie, puisque vous êtes
régulièrement officier de police, détective ou soldat. Pouvez-vous
comparer Keith Frazier, le détective que vous interprétez dans Inside Man, avec vos autres rôles de policiers ?
Je n'y avais jamais pensé, mais je n'aime pas m'étendre sur ce que j'ai
fait dans le passé. Je ne pourrais pas faire de comparaison. J'aborde
chaque rôle comme un rôle unique. Keith a une histoire particulière,
des problèmes avec sa petite amie qui voudrait se marier alors qu'il ne
peut pas se le permettre. Il a été accusé d'avoir volé de l'argent et
cette affaire énorme lui tombe dessus. C'est peut-être lié aux
scénaristes : mes personnages sont souvent des détectives ou des
policiers. Je ne sais pas combien de flics j'ai pu incarner
.
Dans ce film, les choses ne sont jamais ce qu'elles semblent être
Absolument. Rien n'est ce qu'il a l'air d'être. Qui est le méchant ?
Qui est le gros dur ? Est-ce vraiment un braquage de banque ?
Diriez-vous que c'est la même chose dans la vie ?
Bien entendu ! C'est d'ailleurs ce qui m'intéressait dans ce
personnage. Il est flic, mais cela ne signifie pas qu'il contrôle la
situation. Ses supérieurs l'appellent sur cette affaire et il répond «
Moi ? », comme si on lui avait dit « Oui, les autres sont en vacances,
donc c'est à toi. »
Pensez-vous qu'il se surprenne lui-même ?
Oui. En définitive, c'est quelqu'un de très instinctif. Nous sommes
dans un film donc, évidemment, il gagne, mais je ne pense pas qu'entrer
dans la banque soit la chose la plus intelligente à faire. Les
policiers qui faisaient office de conseillers techniques nous disaient
« ça ne peut pas se passer comme ça ». Je leur répondais qu'ils
n'avaient pas à s'inquiéter : ce n'est qu'un film ! Il n'est pas
nécessaire de suivre le manuel de police à la lettre. C'est avant tout
du divertissement. J'espère seulement que, si je me retrouvais moi-même
pris en otage, aucun policier n'agirait de cette manière. C'est de la
folie, et cela pourrait avoir des conséquences désastreuses.
Hollywood est rempli de « bad guys ». Avez-vous déjà été confronté au côté obscur de l'industrie du cinéma ?
Voilà comment je vois les choses : je suis un optimiste. Bien sûr, nous
nous sommes tous brûlé les ailes, mais je ne m'y attarde pas quand ça
m'arrive. La vie est trop courte et je l'aime beaucoup trop pour
m'entourer de personnes négatives. Je me ferais peut-être avoir une
première fois, peut-être une seconde, mais trois fois ? Ne comptez plus
sur moi !
À l'origine, votre personnage était un homme blanc. Comment en avez-vous fait un Noir ?
Je ne l'ai pas fait, c'est impossible. Je n'ai rien changé au
personnage. Il aurait tout aussi bien pu être joué par une femme.
J'apporte à mon personnage ce que je suis.
Pourquoi Keith ne veut-il pas se marier ?
Je crois qu'il ne peut pas se le permettre. C'est ce qu'il dit en tout
cas. Question : pensez-vous qu'il garde le diamant à la fin ? Les
femmes répondent oui, et les hommes n'en savant rien. Tout est question
d'interprétation. Ne devrait-il pas le rendre ?
Le film a une forte dimension politique et sociale, mais il est
également très drôle. Avez-vous conscience de son aspect comique ?
Nous nous sommes lâchés sur les blagues. En tout cas, je l'ai fait. Je
n'ai pas vu le film en présence du public mais, d'après ce que j'ai
entendu, il a provoqué de nombreux rires. Quand j'ai lu le script, je
l'ai d'abord vu comme un divertissement plus que comme une satire
sociale.
Spike Lee déteste les jeux vidéo violents, comme le montre
clairement l'une des scènes du film. Quelle est votre opinion sur ce
point ?
Mes enfants ne jouent pas à ce genre de jeux. Mon aîné ne joue qu'aux
jeux de sport et, fort heureusement, mes filles n'y jouent pas du tout.
Nous vivons malheureusement dans un monde très violent, alors j'essaie
de faire le maximum à la maison pour éviter ce genre de jeux. Mais rien
ne garantit que leurs camarades ne les ont pas.
L'une des scènes les plus fortes du film, où un chauffeur de taxi
Sikh se fait arracher son turban, a été rajoutée par Spike Lee. Qu'en
pensez-vous ?
Je crois que c'est une bonne chose. Cela reflète la réalité, plus
particulièrement à New York. Je suis persuadé que c'est vraiment
arrivé. Tout cela remonte au 11 septembre: les gens s'attaquaient aux
Sikhs, aux Indiens, à tout le monde, sans même réaliser qu'ils
n'étaient pas musulmans.
Peut-on dire que New York est l'un des personnages principaux du film?
Tout à fait. Certains new-yorkais qui assistaient au tournage se sont
d'ailleurs retrouvés dans le film. La première fois que nous sommes
arrivés sur place en voiture de police, beaucoup de monde s'était
déplacé pour regarder et Spike a dit « Tournons ! ». Cela fait partie
de la ville. Lorsque je vivais à New-York, je ne passais pas beaucoup
de temps à Wall Street et, évidemment, le quartier est beaucoup plus
résidentiel depuis le 11 septembre. Les rues sont étroites et les
immeubles énormes. C'est très intéressant. Et excitant !
Respectez-vous certains rituels avant de tourner une scène?
J'aime bien respirer, m'étirer, jurer, crier, pleurer, gémir
Tout ce qui peut m'être nécessaire.
Combien de rôles refusez-vous?
Je n'en sais rien, car toutes les propositions n'arrivent pas jusqu'à
moi. Parfois mon agent les rejette avant de me les montrer. Mais pas
des tonnes. Aujourd'hui, les films sont tellement chers, et il y a
tellement de bons acteurs que les propositions ne sont pas si
nombreuses. Beaucoup de films que des acteurs comme Terrence Howard ou
Jamie Foxx ont faits ne m'ont jamais été proposés, et c'est très bien
comme ça.
Inside Man peut s'enorgueillir d'un scénario très intelligent. Avez-vous une réplique favorite ?
Oui, celle où je dis au Sikh que je suis sûr qu'il trouvera toujours un taxi.
Traduction par Johan Beyney