House of the Dragon : comment la série a évité tout le sexisme de Game of Thrones

Déborah Lechner | 29 octobre 2022 - MAJ : 06/03/2024 16:41
Déborah Lechner | 29 octobre 2022 - MAJ : 06/03/2024 16:41

La première saison de House of the Dragon a surpassé son aînée Game of Thrones à plus d'un titre, notamment pour son traitement des personnages féminins beaucoup plus respectueux. 

En 10 épisodes seulement, House of the Dragon a pallié plusieurs lacunes de Game of Thrones, que ce soit en renouant avec un vrai format sériel, en étoffant la caractérisation jusqu'ici absente des dragons, ou en améliorant le traitement des personnages féminins. Il faut dire que sur ce dernier point, la série mère n'a pas vraiment placé la barre très haut. Dès le premier épisode de la première saison, la nudité, l'inceste et la violence sexuelle à l'encontre des femmes sont devenus des arguments de vente officieux, jusqu'à ce que les viols et femmes en tenue d'Eve soient considérés comme une composante de l'ADN de la série de fantasy, en plus d'une dose crasse de fan service.

Comme l'avait promis le showrunner Ryan J. Condal, House of the Dragon a donc pris une direction moins racoleuse, et accordé une place bien plus importante à ses personnages féminins qui sont tout autant maltraités par les hommes de l'univers, mais bien moins par la caméra et les scénaristes. 

Attention : possibles spoilers !

 

photo vidéo

 

hail to the queens

Daenerys Targaryen, Cersei Lannister, Arya et Sansa Stark, Brienne de Torth, Ygritte, Yara Greyjoy, Margaery Tyrell, Mélisandre... Game of Thrones a beau avoir son lot de femmes badass, et même plusieurs au premier plan, la série est restée d'un bout à l'autre considérablement déséquilibrée dans sa répartition du temps de parole. D'après une étude du groupe de recherche Ceretai, environ 73% des répliques ont ainsi été alloués aux personnages masculins sur l'ensemble des huit saisons, contre seulement 27% pour les femmes. 

À l'inverse, dans House of the Dragon – qui a pour l'instant l'avantage d'avoir une toile de fond plus étroite et donc moins de personnages avec lesquels jongler –, les projecteurs se sont principalement braqués sur les femmes de Westeros, en particulier Rhaenyra Targaryen (Emma D'Arcy) et Alicent Hightower (Olivia Cooke). Ce sont elles qui se sont retrouvées au centre des intrigues et noeuds politiques, et donc elles qui, dans une certaine mesure, mènent la fameuse Danse des Dragons qui prendra son envol dans la saison 2. 

 

House of the Dragon : Photo Milly Alcock, Emily CareyUne amitié qui n'avait pas sa place dans un monde d'hommes

 

Le fait de laisser les femmes accéder au pouvoir est littéralement le point de départ du spin-off, tandis que la légitimité de Rhaenyra à porter la couronne est la clé de voûte de cette première saison qui fait de la misogynie et de l'équivalent de nos anciennes lois saliques de véritables enjeux scénaristiques et non un bon prétexte pour déshabiller et maltraiter les personnages dans un souci de "réalisme".

Et quand bien même leurs relations avec les hommes restent cruciales dans le déroulement des événements (que ce soit avec Daemon, Viserys ou Criston Cole), les femmes interagissent davantage entre elles, que ce soit comme amies ou adversaires, pour se confronter ou se soutenir face au système patriarcal qui les entrave et les oblige à se monter les unes contre les autres.

 

House of the Dragon : photoUn jour amies, l'autre ennemies

 

LA CARACTÉRISATION DES FEMMES

En apparence, Game of Thrones a présenté de nombreux profils féminins, mais qui respectaient tous deux archétypes. D'un côté, les personnages féminins qui convoitent le pouvoir, comme Daenerys, Cersei, Mélisandre ou Margaery, sont systématiquement ramenés à leur physique (toujours avantageux et exposé à un moment donné). Ainsi, leur pouvoir de séduction va constamment de pair avec leur ambition politique. Ce sont également elles qui sont les principales victimes d'abus sexuels ou de voyeurisme de la part de la caméra, et par extension du public.

