The Jane Doe Identity : l'horreur au féminin
Si le médecin légiste est un personnage qui traverse cinéma comme littérature depuis plusieurs décennies, il tient plus souvent du couteau suisse scénaristique que du moteur narratif. L'une des propositions les plus intéressantes de The Jane Doe Identity est donc de faire de deux légistes liés par le sang les héros de son récit torturé.
On se souvient que le romancier Herbert Lieberman avait usé d'un procédé similaire pour renouveler la structure de son texte Necropolis, faisant d'une enquête finalement banale un eplongée en apnée dans la psyché d'un homme obsédé par les corps et leurs énigmes. Peut-être faut-il y voir une source d'inspiration du metteur en scène André Ovredal, qui utilise ce duo médical pour constituer une forme de peur inattendue, pour ne pas dire inédite, une terreur oppressante centrée sur le corps féminin.
CACHEZ CE CORPS QUE JE NE SAURAIS VOIR
Il faudra quelques secondes à peine à André Ovredal pour imposer cette idée, absurde et terrible. Le corps de « Jane Doe », arrivé par hasard sur la paillasse d'une petite morgue du sud des États-Unis sera le principal antagoniste du conte macabre qui va se dérouler sous nos yeux. Mais ce cadavre ne porte aucun des stigmates qu'on imagine inhérents au cinéma d'horreur tendance série B.
D'une beauté à couper le souffle, inexpressif et pourtant menaçant, voluptueux mais glacé, il est la source première de l'inquiétante étrangeté qui s'immisce dans The Jane Doe Identity. Car le cinéaste, s'il n'hésite pas à avoir ici et là recours aux jump scares et autres sursauts old school, choisit de distiller un vertige nauséeux, en déstructurant ses scènes grâce au corps de Jane.
De longs plans viennent rompre l'équilibre d'un dialogue, tandis que discrets mais entêtants changements d'objectifs transforment progressivement l'image. De même, sa caméra n'hésite pas à transgresser ponctuellement la sacro-sainte règle des 180° (règle dont le respect facilite la représentation dans l'espace et donc l'immersion du spectateur).
Les chairs blafardes de Jane surgissent ainsi régulièrement pour interrompre un dialogue, subvertir son sens, ou souligner les anomalies grandissantes qui s'insinuent dans le décor unique du film.
NE PAS TOUCHER
À bien y regarder, The Jane Doe Identity fonctionne sur deux niveaux de lecture, très différents et complémentaires. Le métrage d'André Ovredal est une série B d'horreur artisanale et soignée, mais aussi une réflexion perverse sur les relations hommes/femmes. Car à bien y regarder, si on oublie un instant les colifichets du scénario, le film traite de deux hommes, tentant de mettre à jour les plus terribles secrets d'une femme en violentant (littéralement) son corps.
Une idée brutale, dure et invasive, qui nous amène logiquement à une réflexion particulièrement éreintante quant à la situation qui se joue sous nos yeux. Qui sont donc ces deux légistes, père et fils, qui évoquent à demis-mots une épouse et mère partie trop tôt, et qui jouent soudain l'avenir de leur relation autour d'une dépouille féminine qu'ils découpent ?
Ce que nous narre en filigrane The Jane Doe Identity, c'est la manière, souvent involontaire te inconsciente, dont les hommes peuvent envisager la femme comme un pur objet à analyser, découper, normer, voire comme une donnée de leur existence sacrifiable, une option qu'il faut parfois abandonner pour sauvegarder certains acquis.
Sauf qu'ici, et c'est une des origines de la peur, le corps de cette femme, totalement objectivé, ne va pas se laisser faire et projeter ses deux tortionnaires dans un maelström cauchemardesque. Soudain, nos deux mâles vont se voir présenter l'addition, celle de leur indifférence, de leurs manquements et de la frivolité avec laquelle ils auront traité les femmes qui les entoure.
JUSQU'À CE QUE MORGUE S'EN SUIVE
En choisissant de centrer sa mécanique horrifique sur un corps féminin, tour à tour sublime et menaçant, André Ovredal nous emmène sur un terrain radicalement éloigné des Insidious et autres Conjuring (même si le réalisateur assume tout à fait l'influence de James Wan sur son travail). En effet, l'unité de lieu, de temps, d'action et la place pivotale de ce cadavre aux intentions angoissantes empêchent le récit de verser dans une forme de surenchère numérique ou scénaristique.
Le scénario ne peut désormais que se baser sur ses personnages, pelant progressivement chaque couche de secret, de vernis social, à la manière d'un oignon sanguinolent. Cette dynamique correspond aux couches de peau et organes internes que découpent les légistes sur leur « victime ».
Hommes et femmes se toisent alors, chaque mystère provoquant l'irruption d'une nouvelle abomination dans la réalité changeante qu'occupent nos deux héros. Au coeur de cette mécanique infernale, l'idée que ces deux sexes se jaugent, s'affrontent, et se condamnent mutuellement à une damnation sans cesse renouvelée.
On aurait tort de décrire The Jane Doe Identity comme un film d'horreur féministe. André Ovredal n'est ni un théoricien, ni un militant. Mais, à l'occasion de cette remarquable série B, conçue avec une orfèvrerie admirable, il a saisi un instantané de la lutte des sexes, dans ce qu'elle contient de plus cruel et irrémédiable.
17/05/2017 à 09:58
Tout à fait d'accord avec votre analyse, un film plus subtil qu'il n'y parait
16/05/2017 à 13:27
Excellent papier.
Vu le film au PIFFF, j'attends avec impatience qu'il sorte en salles pour me le refaire !
16/05/2017 à 11:01
Coucou EL n'écoutez pas les rageux qui n'ont jamais lu un texte sur le cinéma ou un peu d'analyse de leur vie !
Et merci merci de parler de ce film qui a l'air bien bien cool.
16/05/2017 à 09:43
Vu à Gerardmer. Une belle surprise !
16/05/2017 à 09:35
Excellente petite pépite d'horreur comme on en voit peu !
A recommander !
Par contre c'est quoi cette analyse pro-féministe, mais qu'estce que ça vient faire là dedans ??
16/05/2017 à 08:53
Content que le film profite finalement d'une sortie ciné bien méritée
Hâte !
16/05/2017 à 07:54
Juste une chose, ce texte a quel intérêt ? analyse ? Critique ? spoiler ? j'ai du mal à cerner...
15/05/2017 à 22:52
Le retitrage qui ne sert à rien à encore sévit : The Autopsy of Jane Doe c'était encore trop compliqué?
15/05/2017 à 21:18
J'ai trouvé ce film captivant de bout en bout. À voir !