Lori Silverbush et Michael Skolnik (Girls in America)

Sandy Gillet | 8 mars 2006
Sandy Gillet | 8 mars 2006

Lori Silverbush et Michael Skolnik ont fait très fort avec Girls in America (titre français qui dénature ô combien le On the outs original – il s'agit de la phrase favorite de ces jeunes ados incarcérés pour exprimer ce qu'ils feront quand ils seront dehors – mais qui, il est vrai, ne veut rien dire pour qui ne maîtrise pas parfaitement le langage urbain et yankee) puisque inconsciemment ou non, ils ont tout simplement su capter l'essence même de leur société, comme en son temps avait su aussi le faire John Schlesinger avec Macadam cowboy. Le fait qu'ils emploient des néophytes issus du milieu qu'ils filment, à la place d'acteurs, ne change rien à la donne, tant leur mise en scène empreinte de toute une cinéphilie à la fois américaine et européenne que l'on ne croyait plus possible ou pensable au sein de la jeune génération outre-Atlantique surprend, rassure, et donne au final des gages d'espoir quant au futur de leur cinéma. Paroles de passionnés et passionnantes, recueillies en septembre dernier lors du dernier festival américain de Deauville, où le couple de cinéma a reçu le prix et l'hommage du public. L'occasion aussi pour eux d'enfoncer le clou sur la déliquescence permanente de leur société, deux semaines après la tragédie de la Nouvelle-Orléans.

Malgré son budget limité et son aspect très « roots » dû au format DV, Girls in America a bénéficié d'une photo travaillée et, au final, d'un gonflage en 35mm. Pourquoi un tel choix ?
Michael Skolnik : Ce n'est pas un secret de dire que filmer aujourd'hui en 35mm est un luxe qui n'est pas à la portée de toutes les bourses. C'est donc tout naturellement que nous avons fait le choix de la DV, considérant de surcroît le côté assez documentaire de notre film. Cela dit, le 35mm c'est tout de même l'âme du cinéma, et il nous a semblé donc opportun de gonfler notre montage final dans ce format à partir du moment où le film commençait à trouver son public.
Lori Silverbush : Nous avons aussi eu la chance d'avoir au poste de directeur de la photo Mariana Sánchez, qui a laissé tombé deux mois bien payés sur un autre tournage à Los Angeles pour se consacrer à notre film. Elle a pensé la photo comme si elle tournait en 35mm, ce qui a d'autant facilité son transfert dans ce format. De plus, filmer en numérique nécessite un talent et des aptitudes insoupçonnés du grand public. C'est aujourd'hui un métier à part entière de plus en plus adopté et compris par les jeunes générations de cinéastes.

 


De par votre background qui n'a rien à voir avec ceux des personnages que vous filmez (nos deux cinéastes ont, en effet, un niveau d'études très élevé, NDLR), comment avez-vous été acceptés et perçus ?
LS : Nous avons été mieux acceptés par cette communauté que nous ne l'avons jamais été par ceux que j'appellerais nos « semblables ». Bien sûr, il y eu du scepticisme au début, on nous prenait même pour des flics infiltrés. Mais une fois que l'on s'est présentés, une fois que nous avions fait la connaissance de bon nombre de personnes, cela des mois avant le premier jour de tournage, que nous avions prouvé notre bonne foi et l'intérêt de nous laisser faire notre film, nous sommes de fait devenus amis avec tout le monde, depuis les mères de famille jusqu'aux dealers pour lesquels les flics nous avaient mis pourtant en garde. À partir du moment où vous les impliquez dans le film et dans l'histoire que vous voulez mettre en scène, ils ont été d'une grande gentillesse et ont collaboré à tous les niveaux. Nous avons même fait la connaissance avec un dealer réputé et craint jusqu'aux flics, qui nous a invités chez lui alors que nous faisions des repérages. Au milieu de son salon immaculé se trouvait sur la table basse une photo. C'était celle de sa sœur, prostituée, qui venait de mourir à 15 ans, au cours d'une fusillade. C'est dire si l'histoire que nous développions dans notre film l'a touché, et combien il voulait absolument nous aider pour le mener à bien. Tous voulaient faire connaître la décrépitude de leur condition au reste de la société.

