The Queen - Fiction ou réalité
Entre
le 20 juillet 1969 où l'homme posa la première fois le pied sur la
lune, et le 11 septembre 2001, un événement marqua l'histoire et le
monde entier : le 31 juillet 1997, la mort de la princesse Diana. Aussi
incroyable que cela puisse paraître, avec le recul, le décès d'une
princesse déchue a provoqué une émotion telle qu'elle en fit trembler
le royaume. Le décalage entre la douleur populaire exprimée
massivement, et la réserve naturelle mais aussi protocolaire de la
famille royale mit en danger la monarchie britannique et marqua
définitivement un tournant dans le règne d'Elisabeth II.
Si en France, on a parfois du mal à comprendre l'attachement du
peuple britannique à sa souveraine, il ne faut pas oublier le caractère
unique de cet Etat, qui ne possède pas de constitution, doit-on le
rappeler. Tout repose sur la Reine et le gouvernement qu'elle nomme
(pour la forme, certes), élu par les sujets britanniques.
Stephen
Frears propose une vision quasi documentaire mais aussi très
personnelle du royaume à l'instant le plus tragique de son existence.
Bien que l'idée vienne du producteur, Stephen Frears s'est approprié le
scénario de The Queen et y a insufflé ce brin d'ironie so british mais surtout son point de vue sur les personnages et les événements. The Queen est
avant tout le film d'un britannique de 65 ans ayant toujours connu la
Reine comme référence politique, devenu cinéaste et citoyen de gauche,
évidemment déçu par Tony Blair.
Le fringuant premier ministre représentait après 20 ans de
conservatisme politique (Thatcher puis Major) un changement et
promettait une nouvelle ère, celle de la modernité et du social.
Instantané d'une époque assez récente, alliant drame, tensions
politiques, et émotions, cette fiction apporte des précisions que
beaucoup attendait. C'est bien l'un des grands intérêts de ce film.
Mais quelques changements ont été apportés :
Pour creuser le personnage de Charles, les scénaristes ont cru bon
d'accentuer ses prises de bec avec sa mère. Les biographes et les
proches du prince de Galles pourront tous confirmer que l'emportement
de Charles dans le film face à la reine, ne correspondrait pas à la
réalité.
Dans le film, c'est les yeux embués de larmes que Charles s'adresse
à elle et lui reproche son manque de tendresse, de gestes d'affections
envers lui. Cette attitude serait considérée comme immatûre par ce
prince qui conserve toujours avec sa mère une froideur emprunt de
crainte et d'admiration. Même si, en effet, il sait mener le jeu en
coulisses et garder les faveur des politiques et des médias.
Les autres personnages de la famille royale sont eux très fidèlement
décrits, en particulier le prince Philip, époux de la Reine, dont le
cynisme est connu de tous ; de même pour la reine mère, dont l'humour à
froid la rend truculente et attachante.
De par leur mimétisme avec les personnages réels, et la précision de
leurs dialogues (très réalistes, les sources sont fiables), le trio,
Tony Blair, Cherie Blair, Alastair Campbell est déterminant dans ce jeu
de ping pong politique, où petites phrases et manipulation des médias
sont la règle.
Concentré
sur la famille royale d'un côté, Tony Blair et son équipe de l'autre,
le film montre finalement assez peu mais suffisamment l'hystérie
collective qui s'empara des anglais durant ces premiers jours de deuil
national. Grâce à Adam Curtis, documentariste qui travaille
régulièrement avec Frears, on redécouvre des images d'archives
extrêmement parlantes et précises. La folie des tabloids est, elle,
bien montrée, The Mirror et The Sun en tête, essayant de
vendre le plus possible et d'échapper à la vindict populaire (leurs
paparazzis suivaient bien évidemment Diana 24h/24) en détournant
l'attention sur la reine et son manque de réactions affectées. Très
tôt, dès la première semaine, les rumeurs les plus folles couraient sur
les causes de l'accident, certains parlaient déjà de complot, d'un
accident commandité par la reine qui aurait voulu se débarasser d'une
princesse déchue trop gênante. Irrespectueuses et ridicules, ces
rumeurs ne sont pas reprises dans le film.
Entre documentaire et fiction, The Queen révèle le dessous d'un événement pourtant connu de tous et maintes fois disséqués, en y apportant un éclairage nouveau et passionnant. Faisant le pari osé de la critique quasi immédiate, les faits ne remontent qu'à une dizaine d'années, et les personnages sont toujours en excercice, Stephen Frears montre encore s'il en était besoin à quel point les Anglais sont exceptionnels par leur audace et leur style inimitable.