Indigènes : le devoir et le droit de mémoire

Erwan Desbois | 26 septembre 2006
Erwan Desbois | 26 septembre 2006

Avant Indigènes, ils ne s'étaient jamais retrouvés sur un tournage en compagnie de l'un des autres lauréats du prix d'interprétation masculine partagé à Cannes. Parce que leurs profils sont trop proches (Roschdy Zem et Sami Bouajila, trop souvent cantonnés aux seconds rôles d'arabes sympas/lisses/respectables – et ces rôles-là, il n'y en a qu'un par film), ou trop éloignés, de Jamel Debbouze le comique irrésistible à Samy Nacéri la star pied au plancher. Ces parcours réussis menés en parallèle se rejoignent pour la première fois pour le film à propos duquel tous disent qu'il aura marqué non seulement leur carrière mais aussi leur vie.

Il faudrait être de bien mauvaise foi pour voir une quelconque auto-satisfaction ou langue de bois derrière cette affirmation. Plus qu'une noble cause leur tenant à cœur, l'histoire d'Indigènes est leur histoire individuelle, celle de leurs grands-parents aux uns et aux autres qui ont fait partie des régiments de tirailleurs nord-africains. Que le tournage du film ait pu être l'occasion pour les acteurs de découvrir leur lien personnel avec cette page de l'histoire récente de la France montre à quel point celle-ci a pu être étouffée à tous les niveaux (familial, scolaire, commémoratif). La France, pays volontiers oublieux des passages peu glorieux de son histoire ? On attend toujours des films abordant de front la Première Guerre Mondiale ou la décolonisation – sujets sur lesquels, en leur temps, Les sentiers de la gloire et La bataille d'Alger furent interdits en France.

En portant à bout de bras Indigènes, Jamel, Roschdy, Sami et Samy ouvrent donc une brèche dans un territoire inconnu du cinéma français. Tellement inconnu que le modèle artistique qu'ils citent pour ce film est américain – Denzel Washington dans Glory. Ils réalisent cet acte engagé car leurs ambitions – assouvies – d'acteurs sont les mêmes que celles – niées – du milieu social d'où ils viennent, ainsi que de leurs ancêtres partis au front : la reconnaissance et le succès dans leur pays, la France. Tous les quatre s'étaient déjà investis à plus ou moins grande échelle dans leur rôle de modèle de réussite, et Indigènes ne saurait donc être vu comme un coup opportuniste de leur part. Il s'agit d'un retour aux sources de leur lutte : à les voir dans le film parler un français incertain et trembler de peur et de hargne mêlées face à l'attitude condescendante de leurs supérieurs « de souche », il est évident qu'ils (re)jouent le rôle de leurs grands-parents arrivant en France. Le surplus d'émotion dans leur jeu est palpable, et rend évident le fait que ce long-métrage est pour eux l'étape la plus importante dans leur désir de faire bouger les choses, en bien.

C'est dans cette optique (ainsi bien sûr que pour sa performance d'acteur, aussi marquante que celle de ses congénères) qu'il ne faut surtout pas oublier d'associer au quatuor le cinquième larron du prix d'interprétation cannois : Bernard Blancan, acteur de théâtre venu tardivement au cinéma, il n'y a que sept ans de cela. La description du sergent pied-noir qu'il interprète, et qui subit un traitement proche de celui des tirailleurs nord-africains (lui aussi se voit piégé à son échelle par la hiérarchie et trahi dans ses idéaux), montre le souci du film de ne pas tomber dans la facilité en désignant des boucs-émissaires ou en montant les communautés les unes contre les autres. La démarche des créateurs et des acteurs d'Indigènes ne vise pas à la polémique facile, mais à un débat de fond sur l'acceptation d'une injustice, à une prise de conscience dont tout le monde sortirait grandi. On ne peut que souhaiter le succès d'une telle attitude positive et constructive de la part de stars qui pourraient se contenter de profiter égoïstement de leur réussite personnelle.

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