Larry Clark (Wassup Rockers)

Vincent Julé | 5 avril 2006
Vincent Julé | 5 avril 2006

Artiste, scénariste, metteur en scène, photographe… c'est pourtant un Larry Clark malade, diminué qui nous accueille par une gentille question : « Avez-vous lu le dossier de presse ? » Après l'avertissement de l'attaché de presse, il en remet une couche. Nous voilà prévenus. En fait, la veille, un journaliste lui avait demandé comment il avait rencontré les garçons de Wassup rockers. « Sur une séance de photos pour le magazine français Rebel, et blablabla », avait-il répondu. Une histoire qu'il a dû répéter des dizaines de fois, avant d'avoir le dossier de presse fini entre les mains, et de se rendre compte que tout était dedans. « Mais pourquoi me demande-t-il tous ça ? Pour la télévision, je veux bien, mais pour la presse, c'est une perte considérable de temps ». Donc, première question.

Comment avez-vous renco… keuf…keuf… qu'est-ce qui est le plus difficile entre le travail de photographe, à attendre la bonne lumière, et celui de cinéaste, à gérer une équipe entière ?
Les kids sont difficilement tenables. Tu leur dis de s'asseoir, de se taire, et au moment où tout est prêt, ils sont déjà partis, en train de faire les fous. Cela été comme ça tout le temps. Il a fallu que je gère tout le monde, et spécialement les garçons, tout seul. À chaque prise, ils étaient déjà ailleurs en vadrouille. En effet, comment faire un film avec pas moins de sept héros ? Il faut du temps, de la ressource et beaucoup de self control.

Après une première partie plus documentaire, le film glisse dans un monde de pure fantaisie, en même temps que les garçons atteignent Beverly Hills.
J'aurais pu faire un documentaire sur eux et rester à South Central, mais je pense que c'est ce à quoi s'attendaient les gens pour un film de Larry Clark. Je voulais les voir évoluer hors du ghetto, il me semblait intéressant de les confronter au monde des blancs. Car dans leur quartier, il n'y a aucun blanc, et autant les latinos que les blacks en parlent de la même manière. C'est « nous et les blancs » ! En plus de les montrer dans leur élément, les uns avec les autres, les uns contre les autres, je voulais qu'ils vivent aussi une aventure.

 


Pourquoi ce choix de faire évoluer le ton du film, du réalisme à l'aventure, l'action et même la comédie. C'est peut-être la première fois qu'il y autant d'humour dans un film de Larry Clark.
Oui, oui, on peut dire que la seconde partie du film est de moi, alors que la première appartient aux garçons. J'ai presque traîné un an avec eux avant de tourner une seule image. Je voulais qu'il s'installe un vrai rapport de confiance. Qu'ils puissent me faire confiance et me donner un peu d'eux-mêmes, et inversement, que j'ai assez confiance pour leur demander de faire ce que je souhaitais au final. Or, pendant ce temps-là, Paris Hilton et sa sœur Nicky faisaient la une des journaux. Chacune de leur sortie, de leur beuverie, était un évènement capital. Je me suis demandé ce qu'elles feraient si elles voyaient ces garçons. Je suis sûr qu'elles les emmèneraient dans leur décapotable, et qu'il y aurait à coup sûr une bagarre avec leur petit ami. Je connais certains filles riches qui sont de vraies prédatrices sexuelles. Elle sont riches, ont tous les privilèges, peuvent coucher avec tout le monde, et passent donc leur temps à fumer et baiser des mecs. Mes personnages et mes situations sont basés sur une réalité. Jonathan a vraiment ce succès auprès des filles, c'est un « womanizer ». Kiko aussi d'ailleurs, il est tellement bon et marrant, que je lui donnais de plus en plus choses à faire au fur et à mesure.

