La vengeance dans la peau - Preview

Thomas Messias | 16 juillet 2007
Thomas Messias | 16 juillet 2007

À la fin de La mort dans la peau (The Bourne supremacy en VO), Jason Bourne découvrait son véritable nom, David Webb, et faisait un crochet par la Russie pour demander pardon à une jeune femme, devenue orpheline par sa faute. Avant de rentrer aux États-Unis, pas vraiment en paix avec lui-même, mais un peu plus humain qu'avant, ayant franchi une marche supplémentaire dans sa quête d'identité et de rédemption. La vengeance dans la peau (The Bourne ultimatum) constitue une nouvelle étape du long chemin de croix de Bourne, fuite vers l'avenir pour mieux échapper à son passé.

 

À l'origine était une trilogie littéraire, celle de Robert Ludlum [photo], spécialiste du roman d'espionnage (plus de 25 romans, dont un Osterman week-end qui inspira Peckinpah), présent dans tous les kiosques d'aéroports du monde entre John Grisham et Mary Higgins Clark. Trois romans denses, haletants, un peu alambiqués sans doute, mêlant habilement le destin vicié d'un homme perdu à celui d'une planète ravagée par la guerre froide. Une Sainte-Trinité à laquelle il convient d'ajouter un quatrième élément un peu à part, La peur dans la peau, commencé par Ludlum avant sa mort (en 2001) et terminé par Eric Van Lustbader, sans que l'on sache bien qui a écrit quoi. Mais l'essentiel n'est pas là : adaptée au cinéma au début du siècle en cours, la saga Bourne devrait rester à jamais une trilogie, scellée par les décisions apparemment irrévocables de Matt Damon et Paul Greengrass de ne pas rempiler. Ce qui ressemble souvent à un clin d'œil adressé aux producteurs ("multipliez mon salaire par trois et je retourne ma veste") apparaît ici comme une véritable envie de ne pas dénaturer une trilogie cohérente et bien ficelée.

 

Il y eut donc La mémoire dans la peau (The Bourne identity), dans lequel un beau blond se réveillait en pleine Méditerranée, le corps criblé de balles et aucun souvenir du passé. De réminiscences en révélations, l'homme se découvrait un nom et une activité : tueur à la solde du gouvernement. Poursuivi par son passé, il le pourchassait à son tour, désireux d'en savoir plus sur lui-même et sur ceux qui s'escrimaient à lui faire la peau. Scénarisé par Tony Gilroy (L'associé du diable) et mis en scène par Doug Liman (Swingers), le film est un polar d'espionnage extrêmement nerveux, transcendant chaque scène par un mélange d'hyperréalisme poussé et de grand spectacle qui décoiffe. Impressionnant de bout en bout, surprenant son monde par des rebonds incessants, La mémoire dans la peau est une réussite éclatante, menée de main de maître par un Doug Liman inattendu. Mais surtout, le film signe la révélation d'un certain Matt Damon, à mille lieues de son personnage de Will Hunting. Affûté, surentraîné, il livre une performance physique qui n'exclut jamais l'émotion. Et le couple, au départ improbable, que Bourne forme avec Marie (Franka Potente), se révèle finalement aussi explosif que romantique.

 

Ce n'est désormais plus un secret : ce fameux couple, si uni, si intense, se désagrège dès le début de La mort dans la peau, une balle plus ou moins perdue venant prendre la vie de Marie et signer le retour aux affaires de Jason Bourne, de nouveau poursuivi par ses anciens employeurs. Plus solitaire que jamais, empli d'une mélancolie pesante et communicative, Bourne se faisait mercenaire, oubliant temporairement son humanité pour mieux partir à la recherche de celle-ci. Encore plus âpre que le précédent, orné d'une atmosphère désespérée et pour le moins pesante, ce deuxième épisode réussit l'exploit d'être un poil meilleur que le premier. Sans doute grâce à l'arrivée de Paul Greengrass, qui joue la carte de la continuité avec le style Liman tout en l'agrémentant de ses propres obsessions. Encore écrit par Tony Gilroy, La mort dans la peau est un film mortellement percutant, une errance sans errements, manquant toutefois un peu de lisibilité dans l'exécution des scènes d'action. Il constitue en tout cas un tremplin magnifique vers le climax ultime que sera, à coup sûr, La vengeance dans la peau.