 

House of the Dragon : photoLe point d'équilibre entre princesse et guerrière

 

De l'autre côté, les personnages comme Arya, Brienne, Yara ou Lyanna Mormont – qui ne cherchent pas à monter sur le Trône de Fer – sont présentés comme des femmes fortes parce qu'elles s'opposent aux normes de genre. Leur caractérisation première réside dans leurs traits masculins et le rejet de ce qui est considéré comme féminin, et donc faible. C'est ce qui, du point de vue des auteurs, fait leur qualité et ce qui leur épargne le même traitement que celles citées plus haut.

Là encore, House of the Dragon prend le contrepied de ce modèle avec des personnages féminins moins stéréotypés, qui suivent les normes de genre autant qu'ils s'y opposent (plus particulièrement dans le cas de Rhaenyra). Et contrairement à Sansa ou Daenerys, qui sont devenus des personnages forts en partie parce qu'elles ont été abusées, la fille aînée de Viserys est d'emblée présentée avec une personnalité affirmée, de par son assurance innée et son statut social élevé. Alicent, quant à elle, a droit à une écriture plus subtile que celle de Cersei et échappe à l'étiquette d'antagoniste grâce à son statut plus ambigu, comme ceux de Jaime ou Tyrion Lannister. 

 

House of the Dragon : photoUne femme qui contrairement à Cersei pense réellement faire ce qui est juste

 

LA VIOLENCE SEXUELLE...

Certes, House of the Dragon s'est calmé sur la nudité gratuite et l'hypersexualisation (ce qui n'empêche d'ailleurs pas le scénario de s'intéresser à la sexualité de Rhaenyra), mais la violence sexuelle n'a pas disparu pour autant. Elle se traduit juste différemment à l'écran. Comme l'avait expliqué à Variety, la scénariste et productrice exécutive Sarah Hess, au lieu de montrer frontalement le viol d'une domestique par Aegon comme c'était le cas pour ceux de Daenerys, Cersei et Sansa, la série a choisi de laisser cette agression hors champ pour se concentrer sur les conséquences, sur la victime elle-même et sur Alicent, à travers un échange effroyable qui en dit long sur l'évolution de l'ancienne Lady.

Aegon n'a donc pas "besoin" de torturer physiquement et/ou psychologiquement une ou plusieurs femmes devant les téléspectateurs pour être caractérisé comme une enflure sadique et perverse (pour rester poli). La simple mention du viol – pardonnez la récurrence du mot – qu'il a commis ou de ses déviances vis-à-vis des enfants suffit à en faire un rejeton aussi abject que celui de Cersei et Jaime. De la même façon, le simple fait qu'Otto ordonne à sa fille de mettre une des robes de sa mère défunte pour aller "réconforter" le roi suivi d'un plan d'Alicent qui se ronge les ongles suffit à mettre en évidence son mal-être et l'horreur de la situation.

 

House of the Dragon : photo, Tom Glynn-CarneyVioleur, de père en fils
 

Viserys, qui est pourtant un des personnages les plus appréciés de la saison, réclame quant à lui sa femme pour qu'elle s'acquitte de son devoir conjugal et l'objectifie pour assouvir ses besoins, sans prendre en considération son ressenti ou ses envies. Le fait que la scène démarre en plein milieu de l'acte, que Viserys n'apparaisse qu'en amorce et que la caméra reste fixée sur le visage passif et résigné d'Alicent est une façon moins crue de représenter le viol, en l'occurrence le viol conjugal. Cela permet de ne pas en faire l'apanage des personnages ambivalents ou clairement monstrueux comme Khal Drogo ou Ramsey Bolton qui usaient de violence, arrachaient les vêtements de leurs victimes, les soumettaient physiquement et les faisaient pleurer ou crier. 

Il s'agit également d'une autre approche narrative par rapport à Game of Thrones, où les viols étaient plutôt des occasions de renforcer la caractérisation des personnages masculins. Le viol polémique de Sansa était, par exemple, un outil scénaristique pour s'intéresser à la dualité de Theon et diaboliser un peu plus Ramsey (au cas où il ne l'était pas assez), et ceux de Daenerys étaient autant un moyen d'accentuer l'innocence de la jeune Targaryen que la brutalité de celui à qui elle a été vendue. 

