L'Étrange Festival à Strasbourg : 11ème édition

Sylvie Rama | 11 novembre 2005
Sylvie Rama | 11 novembre 2005

Jean Reno dit que « le cinéma c'est avant tout un vecteur de partage ». L'auteur humoristique Marc Escayrol le définit comme « un lieu dangereux en raison des risques de projection de navets ». Lars Von Trier lui, pense que « ce qui est bien avec les films, c'est que c'est toujours plus vaste que les mots ». Comme ils ont raison ! Et c'est justement pour nous le montrer que l'équipe du Mad Ciné Club nous a « cadeauté » l'Étrange Festival pour sa onzième année consécutive. Lieux des réjouissances toujours à Strasbourg, dans une ambiance propice : climat frisquet, temps gris, et alors que nous venons tout juste d'accourir aux Noces funèbres du délirant Tim Burton, les mad boys du ciné nous convient à d'étranges festivités. Cette année, durée raccourcie mais qualité pas amoindrie, l'étrange se décline sur tous les tons et sur cinq soirées au cours desquelles la banalité n'a pas droit d'entrée.

Ouverture 26 octobre 18h00
Ouverture originale, sujet originel, la vie. Avec un court-métrage d'animation de l'américain Don Hertzfeld, The meaning of life, qui en 12 minutes, sur la musique de Tchaïkovski, explore l'humanité et le temps, évoque la signification et le cycle de la vie au travers de dessins crayonnés à la manière de South park.

La projection de Nothing, du canadien Vincenzo Natali, auteur de très astucieux Cube, n'a pas manqué de nous offrir son flot de bizarreries, voire de bizarres rires (spectateur de la rangée de droite, ton rire était inoubliable). Pour son troisième film, Natali revisite et décline dans un humour très british le concept de l'enfermement : au contraire de Cube dont l'univers cloîtré exacerbait la paranoïa des personnages et leur objectif de survie, Nothing exploite l'immensité du vide et force à se recentrer sur les valeurs essentielles.

Jeudi, soirée Extrême Asia
Ne dites plus Z comme Zorro mais comme Zebraman. Le dernier film du prolifique mais non moins déjanté Takashi Miike attire la foule. Un couple, venu pour le réalisateur après avoir découvert Audition et Visitor Q, s'attend au pire des chocs, à des images extrêmes. Pourtant (surtout avec un titre pareil) Zebraman est loin de la trilogie mafieuse Dead or alive ou du sanglant Audition qui l'a consacré au niveau international. L'héroï-comique Zebraman a ce petit côté nostalgie des années 80, du temps où nous adulions Bioman et autres supers-héros aux pistolets laser dont les génériques nigauds n'ont jamais été oubliés et se chantent encore à tue-tête en cachette. Miike rend donc hommage aux Tokusatsu (séries télévisées de nos héros d'antan) en recréant fidèlement leur ambiance et leurs gags à six sous. Dans la salle, certains jubilent à la vue des méchants sous leurs accoutrements en caoutchouc ridicules attaquant Zebraman alias Shinichi, gentil professeur qui s'ennuie dans la vie et qui voudrait sauver le monde pour pimenter un peu le sien. Au final Miike tire même la langue à ses voisins ricains avec un happy end corrigé à la nippone. Les nombreux clins d'œil et références au cinéma actuel (trop drôle, le combat Sadako, l'icône du Ring de Nakata, versus Ultraman) en ont réjoui plus d'un, tandis que d'autres attendaient sans nul doute autre chose de Miike qui s'est (trop) lâché et nous a expédié un énorme colis de burlesque. Quand on dit que Miike est timbré….

Dans le genre scénario capillairement tracté mais exultant, Haze, court-métrage inédit du cinéaste underground Shinya Tsukamoto, dont on ne présente plus le désormais culte Tetsuo. Une expérience viscérale et cauchemardesque. Interprété par Tsukamoto en personne, un homme tente de s'extraire d'un lugubre labyrinthe étroit à l'excès et atrocement angoissant, tout en essayant de découvrir les raisons qui l'ont conduit dans cette prison de l'horreur et du sordide. Un film corrosif qui repose sur une sorte de délirium extrême mais qui, au-delà de l'horreur, masque des intentions profondément romantiques. Jamais on n'aura voulu qu'un court soit plus court. Bref, du Tsukamoto tout court.

