King Kong contre Godzilla : le premier round stupide de l'affrontement des deux titans

Mathieu Jaborska | 31 mars 2021
Mathieu Jaborska | 31 mars 2021

Avant de se friter pour le compte de Legendary, King Kong et Godzilla s'étaient déjà échauffés dans un film croquignolesque et atypique.

En France, les mesures de restriction liées à la pandémie auront eu raison de Godzilla et de Kong, du moins jusqu'au 19 mai, date de sortie potentielle de leur crossover dans nos salles. Pour les admirateurs de grosses bestioles, l'excitation est à son comble.

Pourtant, ce n'est pas la première fois que les deux titans s'affrontent à l'écran. En 1962, ils s'étaient déjà rencontrés dans King Kong contre Godzilla, un film symptomatique à la fois de l'évolution des deux sagas et des relations entre la culture populaire japonaise et américaine. Tout ça en plus d'être une production foncièrement risible, dans laquelle Big G n'a rien à envier à Jean-Claude Van Damme et le singe géant au Raiden de Mortal Kombat.

 

photoOubliez ça le temps de la lecture

 

De King Kong à King Kong

Dès ses premiers pas devant la caméra, le roi des monstres devait beaucoup à son homologue à poil dur. En effet, comme nous le contons dans notre dossier, le long-métrage original était largement inspiré par le chef-d'oeuvre de 1933. D'ailleurs, le célèbre responsable des effets spéciaux Eiji Tsuburaya a souvent expliqué tenir sa passion pour le caoutchouc et les grosses bébêtes de Skull Island. Quoi de plus logique que la Toho, le légendaire studio derrière Godzilla, souhaite revenir à ses inspirations, en utilisant le personnage de King Kong ?

Depuis Le retour de Godzilla en 1955, la firme a continué à développer son propre genre, le Kaiju Eiga, avec de nombreux monstres comme Rodan ou Mothra, lesquels font la joie des spectateurs locaux. Alors que ses 30 ans approchent à grands pas, elle louche avec insistance sur le colosse simiesque. Celui-ci a par ailleurs lui-même connu une deuxième aventure rapidement mise en chantier, Le Fils de King Kong, neuf mois après ses débuts. Néanmoins, l'opération s'annonce compliquée : les droits sont toujours la propriété de la RKO.

 

photo Retour de GodzillaLe bien plus grave Retour de Godzilla

 

Le salut vient de l'animateur de Kong, Willis H. O'Brien. Motivé par le succès de la ressortie de King Kong en 1952, il exhume un de ses vieux projets : King Kong vs. Frankenstein. Il obtient le feu vert d'un avocat de la RKO, qui confie la proposition à un producteur, John Beck, habitué aux grosses machines hollywoodiennes puisqu'il était par exemple derrière Harvey avec James Stewart. L'exécutif la remanie un peu, engage un scénariste et change le titre en King Kong vs. Prometheus, qui n'a rien à voir avec les délires créationnistes de Ridley Scott, puisqu'il fait plutôt référence au titre original du roman de Mary Shelley

Beck tente de vendre le film aux États-Unis, puis partout dans le monde, mais personne n'en veut. Il ne lui reste plus qu'à toquer à la porte de la Toho, qui l'accueille avec enthousiasme... et quelques souffles radioactifs derrière la tête. Au grand dam d'O'Brien, ils parviennent à négocier à prix d'or le remplacement de Frankenstein par Godzilla et à faire réécrire le tout par le scénariste Shinichi Sekizawa. Comme si de rien n'était, le studio vient d'acquérir les droits du gorille et se donner la possibilité de ressusciter son monstre nucléaire par la même occasion. Un sacré coup qui va s'avérer judicieux, tel que le décrit le livre Kaiju, envahisseurs et apocalypse de Fabien Mauro.

 

photo50 % Kong, 50 % Frankenstein, 100 % moche

 

High kicks et voley-ball 

Autant prévenir tout de suite les puristes du pixel spectaculaire : cette version de King Kong contre Godzilla ressemble autant à Godzilla vs. Kong qu'une baleine à bosse ressemble à un poisson-clown. Loin de la noirceur destructrice des deux premiers opus et des figures menaçantes toutes de CGI des blockbusters américains, il n'a pas volé sa fiche nanarland. Et pour cause : souvent vu comme le premier vrai sommet de kitsch de la saga Godzilla, en fait, il a tout de la comédie assumée.

