Godzilla : la naissance incroyable d'un monstre légendaire et indémodable

Mathieu Jaborska | 10 mars 2021 - MAJ : 10/03/2021 13:37
Mathieu Jaborska | 10 mars 2021 - MAJ : 10/03/2021 13:37

La simple évocation de son nom hérisse les poils de plusieurs générations de cinéphiles. Sa légende a survécu à 35 longs-métrages, dont certains flirtent pourtant avec les arcanes de l'exploitation Z. Son hurlement est plus évocateur que n'importe quel hymne national. Sa réputation a dompté Hollywood. Godzilla est la preuve bien vivante que la culture populaire peut fabriquer de véritables divinités, pour peu qu'elles naissent d'oeuvres aussi atypiques que définitives.

Et c'est à une de ces oeuvres fondatrices que s'attaque aujourd'hui Ecran Large. Après avoir listé les meilleurs et les pires opus de la saga phare du Kaijû-Eiga, nous revenons sur son origine, le vénérable Godzilla d'Ishirô Honda. Un film ayant accompli l'exploit d'être à la fois un témoin culturel et historique, une révolution technique et le moteur d'un nouvel enthousiasme pour la science-fiction populaire.

Pas un petit morceau, donc, analysé à la lumière de plusieurs articles et publications, en tête desquelles le gargantuesque ouvrage Kaijû, envahisseurs et apocalypse de Fabien Mauro, sorti en 2020. Parce qu'en dépit de son importance parfois grave, Godzilla, c'est avant tout une affaire de passion.

 

photo GodzillaHail to the king, baby

 

L’histoire avec un grand A

Août 1945. Les villes d’Hiroshima et Nagasaki subissent deux frappes nucléaires américaines. Le bombardement cause des dommages humains, matériels, mais aussi psychologiques, dont se nourrira un traumatisme collectif. Le choc, qui tue selon la RERF (Radiation Effects Research Fondation) entre 90 000 et 140 000 personnes à Hiroshima et entre 60 000 et 80 000 personnes à Nagasaki est voué, par sa nature même, à rester bien ancré dans la société japonaise. En effet, la radioactivité des explosions touche une partie de la population, qui souffrira alors une vie des conséquences de la catastrophe. Une génération entière vivant avec le spectre de la destruction atomique.

Les survivants exposés sont appelés les Hibakusha. Leur présence transforme un pays alors à peine sorti de la Seconde Guerre mondiale. Ils sont victimes de discrimination, due à une méconnaissance des effets de l’empoisonnement radioactif, trahissant une véritable fissure sociale. C’est dire à quel point l’évènement persiste dans les esprits. En parallèle, et alors que les habitants gèrent leurs propres problèmes, la guerre froide s’installe, imposant une course aux essais nucléaires qui fait frémir la planète, et commence à imprégner timidement la culture.

 

photoLes Enfants d'Hiroshima

 

Au Japon, sous occupation américaine, soit jusqu'au début des années 1950, la production artistique ne peut évoquer ce qui est pourtant un point de non-retour. Il faut attendre 1952 pour voir un film s’attaquant directement à la mémoire d’Hiroshima et Nagasaki : Les Enfants d'Hiroshima, réalisé par Kaneto Shindo, qui commence à tourner à peine un mois après le départ de l’occupant. Le long-métrage connaît un petit succès, après une projection en avant-première à Cannes. Suivra Hiroshima de Hideo Sekigawa, posant un regard un peu différent sur la catastrophe. Il inspirera d’ailleurs le fameux Hiroshima mon amour d’Alain Resnais (1959).

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commentaires
Flo1
16/04/2024 à 15:00

Le plus grand, le plus beau, le plus terrible et mélancolique.
Ishirō Honda reprend les caractéristiques du "Monstre des temps perdus", et offre au Japon son monstre géant symbolique à égalité (ou presque ?) avec King Kong.
Symbole car il est le fruit d’une horreur créée par les humains, ce qui permet de ne pas trop échauder les américains à peine sortis de l’occupation de l’île : la honte des bombes nucléaires, c’est aussi la honte du pays nippon à s’être engagé dans une guerre terrible, surtout avec un acte fondateur pas très glorieux…
Bref toute la contrition nippone au service de la Paix, ou du moins à un avertissement quant à l’évolution des armes de destruction massive.

Car si les moments de suspense sont bien gérés (l’océan comme cachette), quand arrive les scènes de carnage ce sont dix minutes ininterrompues et cauchemardesques, qui résistent complètement à l’usure du Temps. Maquettes, costume, explosions, action, réactions des humains, jeu des acteurs (dont la participation de l’acteur fétiche de Kurosawa, le toujours empathique Takeshi Shimura), tout fonctionne parfaitement.

Et quand on en arrive aux conséquences, les victimes éplorées, on ne détourne pas le regard. Ce qui nous amène à un segment assez alambiqué, avec un couple de jeunes innocents, un savant/vétéran de guerre et une nouvelle arme ultime. Là c’est tout un discours à la Oppenheimer qui se déploie, mais avec plus d’émotions, plus de tragique.
Ça plus les immortels thèmes musicaux et Akira Ifukube (ils seront réutilisés plusieurs fois au fil des décennies fois), c’est déjà suffisant pour en faire un grand chef d’œuvre – à voir de préférence sous son montage originel japonais, la version américaine étant une adaptation dispensable.

Nico
11/03/2021 à 06:03

Article passionnant merci beaucoup!

Ozymandias
10/03/2021 à 20:09

Intéressant, merci !