Midori d'Hiroshi Harada, est un film d'animation japonais tiré d'un gegika (manga) érotique et sulfureux de Suehiro Maruo, La Jeune fille aux camélias (pas la dame, comme certains confondent). Pervers et dérangeant, l'œuvre d'Harada conte l'histoire de Midori, une douce jeune fille dont le sort ingrat et le quotidien au sein d'une troupe de comédiens de cirque aux rires sardoniques est brillamment mis en scène dans des couleurs flamboyantes.

En complément du programme, un court du talentueux Kim Jee-Woon, auteur remarqué et primé pour 2 sœurs, dans lequel une jeune femme fait son coming out face à la caméra et avoue être… un vampire. Initialement diffusé sur internet, Coming out alterne horreur et humour pour évoquer le droit à la différence. Une démarche plutôt osée en Corée.

De toute évidence, c'est une entreprise similaire qu'intente son homologue Jeong Jun-Hwan dans Save the green planet qui n'a laissé personne indifférent. Considéré comme un film OVNI, le premier long-métrage de Jun-Hwan met en scène un jeune homme au passé lancinant, persuadé que des aliens projettent d'envahir la terre. Inventif, poignant, poétique, et drôle en plus. La Corée nous offre une fois de plus un récit à suspense, extravagant, complètement fou, qui illustre derrière un pitch presque farceur un monde encerclé par le terrorisme. Excellemment interprété, le premier film de Jun-Hwan n'évite cependant pas toujours la grossièreté, ni les opinions très controversées que l'on tenait au sortir de la séance concernant les justifications des motivations excessives du protagoniste ou bien au regard d'un final inattendu jugé quelque peu désolant par certains, bien que fort désopilant par beaucoup. Mais après tout, comme le dit le cinéaste canadien Atom Egoyan « les questions sans réponse au cinéma sont celles qui ont le plus d'effet sur nous ».

Vendredi, Séance expérimentale et Freakshow
Le troisième jour démarre sur une séance expérimentale (à prendre dans le sens de création plutôt qu'expérimentation). Une série de courts-métrages dont on croirait au départ que les réalisateurs sont toxicomanes et les monteurs bourrés. Les projections en copie béta analogique ou en 16mm accentuent d'autant plus leur aspect artisanal genre « je l'ai fait à la main ». Du grand art. On aime ou pas (réservé aux aficionados bien que les curieux aient trouvé l'ensemble intéressant), mais l'expérience ancre la mémoire et les tripes. Pas de structure narrative en bonne et due forme, ce n'est pas le but, l'histoire se vit selon nos perceptions.

Light is calling du New Yorkais Bill Morrisson, en est certainement le plus bel exemple. Le cinéaste s'intéresse à la valeur plastique de la pellicule, jouant sur sa décomposition physique et matérielle inévitable. L'artiste superpose images et scories filmiques. L'entrelacs de ces éléments donne lieu à une sorte de paradoxe entre image et matière, et malgré l'absence de structure narrative, une histoire se forme devant nos yeux. Ainsi, ce couple du début du siècle porté à l'écran devient intemporel, éternel, défiant les lois de la dégradation et le caractère fictif de la cinématographie. Un autre histrion des jeux de pellicules, l'autrichien avant-gardiste Peter
Tcherkassky, triture quelques passages d'un western de Sergio Léone, Le Bon, la brute et le truand dans son nouvel opus Instructions for a light machine. Sans exagérer sur le rendu de ce chaos cinématographique, on voit littéralement Clint Eastwood déchirer l'écran.
Mais la soirée n'a pas fini de déchirer. Fidèle à son goût pour la folie et le surréalisme, Guy Maddin nous offre avec Sombra Dolorosa et Sissi boy slap de quoi satisfaire notre (mauvais) goût pour le grand guignol. Changement de registre avec Asparagus, de Suzanne Pitt, qui nous donne l'occasion de suivre une petite thérapie. Dans cette superbe peinture vivante qui foisonne de métaphores, l'artiste visionnaire fusionne le langage figuré au langage du rêve établi selon la thérapie freudienne, fouillant ainsi sa propre psyché. Enfin, achevons le volet de l'expérimental avec deux courts du regretté Shuji Terayama, L'Empereur Tomato Ketchup, représentation subversive de la prise de pouvoir des enfants sur les adultes, et Film de l'ombre, superbe réquisitoire contre les horreurs d'Hiroshima.