Si excité par la perspective de se frotter à Kong qu'il en a repoussé un autre projet en cours, Tsubaraya est celui qui propose une approche beaucoup plus rigolarde, contre l'avis d'Ishirô Honda (réalisateur, déjà derrière le premier Godzilla). Ce dernier réussit tout de même à insuffler au récit une critique du divertissement à l'ère du capitalisme mondialisé, ce qui lui tient à coeur. Les deux approches cohabitent. Redoutable dans sa satire, alors que la réunion de monstres qu'il met en scène est justement un rejeton de l'industrialisation du divertissement (schéma qu'on retrouvera dans Mothra vs Godzilla), le film reste une pure comédie, piétinant sans vergogne l'héritage terrifiant des deux ennemis.

 

photoÇa passe et ça casse

 

Si la séquence où Kong et Godzilla se renvoient mutuellement la baballe, tels des joueurs de volley-ball coincés dans un costume de Casimir, fait halluciner en 2021, elle n'était pas moins délirante à l'époque. Tsubaraya se fait plaisir, prenant au passage sa revanche puisqu'il organise un combat contre une pieuvre, son concept original pour Godzilla. Même si Honda parvient avec brio à parodier les dérives du mercantilisme, prouvant une fois de plus son habilité à mettre en scène les humains en dessous des monstres, c'est bien le concepteur des effets visuels qui, en s'adressant aux enfants, fait ressurgir l'enfant qui est en lui.

Réduites à l'état de mascotte, les deux menaces se chamaillent plus qu'elles ne se battent, sous l'oeil d'un public bien moins inquiété par le potentiel destructeur du duo. Autrefois terrifiantes, elles amusent désormais la galerie. Godzilla a beau bien salir son image, en se frappant les mains toutes les 20 secondes, c'est Kong qui prend le plus cher. Histoire de lui permettre de contrer le fameux souffle atomique, qui grille du pelage simiesque dans la première moitié de leur baston, le scénario de Sekizawa lui invente un renforcement par l'électricité. C'est d'ailleurs revigoré par un shot de foudre pur qu'il trouve la force d'achever son adversaire.

 

photoTu veux ma photo ? C'est pour mettre dans mon album de singe

 

Une belle trahison des origines du singe, mais aussi de celles du reptile. Quasiment passé sur la chaise électrique sans aucune égratignure en 1954, le roi des monstres se découvre subitement une faiblesse pour le courant. Mais le pire, c'est probablement la tronche du pauvre Kong, qui n'est plus roi que des défigurés avec son visage complètement atrophié, d'autant plus qu'il se fait capturer par deux pauvres pleutres colonialistes, telle une vulgaire espèce en voie de disparition.

Une bonne tranche de rigolade donc, dont la volonté comique a fini par se mêler à sa propre kitscherie, et une démonstration - à l'ère où on crie à l'irrespect dès qu'un super-héros change de coupe de cheveux - d'humilité de la part de la Toho et de ses artistes. Sans songer aux conséquences de ses actes et avec un entrain qui transparait à l'écran, Tsubaraya amène la franchise dans une direction tout autre, bien plus adaptée aux morveux japonais. Et si l'avidité du studio va prendre le relai, c'est grâce à une rupture totale et presque provocatrice qu'il finit d'apporter sa création dans une ère Showa prospère.

 

photoTu me tiens au jus ?

 

Japon vs USA, round 2

Voici venir la question pour laquelle beaucoup de curieux parcourent cet article : qui gagne ce duel ? Malgré un mythe erroné, annonçant Godzilla vainqueur dans la version japonaise et Kong vainqueur dans la version américaine, c'est bien le singe au grand coeur et au faciès indigne qui parvient à s'imposer, de peu. Lorsque les deux bestioles se fritent dans l'eau, seul en ressort Kong, qui repart, victorieux, de son côté. Mais son adversaire n'est pas forcément mort.

