Mauvais genre 2013 : le festival que vous ne voudrez jamais quitter
Si jamais tu n'y visionnes une proto-hype sur-cotée que tous tes petits camarades ont déjà téléchargé quinze fois,
Si après trois années, tu as toujours ce même siège voluptueusement grinçant, juste derrière le jury, pas trop loin de l'ouvreuse velue,
Si, alors que tu n'as rien d'autre à offrir qu'un peu de passion, une paire de sourires et un système digestif à toute épreuve,
Si, passé six heures du matin, un bénévole que rien n'arrête, pas même le punch de Chochon, te demande encore si tout se passe bien,
Si, quand tu loupes ce film attendu mais programmé le matin, on te propose d'ajouter une projection had hoc pour tous les alcooliques qui l'ont loupé,
Si l'on te remet à l'arrivée un badge où figure la délicate trogne d'un festivalier emblématique,
Si personne ne s'inquiète d'autre chose que de l'état de la copie 35 d'un inattendu Godzilla programmé trop tard pour être honnête,
Si les comédiens invités ne taxent des clopes que quand ils n'en ont plus
Si l'idée de partir t'affole le palpitant,
Si tu te dis que lendemain de soirée et audace stylistique font mauvais ménage, mais pas trop quand même,
Si tu cherches l'occasion de laisser rugir le gonzoman crasseux qui ronronne en toi,
Si tu commences à te dire que Cannes, c'est méchamment surfait,
Alors tu es à Mauvais Genre, mon con.
Que dire, sinon que cette édition 2013 s'avère aussi réussie que les précédentes, doublée d'une ambition qui, si elle ne faisait pas défaut à ses années, dépasse désormais tout à fait le stade de la chrysalide prometteuse. Non pas que les pelloches hallucinées, fauchées et gentiment dégueulasses aient déserté la programmation, bien au contraire, mais l'équipe emmenée par un Gary Constant survolté a réussi le tour de force de conserver son âme, tout en gagnant en exigence et en acuité. On mentirait en prétendant avoir vu venir la gifle Errors of the human body, diamant encore un peu brut, sorti de nulle part, et qui malgré ses gros sabots parvient à prolonger intelligemment la fameuse chair cronenberguienne. Fort d'une photographie léchée, d'interprètes aussi solides que vicieusement dirigé, ce thriller médical joue le grand écart entre frisson clinique, suspense psychologique et introspection virale.
Autre surprise de taille, The Battery sut prendre tout le monde de court. Inconnu au bataillon, distribué nulle part et découvert par personne, on ne savait trop que penser de ce « road movie avec deux gars dans un monde où il y a des zombies » (originalité, quand tu nous violes avec du gravier...), et force fut de constater qu'on n'a peut-être pas vu d'œuvre plus radicalement touchante sur l'amitié et ses conséquences depuis Stand by me. Servie par deux comédiens impeccables, écrit avec un sens de l'orfèvrerie qui intime instantanément le respect, la pépite se paie en outre le luxe d'afficher des partis pris de mise en scène d'une rare audace.
Deux films, deux gifles, qui témoignent à elles-seules du bond en avant effectué par Mauvais Genre.
Parce qu'il en faut pour tout le monde, il est de notre devoir de signaler le réjouissant Portrait of a zombie, qui parvient habilement à transcender sa forme assujettie à un budget ridicule, ainsi que le bordel envahissant de son troisième acte, grâce à un véritable discours sur la figure du zombie. Sans réinventer la machine à turluter les ratons laveurs, l'ensemble s'avère de prime abord cruellement drôle, avant de nous offrir quelques très belles séquences où l'absurde le dispute à un festival de bidoche qui tache.
On sera considérablement plus circonspect quant à la valeur de Radio Libre Albemuth, adaptation studieuse quoique trop scolaire du roman éponyme de Philip K. Dick, aussi vigoureuse qu'un élu aux prises avec sa prostate. Ne crachons pas dans la glaire, la séance nous valut un remarquable échange avec le réalisateur du film, dont on ne pourra que louer la bonne bouille et la passion pour celui qui demeure le pape de la science-fiction. On y apprit notamment qu'il est impossible de quantifier le budget d'un film. Pourquoi ? Parce que. Pas une science exacte.
Un fou rire parmi d'autres, les zygomatiques étant appelés à travailler sévère pour quiconque passe sa semaine à Mauvais Genre. C'est qu'on est bien traités ma bonne dame ; avec moult boissons gratuites ET alcoolisées, des nuées de bénévoles nubiles prêtes à tout pour détendre le pigiste harassé, du soleil (je romance), tout journaliste qui se respecte peut trouver son bonheur du côté de Tours.
Je vous en parlerai plus avant demain, quand mon foie aura dégonflé, que ma langue sentira moins les cendres tièdes et que mon système salivaire aura recouvré l'intégralité de ses fonctionnalités, mais sachez que le Festival élargit cette année sa palette. Conférence, multimédias, nouveaux formats, master-class... Mauvais Genre est dans la place.
PS : Info exclusive, un journaliste de France 5 vient de m'offrir une carotte.