Et puisqu'on parle d'horreur, voici venir la soirée Freakshow. Va y avoir du sang !

D'abord, de celui qui nous glace. Dans Animal, François Launey et Thierry Garat, anticipent sur un futur post-apocalyptique dans lequel l'homme, réduit à l'état bestial, subit sa propre violence pour survivre. Ensuite, de quoi se faire du mauvais sang en regardant Protocole 33, court-métrage troublant de Benoît Lestang, qui reprend les effets visuels incroyables utilisés notamment dans le dernier clip de Mylène Farmer dont il est le créateur (un couple s'enlace lascivement jusqu'à faire pénétrer leurs mains sous leurs épidermes), suivi par le carnage sanguinaire du musicien métal Rob Zombie, House of 1000 corpses. Les fans étaient au rendez-vous pour triper devant les tripes exposées parfois sans égard dans ce film hommage au mythique Massacre à la tronçonneuse. Saluons le travail du réalisateur quant aux effets visuels, assez soignés, et le choix des acteurs, tous plus brillants (cinglés) les uns que les autres. En fin de projection, l'ambiance est à la déconne, un jeune homme lance « ma grand-mère ferait une crise d'apoplexie » tandis que dans la file plus loin, une petite dame qui n'a visiblement pas du sang de navet souffle un malicieux « c'était sanglant ! ».

Ceux qui ont le freak dans le sang ont eu de la veine en visionnant le légendaire Basket Case – Frères de sang de Frank Henenlotter ; Rubber Johnny du dingo génial Chris Cunningham et enfin, un documentaire sur Kobelkoff, fameux homme tronc (oui, mademoiselle assise juste derrière, il a vraiment existé) et qui inspira Freaks de Todd Browning.

Samedi, Histoire de revenants
Bhoot (fantôme en langue hindi) de Ram Gopal Varma, nous a prouvé qu'au royaume de Bollywood, on nargue presque la suprématie asiatique. Zéro chanson, aucune danse, pas de kitsch. Ce gros succès du box-office indien en 2003 déboule directement en DVD le 14 novembre et parvient à créer son petit effet sans gros effets. Bien qu'ayant lorgné les voisins (L'Exorciste, Dark water), Bhoot est efficace par sa réalisation. Varma mise tout sur l'habillage sonore, car ce qui fait peur c'est notre anticipation sur les événements et ce que l'on entend subrepticement, pas ce que l'on voit. Retenons la prestation remarquable de l'actrice Urmila Matondkar et la dernière scène qui réfrigère encore nos colonnes vertébrales.

Dans un genre tout autre, L'accordeur de tremblements de terre, ne laisse pas indifférent. On avoue qu'on est face au film à revoir pour bien s'approprier l'histoire (on t'a entendu toi devant « j'ai rien compris »), mais comme il s'agissait d'une avant-première, nous aurons tout le loisir d'aller le savourer une seconde fois, et plus si affinités. Cela dit, cette fantasmagorie des frères Quay est un pur délice pour les yeux (on se croirait dans un rêve), emplie de poésie, de dialogues au lyrisme exalté et doté d'un casting parfait. Amira Casar y tient un de ses plus beaux rôles et l'allemand Gottfried John (le Jules César de notre Astérix national) est parfait en docteur diabolique.

