Top horreur n° 2 : Alien, le huitième passager

Patrick Antona | 30 octobre 2009
Patrick Antona | 30 octobre 2009

Pour fêter le mois d'Halloween, la rédaction d'Ecran Large a pris son courage à deux mains et s'est lancée dans l'impossible : élire ses 31 meilleurs films d'horreur dans l'histoire du cinéma. Pour être le plus rigoureux possible, des règles ont été établies comme celle de ne pas avoir plus d'un film par cinéaste dans le classement final (sauf une exception mais chut on vous expliquera à la fin du mois pourquoi). 12 membres de la rédaction ont donc été invités à envoyer leur liste de leurs 40 films préférés. A partir de ces listes, on n'a gardé que les films cités plusieurs fois par chacun d'entre nous. On a alors resoumis la liste finale à un vote pour obtenir le classement final que nous allons vous faire découvrir quotidiennement jusqu'à la fameuse nuit d'Halloween qui révèlera le numéro 1 de la rédaction. Un éclairage par jour durant 31 jours sur des incontournables du cinéma d'horreur.

 

 

2 - Alien (1979) de Ridley Scott

 

 

Vincent Julé :

 
La première demi-heure est peut-être ce que j’ai vu de plus fort, de plus beau, de plus fascinant, de plus addictif au cinéma… sur ma télé.

Sandy Gillet :

Je me souviens qu'en cet été 81 par une nuit étoilée dans un motel perdu dans le désert avec pour seul compagnon Alien qui passait sur une télé bien pourrie, tout le monde pouvait m'entendre hurler de peur.

Laurent Pécha :


Un modèle de terreur. Tout est parfait dans Alien, de l’affiche du film à la petite culotte de Sigourney.

Stéphane Argentin :

La quintessence d’un genre à part entière : la terreur spatiale. Souvent imité, jamais égalé, Alien est un classique du 7ème Art et constitue, avec Blade runner, l’autre chef d’oeuvre absolu de Ridley Scott. 

Ilan Ferry

D’une terreur aussi infinie que l’espace, Alien est un modèle du genre est la preuve supplémentaire qu’on peut faire peur avec peu,ou quand la suggestion l’emporte sur la démonstration.

 

 

 

« Dans l'espace, personne ne vous entend crier. » 

La phrase d'accroche d'Alien, le huitième passager résonne encore avec force 30 ans après sa sortie. Le film de Ridley Scott demeure le nec plus ultra de l'horreur science-fictionnel, et allait générer toute une vague de suites et de spin-off qui, à cette heure, ne s'est pas encore tarie. Mais le film qui fut aussi à l'origine de la révélation du talent de réalisateur de Ridley Scott est surtout le produit de multiples talents qui ont réussi à élaborer de concert une création qui a rejoint depuis le panthéon des créatures du cinéma, au même rang que le vampire ou le monstre de Frankenstein.

 

Nourri par la lecture des romans de SF pulp et des comics d'horreur comme Les contes de la crypte, le scénariste Dan O'Bannon avait débuté en collaborant avec John Carpenter en 1974 pour son Dark Star, comédie de SF élaborée à partir d'un projet de fin d'études, et qui devient par la suite un film culte. Parmi les nombreux éléments qui illustraient une intrigue foutraque, on pouvait ainsi relevé des prolétaires de l'espace travaillant exclusivement dans leur vaisseau et une créature extra-terrestre au caractère retors qui donnait du fil à retordre aux humains, idées qui seront les germes d'une histoire qui est titrée « Star Beast » pour l'instant. En 1975, Dan O'Bannon est de l'aventure titanesque initiée par Alejandro Jodorowsky, à savoir porter à l'écran Dune, le roman-fleuve de Frank Herbert. Dans cette expérience, le réalisateur a réussi à monter une équipe artistique qui réunit les talents des designers Chris Foss et Syd Mead et du dessinateur Moebius. Chargé de la conception des décors de la planète des Harkonnen, le dessinateur suisse H.R. Giger fait ses débuts sur une super-production de cinéma. Artiste-dessinateur  underground dont le credo est l'alliance de l'industriel à l'organique, il avait été révélé par le portfolio Necronomicon qui fut un grand succès d'édition en 1975, proposant une vision originale de l'indicible sorti de l'imaginaire de H.P. Lovecraft, une autre référence que l'on trouvera dans le futur film de Ridley Scott. Après l'abandon du projet Dune suite à des problèmes financiers, Giger s'en retourna dans son atelier suisse alors que Dan O'Bannon retournait à Hollywood pour plancher sur son « Star Beast ». Associé à Ronald Shussett, il développe son histoire de créature extra-terrestre belliqueuse, en puisant à la fois dans les œuvres de littérature que de cinéma. Côté classique de la littérature de SF, il emprunte  au roman La Faune de l'Espace de Alfred Van Vogt le concept de ponte dans les humains pour perpétuer l'espèce. Côté cinéma, la référence évidente demeure la série B des années 50 It ! The Terror from Beyond Space, avec son monstre squameux avide de sang terrorisant un vaisseau spatial, et on peut signaler aussi un gros « hommage » à Terrore nello Spazio de Mario Bava, avec la scène du squelette géant découvert dans l'épave du vaisseau naufragé.

