Cannes 2005 – Deuxième jour

Thomas Douineau | 13 mai 2005
Thomas Douineau | 13 mai 2005

Cannes, première véritable journée des festivités. Comme le veut l'une des règles d'or de cette compétition pour la palme, la sélection officielle se dévoile moderato cantabile, initiant sa valse des écrans par un tiercé moyennement palpitant…

Et pourtant, l'annonce d'un dernier cru Allenien avait de quoi nous allécher - bien que ses derniers faits d'œuvre laissaient un léger goût de déjà-vu périmé sur le palais - l'espoir d'assister à un éclair de génie de ce maître en la matière de la prise de tête satirique perdure… Peines perdues… Car plus l'hurluberlu new-yorkais augmente son rythme de production, et plus ce besoin frénétique d'engranger les pelloches nuit gravement à la qualité de ce qui faisait d'antan tout le charme de sa marque de fabrique… Successions de saynètes dignes d'un mauvais soap opera, développant un laïus inintéressant sur le rôle que peut jouer le « facteur chance » sur le cours de n'importe quelle existence, Match Point n'aidera pas Woody à regagner la tête du classement de nos auteurs favoris.

Partant de l'équation basique « une fille, deux gars, et beaucoup d'emmerdes en perspective », Allen brode un maillage d'intrigues érodées jusqu'à la moelle, mêlant coucheries, mariage intéressé, petit jeu de séduction niais, crises de couples, tromperies sans queue ni tête et -cerise sur ce gâteau indigeste- crime passionnel débilitant. En somme, que du léger, de l'aérien, porté dans le rôle-titre par un Jonathan Rhys Meyers dont les expressions très limitées naviguent entre mordillement de lèvres et haussement de sourcils. Du moins tel est mon humble avis de spectatrice initiée aux frasques de ce névrosé depuis des lustres et déçue de ce passage à vide qui commence sérieusement à s'éterniser. Opinion tranchée ayant suscité -je dois l'avouer- la rebuffade de bon nombre de mes confrères mâles qui, pour la défense du client Allen, louent ses dons de directeur de casting, et plus particulièrement le recrutement endiablé de la miss Johansson. Mais que voulez-vous, le cœur a ses raisons que la raison ignore, et la moue boudeuse de mamzelle Scarlett recèle des trésors de sorcelleries capables d'emballer tout palpitant en état de fonctionnement.

Alors, de bonne grâce, concédons un score de 1-O à cet énième opus Allenien, rien que pour les beaux yeux de l'aguichante Scarlett.

Impressions mitigées auxquelles ne peut nullement prétendre la deuxième séance du jour. Et c'est un euphémisme ! Car, comme son intitulé l'indique parfaitement, Kilomètre zéro ne va pas bien loin dans sa reconstitution consensuelle de la guerre que se livrèrent Iran et Irak à la fin des années 80. Survolant son sujet d'une façon si simpliste qu'on la croirait spécifiquement destinée au jeune public, Hiner Saleem prétend retranscrire la vision d'un jeune père de famille kurde enrôlée à son corps défendant dans les troupes de Saddam, mais se borne au final à débiter tout un ramassis de clichés anti-Hussein qui n'ont plus vraiment rien de nouveau aujourd'hui. Situations pseudo ubuesques ratées alternent avec de vastes plages esthétisantes non dialoguées, le tout servi par une galerie de comédiens aux simagrées guère convaincantes, et c'est ainsi que la langueur s'installe tandis que l'ennui fait son nid. L'électrocardiogramme reste désespérément plat, et les spectateurs plongent dans un doux coma en attendant la suite des réjouissances.

Mais le pire reste à venir car notre ultime recours touche sans conteste le fin fond des abysses. Le vide intersidéral se loge dans le scénario unidirectionnel de Bashing, dernier film officiellement présenté en ce jeudi noir qui aura au moins le mérite d'inciter tous les aspirants cinéastes à empoigner leurs caméras et à filer en tournage, histoire de réaliser des œuvres dignes du grand écran.

Les conflits Irakiens y servent encore de toile de fond, à la différence près que ce sont les derniers remous en date qui servent de détonateurs aux péripéties de la protagoniste. Ce long métrage part d'un point d'ancrage qui aurait pu s'avérer intéressant : à son retour d'Irak où elle fut retenue en otage alors qu'elle était partie bénévolement aider les civils, Yuko, une jeune japonaise issue d'un milieu modeste, se heurte au rejet massif de ses compatriotes qui lui reprochent d'avoir porté affront à leur nation en suscitant l'attention de la communauté internationale. Harcelée par des coups de fil fanatiques, abusivement licenciée, agressée et humiliée publiquement, Yuko cède progressivement au désespoir, précipitant tous les membres de sa famille dans son marasme. À vrai dire, Kobayashi Masahiro, l'initiateur et responsable de ce naufrage, a tellement bien bossé, que son œuvre de sape nous fait sombrer dans les mêmes turpitudes que son héroïne. Répétant jusqu'à l'écoeurement les mêmes scènes, au plan près, le réalisateur s'appesantit sur des détails insignifiants. Or, ce qui semble motivé par un souci d'introspection voué à nous transmettre le sentiment de perdition de son personnage principal nous incite davantage à prendre la poudre d'escampette afin de ne pas mourir d'ennui.

En résumé, vous l'aurez compris, cette toute première immersion cannoise nous aura permis de toucher le fin fond du néant cinématographique, chaque pallier franchi réservant son lot de déconvenues plus sidérantes les unes que les autres.

To be continued…

Mrs Pink

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