 

Il est difficile de savoir exactement où va nous emmener le scénario de Tony Gilroy, lui que les fans purs et durs de Ludlum ont souvent conspué pour avoir adapté très librement certains pans de l'histoire, faisant disparaître certains personnages centraux des romans pour en placer d'autres au premier plan… C'est pourtant là l'essence même de la notion d'adaptation : trancher dans le vif et faire de vrais choix, afin de transposer à l'écran les qualités du matériau de base tout en lui imprimant un vrai rythme de cinéma, pour éviter l'écueil du roman filmé. De toute façon, le romancier avait avant sa mort autorisé le scénariste à démonter ses livres et à les reconstruire à sa guise. La mémoire dans la peau retranscrivait assez fidèlement les évènements exposés par Ludlum, tout en modifiant considérablement la psychologie des personnages, rendant Bourne moins monolithique et Marie moins James Bond girl. Avec La mort dans la peau, Gilroy est s'est autorisé bien plus de libertés, faisant mourir Marie en début de script et remodelant totalement l'intrigue et l'arrière-plan politique (la guerre froide n'est plus ce qu'elle était).

 

Le mystère reste entier sur le chemin emprunté par La vengeance dans la peau. On en connaît tout au plus les nouveaux personnages, lesquels donnent l'impression (forcément trompeuse) que le film va reprendre les schémas du précédent. Dans le rôle du grand méchant, l'alter-ego et l'antithèse de Jason Bourne, c'est finalement Edgar Ramirez (Domino) que l'on verra, là où Greengrass (et Damon) auraient bien vu Gael Garcia Bernal (celui-ci ayant fini par refuser pour se consacrer à son propre long métrage, Deficit) ou même Freddy Rodriguez (Bad times). Il s'annonce encore plus fourbe et menaçant que Karl Urban dans La mort dans la peau, d'autant que Paz, son personnage, semble être lié à Bourne par de mystérieuses connexions. L'autre grand nouveau, c'est Paddy Considine [photo] (vu en enquêteur à moustache dans Hot fuzz, et antérieurement dans In America), qui interprète un journaliste londonien croisant la route de Jason Bourne alors qu'il enquêtait sur les rouages de la CIA.

 

Une multitude de seconds rôles de grande classe vient noircir les rangs : si Brian Cox ne devrait pas remettre le couvert (ceux qui ont vu les films comprendront), voici qu'arrivent David Strathairn (Good night, and good luck.), Scott Glenn (L'étoffe des héros), Albert Finney (Erin Brockovich), Daniel Brühl (Goodbye Lenin!)… La trilogie Bourne est tellement cotée qu'y figurer même 5 minutes est un privilège. À leurs côtés, on note les retours de Julia Stiles (dont le personnage devrait prendre une ampleur insoupçonnée), Joan Allen, et Chris Cooper, quasi absent de La mort dans la peau, et qui devrait trouver une place de choix ici. Et pour cause : au début du roman, c'est Alexander Conklin, son personnage, qui reçoit un télégramme lui annonçant le retour de Bourne aux affaires. Devrait s'en suivre pour Bourne / Webb une cours effrénée autour du monde, à la recherche de sa mémoire, un œil sans cesse dans le rétroviseur pour guetter si l'un des tueurs lancés à ses trousses n'est pas en train de viser sa nuque. Greengrass ayant tenu cette fois à ce que le maximum de scènes soit tourné là où l'action est censée se passer, l'équipe de tournage a bourlingué du Maroc en Espagne, de France en Grande-Bretagne, et évidemment aux Etats-Unis. Et comme on ne change pas une équipe qui gagne, il a conservé son directeur de la photo (Oliver Wood), son compositeur (l'excellent John Powell), son monteur…

 

En tout cas, Universal fait confiance à Jason Bourne pour réaliser un troisième carton d'affilée au box-office, les deux premiers films ayant récolté à eux deux plus de 500 millions de dollars à l'international. Par l'odeur alléchées, bon nombre de grandes entreprises se sont signalées pour être les partenaires officielles de La vengeance dans la peau. Alors qu'il n'existait pas de partenariat auparavant, des marques comme Volkswagen, Mastercard, Symantec ou American Airlines ont signé de très gros chèques pour apparaître dans le film ou l'utiliser comme un argument de vente. D'ici à ce que Jason Bourne apparaisse sur votre boîte de corn-flakes préférés, il n'y a qu'un pas. Si l'argent fait évidemment la loi dans ce genre de projet, il est tout de même regrettable qu'une trilogie aussi irréprochable, érigée en modèle par nombre de cinéastes et producteurs, tombe aussi bas que les franchises exagérément commerciales qu'elle avait contribué à ringardiser (bonjour, 007) et qui lui doivent certainement leurs récents sursauts d'orgueil.

 

À condition que le film ne ressemble pas à un gigantesque spot promotionnel pour voitures et cartes de crédit, il ne sera pas bien difficile de faire abstraction de tout cela, et de sauter à bras raccourcis sur le numéro 3 le plus excitant de l'année, qui va faire bien vite oublier les déceptions (totales ou partielles) dues aux re-retours Jack Sparrow, Peter Parker, Shrek et Danny Ocean. Le 3 août aux Etats-Unis et le 12 septembre chez nous, il conviendra donc de se ruer sur La vengeance dans la peau, l'un des films les plus excitants de l'année, qui ne peut que tenir ses promesses.

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