 

Comment le film a été perçu chez vous ?
MS : Girls in America fut d'abord projeté dans une salle à New York et a rencontré un vif succès, tant auprès des Blancs que des Noirs ou des Hispaniques, qui n'ont pas l'habitude de se déplacer pour ce genre de film dit d'auteur. Ce "miniphénomène" lui a ouvert les portes d'une exploitation limitée au national en janvier 2005. Nous l'avons aussi présenté au Slamdance Festival (le pendant rebelle du Festival de Sundance qui se déroule en même temps une rue plus bas, NDLR !), et c'est là où les gens de La Fabrique de films l'ont repéré et l'ont acheté pour la France.

 


Comment avez-vous financé le film ?
LS : Il s'agit d'un vrai film indépendant, et nous avons récolté de l'argent à droite à gauche, de personnes que nous connaissions ou de relations rencontrées au cours de notre courte carrière de cinéastes (Lori Silverbush a glané de nombreux prix avec son court-métrage Mental hygiene qu'elle a réalisé en 2001, NDLR). Pour chacun, il ne s'agissait que de petites sommes, ce qui nous permettait d'affirmer que personne ne prenait un très gros risque. Nous avons du coup créé une boîte de production et nous avons pu bénéficier d'une liberté totale. Et c'est là que se trouve le véritable luxe de notre film.

 

Quelle est votre vision de la France et de l'Europe ?
LS : J'ai vu il y a dix ans La Haine et j'ai été touché par ce film. Quand nous avons présenté notre film à Berlin, beaucoup de gens sont venus nous voir et nous ont parlé des problèmes des ghettos aux abords de la ville. Ce qui nous fait dire que ce que nous exposons dans notre film n'est pas uniquement américain, mais bien universel.

 


Votre film est expressément militant, mais au-delà d'exposer des faits éminemment tragiques, vous ne semblez donner aucune solution, sinon juste un faible espoir à la fin.
LS : En tant que cinéaste, je n'ai pas à apporter de solutions, j'en serais bien incapable et je trouverais cela de plus bien déplacé. Cela dit, tout devrait partir d'un dialogue où chacun peut et doit apporter sur la table son expérience et sa connaissance du problème. Car si solution il y a, elle doit d'abord passer par l'exacte dénomination du problème. En tant que cinéaste, si nous avons fait ce film, c'est pour éventuellement initier ce dialogue. Car aujourd'hui le cinéma est assimilable à du lavage de cerveau, où quand vous rentrez dans la salle on augmente le son et vous bouffez du pop-corn à gogo (qui a dit Orange mécanique ? NDLR !). En s'intéressant ainsi à votre voisin, comme nous avons tenté de le faire, c'est le début d'une ouverture d'esprit et de cœur que le cinéma se doit de développer ,au même titre que la lecture ou toute autre forme d'art.
MS : J'ai les solutions (sourire !). Nous avons besoin de changements radicaux. Par exemple, ce que nous avons dépensé durant la guerre en Irak (pour rappel, l'interview s'est déroulée en septembre 2005, NDLR) pourrait nourrir le monde sous-développé durant sept ans (sic). Et nous n'avons pas d'argent pour protéger la population de la Nouvelle-Orléans face aux ouragans. J'espère que le film que nous avons fait va initier le dialogue… En tant que cinéastes, nous avons la responsabilité de prendre position et d'avoir une opinion.
LS : C'est le problème du cinéma indépendant aujourd'hui, chez nous, qui ne fait des films que pour être coopté par Hollywood, ce qui donne des histoires que veulent voir les studios. D'ailleurs, les films prétendument indépendants sont majoritairement financés par les grands studios aujourd'hui.

 

Vous comptez remettre le couvert ensemble ?
LS et MS : Non, nous avons des projets séparés.
LS : J'écris en ce moment un scénario qui devrait prendre place dans une ville américaine bordant la frontière mexicaine, et qui devrait bien entendu traiter du problème de l'immigration des « wet backs » (surnom donné aux mexicains qui traversent la frontière illégalement via le Rio Grande, NDLR).

Propos recueillis par Sandy Gillet.
Autoportraits de l'équipe présente à Deauville en septembre 2005.

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