 

En 1978, le script soulève l'intérêt de la compagnie Brandywine, qui associée à la 20th Century Fox, décide de produire le film et de le tourner en Angleterre, dans les mythiques studios de Shepperton, là où la Hammer a réalisé ses plus grands films. Pour occuper la chaise du réalisateur, si le nom de Walter Hill fut avancé pendant un temps par les cadres de la Major américaine, le choix se portera finalement sur l'anglais Ridley Scott (Walter Hill gardera un poste de producteur sur tous les films de la saga). Rendu célèbre par ses spots de publicité, Ridley Scott s'était essayé avec talent dans le cinéma avec son film historique, Les Duellistes, qui avait connu un succès critique en 1977 mais qui n'avait pas réussi à déplacer les foules. Conscient des capacités de cinéastes du publiciste, le triumvirat Walter Hill-David Giler-Gordon Carroll (qui a quelque peu remanié le script) lui confie la direction du film qui se titre dorénavant Alien, convaincu par le storyboard complet et précis que l'anglais a élaboré. Assisté de Dan O'Bannon, il recrute sous sa recommandation les designers que ce dernier a rencontré sur le projet Dune, à savoir Chris Foss pour la création du vaisseau Nostromo (clin d'œil à l'œuvre de Joseph Conrad), et Moebius (qui s'occupera de l'intérieur du vaisseau et des combinaisons spatiales), avec le nouveau venu Ron Cobb. Quant à Giger, Dan O'Bannon lui commande des dessins des œufs et du facehugger. Emballé par le résultat, il arrange une rencontre avec Ridley Scott, qui sera alors convaincu de donner à la créature un look biomécanique et sexué, bien en rapport avec l'œuvre du suisse au tempérament ombrageux. Même si la participation de Giger sera rendue parfois difficile par des exécutifs qui veulent l'écarter du projet, et les costumes étant finalisés par l'italien Carlo Rambaldi, Alien demeurera à jamais imprégné de son style picturale ésotérique et qui rendra le film si identifiable.

Côté casting, les sept membres de l'équipage du Nostromo sont recrutés  parmi la crème des acteurs américains et anglais de l'époque, avec Tom Skerritt, Yaphet Kotto, John Hurt, Harry Dean Stanton, Ian Holm, Veronica Cartwright et la nouvelle venue Sigourney Weaver. Cette dernière qui ne pouvait se targuer que de quelques séries TV et d'une apparition dans Annie Hall de Woody Allen trouvera le rôle de sa vie avec le personnage de Ripley, femme forte et tenace qui deviendra une figure incontournable du cinéma d'action. Il est à noter qu'à l'origine, Shusett et O'Bannon avait créé le personnage de Ripley comme étant masculin.

Muni d'un budget avoisinant les 9 millions de dollars, Ridley Scott débute le tournage aux studios de Shepperton à partir du mois de juillet 1978, et ce jusqu'au mois de décembre, alors que l'équipe des SFX visuels emménage aux studios de Bray. Responsables des maquettes et des prises de vues spatiales, Brian Johnson, qui a été maître d'œuvre sur la série Cosmos 1999, mène aussi de front les travaux sur une autre super-production de la 20th Century Fox, L'Empire contre-attaque.