 

House of the Dragon : photo, Paddy Considine, Emily CareyToute la culture du viol en une poignée de scène

 

...MAIS PAS QUE

House of the Dragon éprouve ses personnages féminins, mais pas uniquement sous un prisme sexuel. D'une façon plus générale, les dix épisodes insistent sur le fait que les hommes se servent des femmes comme de simples pions et disposent d'elles comme bon leur semble. Otto a offert sa fille au roi pour concrétiser ses ambitions, la Princesse Rhaenys a été évincée du trône qui lui revenait de droit puis a été muselée par son mari, et Daemon a tué sa première épouse par intérêt. De leur côté, Lord Larys fait chanter Alicent et Viserys a signé l'arrêt de mort de sa première épouse en autorisant les mestres à pratiquer sur elle une césarienne non consentie qu'ils savaient mortelle.

L'accouchement est d'ailleurs un motif récurrent de la saison. Chaque naissance marque un pivot dans la narration et redistribue les cartes, tandis que la mort des mères en couches est davantage exploitée par le scénario, et pas laissée hors champ comme souvent dans Game of Thrones. Dans House of the Dragon, la maternité est elle aussi contrainte et contrôlée par des hommes qui s'arrogent le droit de vie ou de mort sur des femmes qui ne sont plus considérées que comme des incubatrices.

 

House of the Dragon : photo, Emma D'ArcyRhaenyra, obligée de se plier aux règles du jeu et d'enfanter

 

Si le fait d'avoir des enfants confronte les envies et les devoirs de Rhaenyra (elle aime les enfants qu'elle ne voulait pas avoir), l'importance de maternité est aussi l'occasion d'aborder la misogynie intériorisée, notamment lorsque la reine Aemma parle d'elle et de sa fille comme des "ventres royaux" et de son lit d'accouchement comme de leur champ de bataille à elles.

C'est pourquoi la mort de Laena Velaryon, un personnage pourtant mineur, est aussi symbolique et marquante, la deuxième épouse de Daemon ayant préféré périr noblement par les flammes de Vaghar plutôt que de subir le même sort déshumanisant que la précédente souveraine. On espère donc que la deuxième saison gardera la même trajectoire dans sa représentation des femmes et un traitement aussi juste des violences qu'elles continueront de subir d'une façon ou d'une autre.

Tout savoir sur House of the Dragon

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commentaires
MarieG
08/03/2024 à 13:11

Article très riche... Et très juste! Vous soulevez un point important qui rend cette série meilleure que GoT. Après, il faudra aussi juger sur l'ensemble quand ce sera fini: j'ai trouvé GoT excellent sur les 3 premières saisons, même avec ses défauts (qui sont ensuite devenus trop nombreux pour que ce soit qualitatif).

Loozap
02/11/2022 à 00:57

La sexualité a prit le dessus sur le vrai cinéma

Sébastien
01/11/2022 à 23:30

Série pourrave, Ecran Large a adoré. Normal....

Ludwig Van
31/10/2022 à 12:33

Article bien pensant bonjour.

rientintinchti2
30/10/2022 à 00:00

Magnifique tous ces commentaires convenus et téléguidés.
De gentils petits toutous de la pensée officielle.

Nesse
29/10/2022 à 20:14

Larys se masturbe en regardant les pieds de la reine.
Le contraire m'aurait étonné

Cinégood
29/10/2022 à 15:08

C'est un point de vue qui se défend, mais la première série - qui avait de nombreuses scènes de nu racoleuses et inutiles, c'est indéniable - était bien plus féministe que cette gentillette HoD. Elle montrait la cruauté faite aux femmes dans un univers médiéval sans faire des hommes de preux chevaliers, bien au contraire. La plupart des personnages avaient un côté sombre, bien moins manichéen que HoD.
Au final, GoT montrait déjà les difficiles ascencions et le conflit de deux femmes : Deanerys et Cersei. Et c'est sans compter les personnages comme Aria, Sensa, Brienne, les vipères de Dorne et bien d'autres.
HoD est bien édulcorée comparée à GoT et dans tous les domaines, les personnages moins complexes et moins bien développés.

Sanchez
29/10/2022 à 14:11

Le féminisme est le sujet de la série donc voilà

Kyle Reese
29/10/2022 à 12:21

Grande série féministe, dans le bon sens du thème. C'est à dire sans toxicité envers les hommes.