Cette résolution marque-t-elle définitivement la victoire des États-Unis sur le Japon, alors même que c'est ce dernier qui a pris en charge la genèse de l'affrontement et le massacre en règle de la physionomie du champion de l'Oncle Sam ? Difficile de présumer des impératifs du contrat passé. Toujours est-il que l'issue reste très floue, autorisant largement la Toho à faire revenir son monstre, loin d'être blessé dans son honneur. Mais le bras de fer culturel logiquement généré par le long-métrage ne transparait pas de son scénario, mais plutôt de son exploitation.

 

photoUne promotion toujours dans la mesure

 

En effet, au Japon, il reste et restera probablement toujours le film Godzilla le plus vu, avec 11,2 millions d'entrées. Un carton stratosphérique qui va assoir pour des années à venir la popularité du roi des monstres et lui assurer une certaine longévité. Cependant, selon Beck, qui a les droits de distribution sur le marché américain, l'approche choisie par Tsubaraya et Sekizawa ne convient pas à ses compatriotes. Il se charge alors de procéder à quelques mutilations retouches. À l'époque, découper à la serpe un montage original en fonction des désidératas du public est monnaie courante, surtout chez les Américains, qui en feront un sport national lors du triomphe des Super Sentaï.

La version américaine de King Kong contre Godzilla trahit complètement l'aspect comique assumé et les ambitions satiriques de Honda, en remplaçant par exemple l'excellente partition du légendaire Akira Ifukube par des extraits des bandes originales des Universal Monsters, comme L'Étrange Créature du lac noir. Un remontage musical supervisé par un jeune Peter Zinner, futur monteur des deux premiers volets du Parrain.

 

photo, Michael KeithPour les Américains, c'est Keith ou double

 

Beck engage également le comédien Michael Keith comme présentateur TV pour raconter à l'écran les évènements d'un point de vue américain et gommer une grosse partie des meilleures scènes de Mr. Tako. Le personnage, campé par un Ichirô Arishima en pleine forme, est une parodie frénétique du capitaliste tel que les États-Unis les répandent alors sur le monde. Un véritable sketch ambulant incarnant presque à lui tout seul la note d'intention du long-métrage. Un premier démêlé de distribution qui en annonce d'autres, la direction puérile des Godzilla suivants étant rarement assumée par les commerciaux américains.

En France, il faut attendre 1976 pour voir la version américaine débarquer dans les salles, où elle attire quand même quelque 554 695 spectateurs. Au même moment, au Japon, Godzilla est devenu une vedette incontestée, pétrissant du Kaiju de ses poings dans une marée de productions allant de la rêverie pop ultra-divertissante à la dérive mercantile brute. Car si King Kong gagne dans le scénario, il perd partout ailleurs : son design, sa crédibilité et le cynisme presque censeur de son pays d'origine le couvrent de ridicule, tandis que Godzilla, tranquillement, a déjà gagné nos coeurs.

Si vous êtes curieux de l'évolution du lézard bagarreur dans les 32 films à suivre, on vous conseille notre dossier à ce sujet.

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commentaires
Bob
03/04/2021 à 20:06

Dommage, le nouveau n'est pas terrible.

Tiri
03/04/2021 à 20:03

Génial

Sigi
03/04/2021 à 18:30

Wow, c'est une amorce de Thèse en Histoire/sociologie cet article ou quoi ? ;)
Très bien écrit et référencé malgré 1 ou 2 répétitions ;p . Si on avait tous les tenants et les aboutissants comme ça de l'Iliade, la Bible, ou les légendes arthuriennes (toutes proportions gardées :)) ) à si peu d'intervalles on y comprendrait peut-être un peu mieux le schmilblique :)))
Nice !

major fatal
01/04/2021 à 11:27

Les films actuels sont mieux fait mais c'est aussi c.n.

Sprig
01/04/2021 à 11:23

Je plussoie ce qui est dit dans l'article. Je n'ai jamais autant rigolé qu'en voyant cette vieille version de king kong vs godzilla. Cela m'a même rappelé les premiers épisodes de Spectreman …en moins bien. Pour éviter de spoiler ceux qui décideraient de voir ce sommet de la nanardise je ne parlerai que de la manière dont les indigènes capturent le roi gorille, les conseils d'évacuation de la ville ou encore les combats où chacun manque son adversaire (probablement à cause de la mauvaise visibilité des masques qui glissaient sur la tête des comédiens). Un pur bonheur.