Cine Med 2009 : Cahiers ou Positif...choisis ton camp !

Laurent Pécha | 26 octobre 2009
Laurent Pécha | 26 octobre 2009

 

Un petit week-end sous le soleil de Montpellier pour découvrir un festival qui fait la part belle au cinéma méditerranéen sous toutes ses formes. Voici une invitation qui ne se refuse pas, d'autant qu'elle est assortie de la possibilité de rencontrer Amenábar venu présenter son montage définitif d'Agora, soit 20 minutes de moins que celui vu à Cannes en mai dernier.

 

 

Une ouverture prestigieuse pour un festival qui fête sa 31ème édition et un film qui fut globalement bien accueilli. Très ambitieux avec son budget colossal pour une production européenne (plus de 50 millions d'euros), Agora déconcertera les fans de la première heure du cinéaste ibérique tant l'univers du péplum semble loin des préoccupations des débuts de Tesis et Ouvre les yeux. Mais Amenábar est un réalisateur suffisamment intelligent et doué pour parvenir à mener sa barque à bon port (d'Alexandrie en l'occurrence). Avec Agora, l'athée qu'il est s'attaque au fanatisme religieux et à ses débordements néfastes, et met sur un piédestal le savoir et la connaissance. La philosophie est l'avenir de l'homme et encore plus de la femme, semble nous dire le cinéaste dans un film ouvertement féministe. Entre leçon d'histoire appliquée et reconstitution soignée, Agora trouve son rythme de croisière et gagne à être revu. Preuve qu'Amenábar a en grande partie réussi son coup, même si on a le sentiment que ce film-là est arrivé un peu trop tôt dans sa carrière. Mais on ne viendra jamais dans ces lignes condamner un artiste pour une telle tentative. Bien au contraire.

 

 

Après la projection, l'heure est à la restauration (il est tout de même 23h) et l'occasion de discuter avec les confrères de l'impact du film. Entre Jeremy Bernède du Midi Libre qui reste mitigé sur le manque de subtilité de l'œuvre (ah, ces plans vus du ciel qui n'ont pas fini d'être décriés) et Charles Tesson des Cahiers du cinéma, qui se demande, avec une belle ironie, si le film ne finira pas sa carrière un jour à une soirée bis de la Cinémathèque, Amenábar n'est pas totalement à la fête.

 



Quelques amuse-gueules et pas mal de verres de vin plus tard, direction mon hôtel, très éloigné de celui de mes collègues (paraît que j'y gagne en tranquillité me dit la charmante attaché de presse et son look Emma Peel... mouais, pas super convaincante miss D. sur ce coup-ci) pour aller préparer l'interview matinale avec Amenábar.  Une grande préparation puisque quinze minutes après être rentré à l'hôtel, c'est en ronflant que je réfléchis aux questions de mon interview carrière de 20 minutes. Demain est un autre jour paraît-il...

 

 

Réveil aux aurores... pour moi (= 8h du mat) et toutes les questions rêvées durant la nuit à coucher sur le papier avant de se lancer dans la grande marche du samedi pour rejoindre l'hôtel d'Alejandro... soit une bonne trentaine de minutes. La fameuse tranquillité d'Emma, je commence à la payer chère. En forme olympique, je parviens à évoquer avec Amenábar ses 5 films, le cinéaste répondant avec une belle franchise (« je changerais tout dans Tesis si je devais le refaire », « je ne suis pas content d'Ouvre les yeux », « c'est Tom Cruise qui m'a dissuadé d'utiliser le scope pour Les Autres »,...). Cerise sur le gâteau, il accepte de commenter les 10 premiers de notre top horreur (dans une semaine, vous saurez donc ce qu'il en pense et là aussi, le monsieur est franc).

 

 

 

Après lui avoir offert mon Blu-ray des Autres - aparté coup de gueule : il ne savait pas que l'édition existait et ça me rend fou que le principal concerné découvre ce genre de chose au détour d'une rencontre fortuite, y a des rois de la communication dans ce monde et il n'est alors pas étonnant de voir que les films changent de support sans que l'interactivité ne bouge d'un iota : fin de l'aparté -, je suis le cinéaste à sa rencontre avec le public. Un bel échange avec principalement de jeunes étudiants et lycéens qui posent des questions des plus pertinentes. Le futur de la profession est dans de bonnes mains.


 

Dans un festival, il faut toujours faire des choix entre deux films. Samedi midi, c'est à un dilemme des plus cinéphiles auquel j'ai été confronté, me retrouvant indirectement au cœur de l'éternelle « bataille » Cahiers du cinéma vs Positif. D'un côté, suivre Charles Tesson (Les Cahiers du cinéma pour ceux qui ne suivent pas et ne connaissent pas l'éminent critique) qui couvre pour sa revue la programmation faite autour de l'œuvre du cinéaste italien, Elio Petri. D'un autre côté, aller découvrir le documentaire consacré à Michel Ciment, le grand manitou de la critique et directeur emblématique de Positif. Après une longue hésitation, ma préférence se porte sur Ciment, curieux de découvrir à quelle sauce va être portraituré le monsieur. Dire que je ne regrette aucunement mon choix, est un doux euphémisme tant Michel Ciment, le cinéma en partage, est une réussite stupéfiante, dressant un portrait élogieux (mais comment pourrait-il en être autrement face à un tel monument de la critique ?) d'un homme qui a consacré sa vie à défendre le (grand) cinéma. Le documentaire sera diffusé sur Ciné Cinéma dans le courant du mois de novembre. Ne le ratez pas pour voir ce qu'est un vrai critique de cinéma et se rendre compte à quel point  notre époque n'est plus apte (économiquement) à faire perdurer une telle profession de foi. A noter pour la petite histoire que l'on a eu le droit à une jolie variation de l'arroseur arrosé, puisque Theo Angelopoulos était dans la salle pour découvrir le documentaire sur Michel Ciment.

