Avant Django Unchained, le film sur l'esclavage qui a ruiné la carrière d'un grand cinéaste

Léo Martin | 9 février 2024 - MAJ : 09/02/2024 14:07
Léo Martin | 9 février 2024 - MAJ : 09/02/2024 14:07

Longtemps mal-aimé puis lentement réhabilité, Mandingo est l’un des films les plus audacieux de Richard Fleischer. Et il inspirera plus tard Quentin Tarantino.

En 2012 sort Django Unchained, le plus gros succès commercial de Quentin Tarantino. Le film est un carton critique et public et ce n’est pas pour rien. Dans son tout premier vrai western, le cinéaste retrouve la violence de son cinéma dans une de ses formes les plus cathartiques. La grisante revanche d’un héros afro-américain, ancien esclave, contre l'Amérique ségrégationniste. S'y mêlent une épopée épique et une peinture franche de la cruauté du sud. Ainsi, Tarantino puise dans deux mythologies distinctes. Celle des westerns spaghettis où l’héroïsme triomphe (il rend hommage au Django de Sergio Corbucci) et celle du chef-d’œuvre de Richard Fleischer, Mandigo. Et c'est ce film qui nous intéresse. 

Parfois décrit comme un anti Autant en emporte le vent, Mandingo est une plongée, réaliste et radicale, dans le monde des esclavagistes. Rarement un film aura scruté d’aussi près les abjections commises durant cette période, à travers le portrait d’une petite famille du Sud américain et de ses esclaves. Un portrait sidérant, sur lequel Tarantino bâtira les fondations du terrifiant Candyland de Django Unchained. Néanmoins, si la cruauté qu’on y voit est l’un des éléments du succès du film de Tarantino, elle aura bien moins réussi au long-métrage de Fleischer, au point de précipiter sa carrière dans l'abysse. Voyons pourquoi.  

 

Django Unchained : photo, Leonardo DiCaprioAvec 425 millions de dollars au box-office mondial, Django Unchained est le plus gros succès de Tarantino

 

adapter l’inadaptable

Richard Fleischer, cinéaste à la très large et très éclectique filmographie, a souvent été critiqué du fait de sa polymorphie. En somme, on disait de lui qu'il acceptait de réaliser un peu tout et n’importe quoi. Un reproche étrange, quand y pense. Car c’est bien sa constance à diriger de grands films dans des genres très différents les uns des autres qui, rétrospectivement, a fait la preuve de son talent. Du dystopique Soleil Vert à l’Étrangleur de Boston, tout en passant par la production Disney Vingt Mille Lieues sous les mers, Fleischer a très souvent su s’adapter à tous les styles, et avec brio.

Et pendant longtemps, aucun défi ne semble lui faire peur. Pourtant, il y aura bien un projet qu’il refusera plusieurs fois. Un projet initié par le producteur Dino de Laurentiis et dont il pressent toute la dangerosité. Il s’agit évidemment du sulfureux Mandigo. Malgré toute sa bonne volonté, Richard Fleischer ne sera clairement pas chaud pour adapter le roman du même nom de Kyle Onstott. Un livre jugé cynique et à la morale assez effroyable, publié en 1957. Celui-ci dépeint donc une série d’évènements prenant place en 1832, dans la plantation fictionnelle de Falconhurst. Là, la famille Maxwell exploite un grand nombre d’esclaves, traités comme des animaux d’élevage.

 

Mandingo : Photo James MasonJames Mason, lui, n’a accepté son rôle que pour payer ses pensions alimentaires

 

Pour Fleischer, et de nombreux autres, le livre est problématique. Il décrit la plantation avec une rationalité économique complaisante, tout en représentant avec froideur l’esclavage sexuel entretenu dans cette société fermière corrompue. Bizarre, c'est ce dernier aspect du roman qui aurait, en partie, motivé la production du film. Aussi fou que cela puisse paraître, certains auront donc vu dans les relations charnelles entre maîtres et esclaves du livre une bonne base pour des scènes érotiques, voire romantiques, dans un film surfant sur la vague de la blaxploitation des années 70. Il restera même des reliques de cette volonté de romantisme sur l'affiche du film de Fleischer, qui est certes très trompeuse.

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commentaires
Cooper
09/02/2024 à 14:30

Connaissais pas, pourtant j ai vu quelques films de ce réalisateur, bon je vais me jeter dessus, merci écran large

Ray Peterson
09/02/2024 à 14:02

@ Eomerkor, tellement d’accord.
Fleischer était un sacré réalisateur et un véritable auteur même si d’après certaines interviews il ne se considérait pas comme.
J’ajouterais que Blind Terror et surtout The New Centurions avec le Grand C. Scott sont de sacrés bouts de peloche.
Par contre un peu plus de mal à defendre Conan 2 et Kalidor (a part l’affiche originale!).

Eomerkor
09/02/2024 à 13:52

Pour ma part je ne peux pas comparer Mandingo à Django. Mandingo est une expérience vraiment choquante et un film subtil. L’approche est différente et le propos nettement plus complexe. J’ai vu ce film il y a de nombreuses années sans rien connaître de l’histoire et du roman. C’est bien la scène du meurtre de l’esclave qui m’a le plus choqué mais au final c’est surtout un film sur un système, celui de la plantation du sud des Etats Unis. Avec son patriarche, le fils qui doit en hériter pour perpétuer sa lignée et qui doute de lui, la consanguinité, la condition des femmes qui si elles gardent des droits et la liberté ne sont guère que les esclaves de leur mari. On y voit toute la perversion qui règne dans cette famille. Le père qui joue avec les nerfs de son fils. La belle-fille délaissée parce que non vierge et qui se venge en prenant pour amant le mandingue. Le fils faible qui va entretenir une relation d’amitié faussée avec le mandingue en le faisant lutter contre d’autres esclaves et finir par l’assassiner d’une manière ignoble. Toute la dépravation d’un monde axé sur les classes sociales et l’esclavage base de son économie et socle de son pouvoir.
Le film a reçu un accueil critique haineux du fait de son propos qui ne minimise absolument rien et décrit des passions humaines dans le contexte de l’esclavage en sol américain. C’est surtout la perversité et la faiblesse des blancs qui a décontenancé plus que ses ambigüités. Ainsi que son approche de la sexualité sans aucune limite morale. Avec le temps le film a été visionné différemment et est apparu comme une critique crue du système colonial, de l’esclavage et aussi d’une certaine forme de puritanisme. Les ambigüités apportent un plus au récit qui évite ainsi d’être manichéen.
Un grand film avec un excellent Perry King, un James Mason égal à lui-même et Ken Norton boxeur de métier qui se démarque (étant pressenti pour jouer Creed aurait-il été aussi bon que Carl Weathers ?) .
Richard Fleischer aura hélas fini sa carrière sur des films parfois sympathiques mais sans aucun relief. Il restera avec Mandigo, Soleil Vert et L’étrangleur de Boston un cinéaste qui sait faire bouger les consciences ainsi qu’un grand conteur avec des films inoubliables comme 20000 lieux sous les mers, Le voyage fantastique, Tora Tora Tora, les Vikings et tant d’autres.

Truc Bidule
09/02/2024 à 13:08

Tres bon film...