 

La scène sur le lit entre Kiko et la jeune Californienne n'a d'ailleurs pas été écrite.
C'est vrai, mais je savais exactement ce que je voulais. Je voulais que Kiko nous raconte son histoire personnelle, mais je ne savais pas à quel moment il allait être assez confortable pour se livrer. Jessica Steinbaum, qui interprète Nikki, n'était pas au courant et fut fascinée par ce qu'il racontait, lui demandant toujours plus de détails. À vrai dire, je n'ai pas écrit plus de 15 pages de scénario, après je voulais que les garçons nous racontent et nous fassent vivre leur histoire. Ainsi, lorsque Jonathan raconte sa première fois, sexuelle, rien n'était écrit, et je ne savais pas non plus comment le filmer. Je lui ai alors demandé la veille de se remémorer chaque détail avant de se coucher. Le lendemain matin au réveil, j'étais là et il m'a tout raconté moment après moment. C'est exactement ce que je voulais. De toute façon, je ne souhaitais pas que les garçons apprennent trop de texte et qu'ils en arrivent à stresser. Je les ai laissés être sauvages.

 


Combien d'heures de rushs avez-vous alors ?
Tu ne peux pas les avoir tout le temps, c'est pourquoi nous avons filmé en numérique. Nous avons tous pensé que ce film pouvait être différent. Sur cassette, je pouvais faire des prises plus longues, même si pour le reste, la lumière, l'équipe, le travail était difficile.

 

Ces « kids » sont différents de ceux que vous filmiez il y a 10 ans, les préférez-vous ?
Je ne pense pas, je les aime tous. Mais c'est vrai qu'il sont différents, avec la côte est et New York d'un côté, et les ghettos de L.A. de l'autre. Sinon, en surface, c'est la même chose, des jeunes qui n'avaient jamais joué et qui se retrouvent devant la caméra. Mais je ne pourrais le faire que tous les 10 ans, c'est trop dur.

D'où vient cette attraction pour la jeunesse sous toutes ses formes ?
C'est la culture, notre culture. Aujourd'hui, elle est telle, que tout tourne autour de la jeunesse. J'ai commencé à faire mes oeuvres tout jeune, en filmant mes copains. C'est mon territoire, si quelqu'un l'avait fait, peut-être que je l'aurais pas fait moi-même… mais qui d'autre le fait ?

 


Vous exercez une réelle fascination sur certains milieux tendance, de la mode par exemple. Or, vous vous en moquez directement dans le film.
Si ces gamins se rendaient à une soirée hype, de par leur manière de s'habiller, leurs cocards, le sang sur leurs T-shirts, plus d'un diraient : c'est pour ma prochaine campagne. Ils fonctionnent comme ça, et le font aussi avec mon travail, mais moi je n'y peux rien. Ils découvrent ce que je fais, et veulent à leur tour faire le même genre de photos, pour vendre des vêtements entre autres. Cela n'a rien avoir avec moi, mais beaucoup en arrivent à dire que cela ressemble à un film de Larry Clark. Oh mon Dieu, mais qu'est-ce qui se passe, je fais vendre des vêtements ! (Rires)

 

Et pour la suite, les projets ?
J'ai une idée pour un autre film avec Jon et Kiko, mais pas une suite à Wassup Rockers, un projet tout à fait différent, un film que je vais écrire avec un autre scénariste. Je travaille mieux, si j'ai un autre scénariste avec moi.

Un membre de la rédac m'a dit que Larry Clark sans drogues ni sexe, ce n'est pas vraiment du Larry Clark. (« Imagine Gainsbourg sans l'alcool et les clopes ! ») Un commentaire ?
C'est du Larry Clark, et il y a du sexe. Ce n'est peut-être pas à l'écran, mais il y en a. Et je pense même que c'est mon meilleur film, mon film le plus accessible.

Propos recueillis par Vincent Julé et Erwann Lameignère (www.reduxmag.com), traduits et mis en forme par Vincent Julé.
Photos de Côme Bardon. (site officiel : comebardon.net)

 

 

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
Aucun commentaire.