Top science-fiction n°21 : Videodrome

Patrick Antona | 26 novembre 2009
Patrick Antona | 26 novembre 2009

Pour lancer le compte à rebours avant l'évènement Avatar qui sortira sur nos écrans le 16 décembre prochain, la rédaction d'Ecran Large a remis le bleu de chauffe et a recommencé à se plonger dans une classement impossible. Après vous avoir proposé notre classement des 31 meilleurs films d'horreur dans l'histoire du cinéma, nous avons opté pour l'univers de la science-fiction et ainsi d'élire ce qui sont pour nous les 31 meilleurs films du genre. La règle de ne pas avoir plus d'un film par cinéaste ne s'applique pas ici (c'était au dessus de nos forces pour certains réalisateurs). La seule règle que l'on a décidé d'appliquer (et qui sera critiquable comme beaucoup de règles) : un film qui était déjà dans notre classement de l'horreur ne pouvait pas réapparaître dans ce nouveau classement.  14 membres de la rédaction ont donc été invités à envoyer leur liste de leurs 70 films préférés. A partir de ces listes, on n'a gardé que les films cités plusieurs fois par chacun d'entre nous. On a alors resoumis la liste finale à un vote pour obtenir le classement final que nous allons vous faire découvrir quotidiennement jusqu'au 16 décembre 2009 qui révèlera le numéro 1 de la rédaction. Un éclairage par jour durant 31 jours sur des incontournables du cinéma de science-fiction.  Et en guest star pour commenter nos choix, on retrouve Vincenzo Natali, le réalisateur de Cube, Cypher, Nothing et du très attendu Splice, étant un parfait ambassadeur du futur de la science-fiction au cinéma.

 

 

21 - Videodrome (1984) de David Cronenberg

Vincenzo Natali : J'ai d'abord été surpris de le retrouver dans la liste, parce que j'ai toujours estimé que c'était un film d'horreur. Mais en fait Videodrome défie toute catégorisation. C'est une oeuvre totalement originale et le film le plus juste et prophétique jamais conçu sur la télévision. De manière fort appropriée, j'ai découvert Videodrome en vidéo, car j'étais trop jeune pour le voir en salles. Mais c'était peut-être le meilleur moyen de percevoir pleinement le message auto-réflexif du film. Cronenberg étudie les relations entre la télévision et le spectateur et démontre de manière très littérale (et gore) comment l'une affecte l'autre. J'étais changé par Videodrome, pour toujours. Long live the new flesh !

Thomas Messias :

Synthétisant et transcendant l'ensemble des obsessions de Cronenberg, un pur chef d'oeuvre, charnel et apocalyptique.

Jean-Noël Nicolau :

"Long live the new flesh !". Le chef-d'oeuvre de David Cronenberg, folle histoire surréaliste et visionnaire.

Laurent Pécha :

A quoi reconnait-on les génies ? Leur capacité à être en avance sur leur époque. Cronenberg est un génie. Vidéodrome en apporte la preuve. Longue vie à la nouvelle chair !

 

 

« Longue vie à la nouvelle chair ! »

Dès ses débuts de metteur en scène en 1969, David Cronenberg s'est ingénié à illustrer le thème de la mutation physique de l'être humain, mutation très souvent provoquée par un environnement de plus en plus bouleversé par la science. S'appuyant sur une représentation crue du sexe et de la violence, le réalisateur canadien élabore, à travers des films comme Stereo, Crimes of the Future, Frissons, Rage et Chromosome 3 une œuvre viscérale et audacieuse qui réussit à en faire un auteur à part entière. Avec le succès public et critique de Scanners en 1981, où il réussit à amalgamer avec talent ses obsessions sur l'alliance entre la génétique et le psychique, David Cronenberg a les coudées franches pour porter à l'écran sa vision de l'influence grandissante (et néfaste) du média télévision sur les esprits.

 

 

 

S'appuyant sur les travaux du sociologue canadien Marshall McLuhan (créateur du concept du village global), dont il suivit les cours lorsqu'il était étudiant, David Cronenberg rédige le scénario de « Network of blood » à l'aune de l'explosion de la TV satellitaire et par câble sur le continent sud-américain, en ce début des années 80.

Adoptant la démarche de pousser à l'extrême la théorie de McLuhan sur la toute-puissance de la communication, dont la philosophie emblématique peut se résumer en une seule phrase: The medium is the message, Cronenberg élabore un thriller mêlant SF, horreur, sexe, et parabole sociale aux ramifications multiples et dont le côté prophétique ne cesse encore de surprendre.

 

 

 

Max Renn, patron de Channel 83, chaîne du câble de Toronto spécialisée dans le porno, pirate un programme inconnu, appelé Videodrome. Prenant la forme d'un snuff movie qui propose d'assister au martyr d'une femme cloîtrée dans une chambre rouge et soumise à des sévices sadomasochistes, le show TV se révèlera être bien plus pernicieux que son pervers menu. Max commence à souffrir d'hallucinations de plus en plus prononcées : videok7 prise de respiration, personnage se matérialisant hors de l'écran. Obsédée par cette mystérieuse émission, il en découvre le lieu d'origine, situé à Pittsburgh (un clin d'œil à George A. Romero ?) et y envoie sa petite amie, la chroniqueuse radio branchée SM Nicki Brand, pour enquêter. Celle-ci va encore plus loin et choisit de se faire auditionner, alors que Max reçoit des avertissements comme quoi les films diffusés sur Videodrome sont de vrais snuff movies. Mais la perspective d'une plus large conspiration se fera jour avec l'implication d'un gourou des médias aux mobiles bien obscurs, Brian O'Blivion (visiblement inspiré par Marshall McLuhan) dont le credo est « La télévision c'est la réalité. La réalité est moins que la télévision ». Mais le plus incroyable vient avec la révélation du pourquoi des visions éprouvées par Max, le programme diffusant une drogue audiovisuelle qui modifie son cerveau, altérant à la fois sa perception du réel ainsi que son corps, le transformant en magnétoscope humain. Et Nicki, disparue depuis son départ pour Pittsburgh,  lui apparaît via son écran TV, l'appelant à le rejoindre dans cette nouvelle réalité.