 

Laissant une grande part d'improvisation à ses comédiens, Ridley Scott s'évertue à rendre crédible le moindre aspect de son film, que ce soit dans la description du quotidien de ces prolos de l'espace que dans le décor qui les entoure. Le plus grand soin est donné à la conception tant visuelle que sonore de l'ordinateur appelé « Mother », descendant du « Hal » de 2001, qui est un des rouages essentiels sur lequel s'appuie la compagnie privée affréteur du Nostromo et dont les desseins seront funestes pour l'équipage. Comme anecdotes de tournage, on a souvent parlé de la scène de l'éclatement de poitrine de John Hurt qui fut une véritable surprise pour ses compagnons de jeu, Ridley Scott voulant vraiment un élément de surprise pour une des scènes-chocs les plus réputées du cinéma. Souvent mise à contribution pour son premier grand rôle de cinéma, Sigourney Weaver souffrit le martyr... à cause du chat Johns, car elle était allergique à cette époque ! Dissimulé sous le latex de la créature, Bolaji Dadejo est un artiste d'origine nigérienne de deux mètres de taille qui fut casté par Ridley Scott dans un pub de Londres !

Sorti sur les écrans américains le 25 mai 1979 (il faudra attendre le 12 novembre pour la France), Alien est un véritable carton au box-office où il rapportera plus de 40 millions de dollars pour sa première diffusion (on comptera le double pour l'exploitation mondiale) et redéfinira, à l'identique de L'Exorciste ou des Dents de la mer, toute une manière de qualifier le cinéma d'horreur. Jouant à la fois sur la claustrophobie et sur la peur viscérale de l'inconnu, Ridley Scott a créé une œuvre qui dépasse le simple cadre du film de monstre et qui peut se prêter à toute forme d'interprétations psychanalytiques : allégorie sur le cancer ou vision métaphorique du viol sont souvent citées. Laissant le temps d'installer son histoire et de rendre les personnages attachants, le réalisateur fait monter l'adrénaline par des accélérations brusques, au gré de la croissance de la créature et de la violence de ses attaques. L'obsession du réalisateur pour l'élément liquide, déjà sensible dans Les Duellistes, devient ici manifeste, avec son Nostromo subissant des fuites hydrauliques jusqu'à l'acide suintant de l'extra-terrestre. Il réussit aussi l'exploit de ne pas tomber dans le piège de la love-story romantique (qui existait dans le scénario entre Ripley et Dallas), évacuant toute sous-intrigue qui ampoulerait le récit pour ne garder que l'essentiel. Et de concentrer toute la tension sexuelle dans le final qui verra la femme se trouver en position de faiblesse (et en petite tenue) face à la bête avant de se dresser et de l'expédier dans le vide de l'espace. Mais la maestria technique de Ridley Scott ne saurait se départir de l'aide d'un staff artistique talentueux qui finit par gagner l'Oscar des effets spéciaux en 1980, prix partagé par Giger, Carlo Rambaldi, Brian Johnson et Nick Allder.

 

Par la suite, Ridley Scott, après avoir tenté de porter à l'écran la légende de Tristan & Iseult, se consacrera à un autre chef d'œuvre de la science-fiction, Blade Runner, alors qu'un jeune réalisateur, nommé James Cameron, sorti tout juste de son premier succès Terminator, acceptera de réaliser la suite qui sera un des gros succès de l'année 1986. Aliens, le retour se démarquera de son prédécesseur en abandonnant peu à peu le côté angoissant et suggestif en prenant une optique plus dantesque et guerrière, où Ripley se muera en combattante et protectrice de la race humaine. Après un décevant Alien 3, qui tentait un retour vers le huis-clos horrifique du premier volet, mai qui souffrit de nombreux problèmes de tournage et dont le final cut échappa à son metteur en scène David Fincher, et avant un Alien Resurrection qui relève plus de l'erreur de parcours, Ridley Scott eut les coudées franches pour diffuser sa director's cut en 2003.

Retirant des séquences qu'il jugeait inutilement longues, retravaillant le son, ajoutant des scènes inédites de dialogue enrichissant les rapports entre les personnages et surtout introduisant les martyrs de Dallas et Brett, incubés par l'Alien, cette version est au final plus courte d'une minute et permet de faire le lien de manière plus flagrante avec le film de Cameron (la crémation étant déjà présentée comme seule remède contre la menace) et de montrer que son esthétique demeure une des plus matricielles du cinéma, continuant à inspirer toute une flopée d'artistes, que ce soit dans le domaine du graphisme que celui du cinéma.

 

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