Mauvais Genre 2013 - Incredibeul, isn't it ?

Aude Boutillon | 5 avril 2013
Aude Boutillon | 5 avril 2013

On l'aura hurlé aux quatre vents une année durant, suivant scrupuleusement les pérégrinations de son sélectionneur au fil des mois, mendiant la moindre info sur son contenu, jurant-crachant fidélité coûte que coûte ; cette septième édition nous aura une fois encore donnés raison. Oui, Mauvais Genre est LA manifestation cinéphile sur laquelle toute impasse devrait être sévèrement châtiée. D'abord parce qu'elle demeure l'un des seuls évènements en France foutu de proposer à son public une programmation quasi inédite et obscure au possible, tandis que ses congénères s'échinent à se refiler des patates franchement tièdes jusqu'à épuisement total. Ensuite, parce que son armée de bénévoles, son équipe à l'énergie surhumaine (en jour 5, l'exploit force le respect) et ses invités toujours prêts à s'encanailler, le tout sans aucune espèce de hiérarchie puante, font de l'expérience un rassemblement terriblement humain, sincère et survolté, là où d'autres se contentent de successions de projections sans âme.

La cérémonie de clôture du Festival, comme seul Gary We don't why Constant peut nous gratifier, finissait d'ailleurs d'entériner cette atmosphère spontanée et foutraque, de remises de trophées Skypées en étreintes lapines, ponctuées d'ailleurs d'une distribution de stylos collector SyFyLIS qui s'arracheront bientôt à prix d'or. Le grand gagnant de cette septième édition fut incontestablement The Battery (déjà chroniqué ici), dont les récompenses successives (prix du Public, mention du Jury, mention du Jury jeune) ont ravi un duo sympa comme tout, d'ores et déjà désigné juré de Mauvais Genre 2014 (Gary, ce pseudo-suspense ne dupe personne).  Le jury, chapeauté par Eriq Ebouaney (mais guidé par la poigne de fer de Coralie Trinh Thi), aura étonnamment choisi de récompenser Ok Good, sorte de documenteur américain plongé dans le quotidien cyclique et dévalorisant d'un comédien accumulant les castings de pubs comme autant d'entretiens d'embauche humiliants. Loin de se cantonner à la profession qu'il dépeint, Ok Good est une chronique de l'échec répété, portrait d'une lutte vaine pour la reconnaissance qui ne retrouve son humanité que dans l'excès, à l'occasion de cours d'acting/sophrologie et d'une explosion trop longtemps contenue. L'occasion d'osciller entre  la finesse et une tendance à la métaphore un brin lourdingue... mais surtout de s'ouvrir sur une citation de Conan le Barbare, eh.

Le Festival s'était également distingué par sa traditionnelle Nuit Interdite, toute en volupté et bon goût, entamée par The Battery et poursuivie par 13 Eerie, douloureuse débâcle d'apprentis légistes (dont Brendan Fehr, évadé de Roswell) en territoire hostile où rodent les rebuts d'expériences biologiques menées sur des criminels moyennement consentants. D'une facture visuelle étonnamment correcte, 13 Eerie partait sur des bases plutôt favorables (et somme toute généreuses en dégueulasseries variées), avant de s'engoncer dans le cliché, l'aberrant et l'irritant. Les téméraires, les vrais, les seuls, ont toutefois bravé la léthargie pointante pour affronter le cœur de la soirée : le Manborg d'Astron-6, firme canadienne épaulée par la Troma et responsable de Father's Day (ainsi que d'une ribambelle de pépites dévorables sur Youtube). La bobine épileptique de Steven Kostanski ne pouvait que constituer que le clou du spectacle, tout en hommage 80's tourné pour trois fois rien, en vraies trouvailles tarées et en générosité. Tirons au passage notre béret aux courts-métrages qui rythmaient la soirée, et plus particulièrement Tout doucement, étonnante production française aussi grinçante que troublante de sensibilité, et le non moins délicat Fist of Jesus, dernier rejeton des petits gars de Brutal Relax et indispensable orgie d'éviscérations évangéliques.

Au rayon des « Attends, c'était quoi, déjà ? », passons très vite sur le ronflant After, champion toutes catégories en recyclage de poncifs, ainsi que Tulpa, maladroit néo-giallo somme toute plus marquant : payez-vous donc la révélation finale, vous m'en direz des nouvelles. La jolie surprise était davantage à rechercher du côté de Jugface, dont le cast&crew ne pouvait qu'amener le fanatique de Lucky McKee à saliver abondamment : présent à la production, le grand (GRAND) gaillard était accompagné de trois trognes familières de The Woman, respectivement devant la caméra et derrière la bande sonore. Il est dès lors surprenant de constater que le film est écrit par son réalisateur, Chad Crawford Kinkle, tant il pullule de thèmes chers à son producteur. Jugface navigue ainsi dans les eaux troubles de mythes ancestraux et de secrets familiaux (et forestiers !), en propulsant une nouvelle fois en guise d'explosif à retardement une jeune femme a priori démunie. Le film, au demeurant plus cadré (maîtrisé ?) formellement que son prédécesseur féministe, aura toutefois le mérite de se garder d'emprunter des sentiers que l'empressement de la comparaison pouvait laisser présager.

 Enfin, impossible de manquer de mentionner une sélection de courts-métrages aux petits oignons, particulièrement marquée par l'éclectisme. Côté compétition, nous retrouvions avec plaisir le tandem Emma Spook - Pierre-Gil Lecouvey, de retour au Festival avec Silence, où les amateurs du déjà réjouissant Stress Killer ont pu retrouver une combinaison familière d'humour et d'épouvante. L'espagnol Hibernation et le canadien The Hunt se sont quant à eux distingués par une sensibilité remarquable, l'un au travers de sa SF rétro, l'autre de par l'incroyable interprétation de ses deux comédiennes. La Ricetta couvrait quant à elle le créneau de l'étrangeté ayant tout pigé au format court-métrage, tandis que le schizophrène El Otro s'illustrait par une narration absolument impeccable. La sélection Mad in France, concoctée par Erwan Chaffiot, se chargeait de compléter cet éventail déjà sacrément fourni. Si Rail empruntait le chemin d'un Tsukamoto patiné de Cronenberg, Antoine et les Héros, réalisé par Patrick Bagot et représenté on stage par ses acteurs Philippe Reyno et Rurik Sallé, se chargeait quant à lui de livrer à l'audience sa dose d'hommages 70's, blaxploitation et zombies fulciens à l'appui. L'efficacité du double-exercice n'aura pas échappé au public, qui récompensera le film... à égalité avec le Skom de Christophe Deroo, seconde comédie de la sélection.

On ne saurait conclure sans se targuer d'avoir fait partie des 15 solitaires ayant résisté à la tentation de filer vers d'autres aventures alcoolisées sitôt la cérémonie levée, puisque nous avons assisté, oui Monsieur, à la projection de Turn it up to Eleven 2, sympathique documentaire retraçant la folle tournée yankee d'un groupe de punk coréen, dont la timide débauche n'avait rien à envier aux bas-fonds tourangeaux. Ceux-là même que nous comptons encore fouler l'an prochain, convaincus de l'avenir radieux d'une manifestation que l'exigence, la sincérité et la passion profondes propulsent en tête d'affiche du paysage festivalier hexagonal. Rien de moins.

Le palmarès complet est disponible sur le site officiel du Festival Mauvais Genre.

 

Une splendide ola à Gary, Charline, Blanche Aurore, Erwan et leur milice de fous furieux dévoués.

 

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