 

 

 

Toujours en prise avec la réalité de la société qui l'entoure, David Cronenberg s'est abondamment documenté sur les pratiques des nouvelles chaînes spécialisées dans le sexe et de leur manière de s'approvisionner en programmes, afin de contenter un public de plus en plus friand de nouveautés. S'inspirant du Network canadien City TV, connue pour diffuser des « baby blues » (pornos suédois censés mettre en scène de pseudos-adolescentes) et des cadres qui dirigent les instances de ce genre de société, il élabore le personnage de Max Renn au caractère obsessionnel et auquel James Woods prête ses traits anguleux avec génie et passion. Pour incarner Nicki Brand, l'animatrice du show radio « Emotional Rescue » et fiancé de Max aux penchants déviants, David Cronenberg débauche Deborah Harry , en vacances de son groupe Blondie. D'ailleurs la chanteuse trouve ici le rôle de sa vie, arborant une chevelure brune et un look rétro fleurant bon la sophistication des années 40 qui contraste avec une certaine froideur que dégage son personnage.

 

 

 

Produit par Claude Héroux, déjà aux finances pour Chromosome 3 et Scanners, et collaborant de nouveau avec Howard Shore pour la musique, David Cronenberg s'adjoint les talents des maquilleurs Rick Backer et Steve Johnson, la pair ayant juste terminée le tournage du Loup-garou de Londres. A la demande du réalisateur canadien, ils vont élaborer les impressionnantes séquences horrifiques au caractère charnelle et outrancier bien appuyé, dont certaines sont restées mémorables : James Woods extrayant un pistolet de son estomac, TV vibrante comme un organe ou vomissant des viscères, corps se disloquant en magma sanguinolent. Et encore le manque de temps et des contraintes de planning ne permit pas à Cronenberg de tourner une scène finale qui se serait révélée dantesque, clou du spectacle qui aurait vu les personnages féminins avec des organes génitaux monstrueusement modifiés sous le coup de la mutation, vision qui deviendra l'apanage des mangas adultes spécialisés dans la déviance sexuelle, preuve encore du caractère avant-gardiste du réalisateur canadien.

 

 

 

Mais encore plus que par les performances d'acteur ou des SFX dont le film regorgent, Videodrome demeure un des sommets de la science-fiction moderne grâce à la maîtrise de son sujet par le futur réalisateur de La Mouche. Choisissant comme perspective le seul point de vue de son héros Max Renn, obsédé et voyeur (et renvoyant par là au chef d'œuvre de Michael Powell), David Cronenberg entraîne le spectateur dans un déconcertant voyage mental à travers les limites d'une télévision qui use du sexe et de la violence pour capter le plus de consommateurs. Et qui plus est, est capable de modifier la réalité et la manière dont le monde est perçu, allant jusqu'à pénétrer et occuper (au sens sexuel du terme) l'espace entre l'écran et son sujet, ne lui laissant comme alternative que de se fondre dans ce nouveau monde qui sera alimenté par ses propres fantasmes. Car, comme Max Renn qui développe une forme de tumeur cancéreuse qui le fait évoluer et lui ouvre les « portes de la perception », le spectateur se voit forcer au conditionnement qui lui lave littéralement le cerveau, aux dépends de son libre arbitre. David Cronenberg va encore plus loin en faisant du spectateur, devenu accro à ses nouveaux paradis artificiels, un terminal passif qui se voit activé par une cassette ou tout autre software, étape ultime faisant du corps un instrument aux capacités évolutives, faisant éclater les frontières entre l'humain et le non-humain. Cronenberg joue d'ailleurs avec virtuosité à travers l'effet de miroir qui se joue entre le monde des médias et celui qui nous entoure, chacun des protagoniste du film apparaissant tour à tour sur un écran de télévision jusqu'à ce que le simulacre se confonde avec le réel.

 

 

 

Mais le réalisateur évite le côté trop démonstratif en injectant à son métrage une bonne dose d'humour noir, évoquant Kubrick et son Orange Mécanique, auquel Videodrome fut souvent comparé (James Woods et Malcolm McDowell étant des caractères antipathiques qui se voient ravalés au rang de cobaye dont les enjeux les dépassent), et assume complètement son penchant au voyeurisme, un peu à la manière d'un De Palma qui aime aussi à jouer avec les écrans de TV.

Avec une sortie qui fut longtemps décalée par la Universal aux USA du fait d'embouteillage de calendrier en 1982 (la compagnie devant assurer la promotion de ET, The Thing et Dark Crystal sur un court délai), Videodrome ne fut distribué qu'en 1983 et ne rencontra qu'un succès public médiocre. De plus, le film fut taxé de spectacle incohérent et outrancier par de nombreux critiques qui n'avaient en rien capté le versant prophétique de la chose. Mais son aura de premier film dérangeant et subversif sur l'ère de la vidéo en fera, en toute logique, un carton des ventes et locations de vidéocassettes et finira par élever Cronenberg au rang de maître de la SF. Et la combinaison média-homme-machine qui se révélait être de la pure fiction dans les années 80 trouve son aboutissement de nos jours avec le Web 2.0 et ses derniers perfectionnements, preuve encore de la prescience d'un auteur dont la hauteur de vue a souvent été saisissante.  

 

    
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