Pour clore le chapitre revenants, Jona/Tomberry, court d'animation au graphisme obscur et époustouflant de l'hollandais Rosto, a cloué la salle aux sièges, jouant sur nos sensations et notre peur de la mort dans un réalisme terrifiant. Debil Dead, parodie de Evil Dead, réalisée par Pierre Fernandez, a fait jubiler, parce que franchement, voir Christophe Lambert dans un combat contre Bruce Campbell, c'est du délire inavoué. Bruce Campbell que l'on retrouve plus tard dans le très attendu Bubba Ho-Tep (en salles le 15 février 2006) une comédie fantastique dans laquelle il tient le rôle du vrai Elvis Presley, luttant aux côtés d'un JFK black, contre une momie vieille de 3000 ans prête à tout pour voler l'énergie vitale des habitants de leur bled paumé. Rien que pour le synopsis louf dont on se demande où le réalisateur, Don Coscarelli, est allé le dénicher, il en vaut le coup d'œoeil.

Clôture endimanchée
Le jeune public et les âmes d'enfant n'ont pas été oubliés. À mille lieux des productions modernes issues des dernières technologies de l'image, c'est un merveilleux voyage dans le temps que l'on a pu faire grâce à deux très courts métrages en N&B de Willis O'Brien, R.F.D. 10 000 B.C. (10 000 ans avant J.-C.) et Création, datant respectivement de 1916 et 1931.
En virtuose de la maquette, le père de King Kong avait réalisé à l'époque un véritable exploit en combinant à l'écran personnages animés (dinosaures) et acteurs humains. En prime, nous avons eu droit à un accompagnement musical en live (le son n'a fait son apparition au cinéma que dans les années 30).
On reste au début du siècle avec les (suivez bien) Voyages très extraordinaires de Saturnin Farandoul dans les 5 ou 6 parties du monde et dans tous les pays connus et même inconnus de M. Jules Verne, de Michel Fabre et Luigi Maggi, qui comme son titre l'indique est un pastiche taquin des Voyages extraordinaires de Jules Verne (un livre, pas un film). On rit encore des aventures de ce globe-trotter élevé par des singes qui, sur terre ou en mer, parvient toujours à se sortir de situations abracadabrantes, dans une ambiance mi-Indiana Jones mi-western.

Conclusion en beauté avec la projection du dernier chef d'œuvre de Kim Jee-Woon, A Bittersweet life, dans une salle comble et surexcitée où l'on retrouve des visages familiers (le spectateur au rire inoubliable, les amoureux fans de Miike et même la petite dame courageuse). Magistralement interprété par le (très) beau Lee Byong-Hun que l'on a pu admirer auparavant dans JSA de Park Chan Wook, Sunwoo est un personnage « delonesque » - celui des années 70, du temps de Un Flic de J.P. Melville dont Jee-Woon s'est largement inspiré - directeur très chic d'un grand hôtel très luxe et bras droit protégé de Kang, puissant chef de la pègre sud-coréenne. Ce dernier lui demande de surveiller sa jeune maîtresse, dont il soupçonne l'infidélité, et de prendre les mesures qui s'avèreront nécessaires. Mais les événements tournent à l'imprévu lorsque Sunwoo épargne les jeunes amants pour des raisons qu'il ignore. Furax, Kang le poursuit franco et notre héros se retrouve entraîné illico dans une spirale de violence sans merci.

Réalisation virtuose, esthétisme et style accentués à l'envie genre « regardez comme je fais de belles images », très applaudi, A Bittersweet life n'a pas volé son succès. Rejouant finement le mythe du héros/anti-héros dernier cri, ce noir polar manipule subtilement les parfaites contradictions, entre éloquentes absurdités, instants de pure émotion et humour noir savamment dosé, pour finir sur une sorte de délivrance jouissive et l'apothéose de la banale réalité d'un homme sans envergure. Un coup d'éclat pour ce film… dans un film. Clap clap (de fin) pour l'éclectique Kim Jee-Woon qui, une fois de plus, sait nous éblouir en nous offrant ce film 4 étoiles illuminant le ciel (presque) sans nuages de ce 11ème Étrange Festival.

Tout savoir sur Bubba Ho-tep

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