 



Théo Angelopoulos, je le retrouve quelques heures plus tard avec la présentation de son dernier film, The Dust of time qui depuis sa présentation à Berlin en mars dernier, cherche toujours un distributeur en France. Porté par un casting prestigieux et étonnamment complémentaire (Irène Jacob aux côtés de Michel Piccoli et Bruno Ganz et en mère de Willem Dafoe, c'était tout sauf gagné sur le papier), The Dust of time séduit par sa capacité à indiciblement nous rendre proches de ces êtres tentant de rattraper vainement les errements du passé. Il y a de la tragédie (grecque) dans ces amours contrariés mais jamais aucun pathos grâce au regard poétique d'un Angelopoulos au style toujours aussi inspiré. Coup de blues à la fin de la projection en se disant qu'on est dans un pays qui ne sort pas un tel film alors que dans trois jours, Cinéman arrive sur nos écrans.

 


A 19h, c'est l'heure de l'apéro au Cinémed, et le passionné directeur du festival est là pour nous le rappeler. On ne va pas se faire prier pour déguster du vin local, et après quelques verres et un repas copieux, je suis fin prêt pour revoir Cyrano de Bergerac que les programmateurs du festival ont mis à l'honneur pour rendre hommage à des films qui ont été tournés dans la région. C'est un Jean-Paul Rappeneau très ému qui vient nous présenter son film dans une salle bien remplie malgré l'heure tardive. 20 ans après, Cyrano et son nez n'ont rien perdu de leur superbe et le film d'être toujours ce mariage des plus réussis entre théâtre et cinéma. Une belle épopée qui aurait mérité un tournage en scope. Une question que je poserai le lendemain au cinéaste qui m'expliquera ses démêlés avec son chef décorateur. Ce dernier considérant le format scope comme un « format saucisse », lui coupant tous ses décors (notamment le grand théâtre de la scène d'ouverture du film), Rappeneau aurait abandonné la bataille visuelle sur ce point-là. Avec regret visiblement !

 



Ce qui était vrai vendredi soir, l'est encore plus samedi soir... le retour à l'hôtel est une belle épopée à elle toute seule qui, il est vrai, me permet de découvrir Montpellier by night (ils pensent à tout ces gentils organisateurs). D'un œil distrait sur Katsuni venu faire la VRP intelligente chez Ruquier, je prépare tranquillement ma rencontre avec monsieur Rappeneau. Extinction des lumières à 2h du mat....

Dimanche, ultime marche vers le Corum, bagage en main cette fois-ci pour compliquer le périple (pour ceux qui veulent se moquer, voici le bâton pour me faire battre : depuis le début du séjour, je suis habillé à la parisienne, soit prêt pour l'hiver, ce qui dresse un beau paradoxe avec le look vestimentaire local basé sur une température dépassant facilement les 20 degrés).



Une fois rencontré l'auteur du Hussard sur le toit où il me reparle avec passion de sa rencontre avortée avec Keanu Reeves, envisagé pour jouer le dit Hussard (pour des raisons de langue, même si Keanu était prêt à apprendre le français pour l'occasion, la collaboration resta au rang de joli fantasme), je découvre mes deux premiers films de la compétition. Un zéro, film égyptien choral qui se déroule durant la finale de la Coupe d'Afrique des Nations 2008 et Ajami, film choral israélien sous influence scorsesienne prenant la température toujours brûlante des séquelles directes ou indirectes du conflit israélo-palestinien. Deux œuvres qui ont en commun de mettre du temps à trouver le fil de leur récit, la faute à une profusion de personnages mal maîtrisée mais qui gagne en impact et efficacité une fois resserrer les antagonismes. Si Un zéro finit avec une belle note d'espoir (avec la victoire finale de l'Egypte, synonyme de catharsis heureux pour la plupart de ses protagonistes), il n'en va pas de même pour Ajami, preuve malheureusement que dans cette partie là du globe, le melting pot des cultures est toujours aussi loin d'être une réalité autre que théorique.



Et c'est déjà fini pour moi, le train vers Paris m'attend. Juste le temps de dire au revoir et merci pour ce week-end méditerranéen et me voici reparti à la marche vers la gare vers de nouvelles aventures cinématographiques. Avec l'envie de revenir l'an prochain...

 

Les photos illustrant cet article sont l'oeuvre d'Eric Catarina pour Cine Med.

Remerciements à Jean-François Bourgeot et toute son équipe pour leur chaleureux accueuil.

Un grand merci à celle qui a permis ce reportage possible, notre Emma Peel française, Dany de Seille.


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