Le mal-aimé : Constantine, l'exorciste qui a trahi Alan Moore est sur Netflix
Parce que le cinéma est un univers à géométrie variable, soumis aux modes et à la mauvaise foi, Ecran Large, pourfendeur de l'injustice, se pose en sauveur de la cinéphilie. Le but : sauver des abîmes un film oublié, mésestimé, amoché par la critique, le public, ou les deux à sa sortie.
Pourquoi recauser de Constantine ? Parce qu'il est sur Netflix, et que pendant que le coronavirus fond sur nous telle une armée de démons, ça ne peut pas faire de mal de se promener aux côtés de Keanu Reeves.
« Au-delà de toute rédemption » (Time Out)
« Culmine rapidement, avant de s’effondrer dans les profondeurs du n’importe quoi » (Newsweek)
« Je méprise profondément le genre paradis/enfer auquel cette mise en spectacle d’un comics appartient » (The Observer)
« Constantine dévoie totalement Hellblazer, sa source d’inspiration culte. » (Positif)
« On nage dans la fantasmagorie clipeuse. » (Les Inrockuptibles)
« Deux énormes handicaps : un scénario bavard et la présence (absence ?) de Keanu Reeves, l'acteur le plus transparent de la création » (Brazil)
L’HISTOIRE
John Constantine est né avec la capacité de voir les démons et les anges qui se baladent sur Terre, déguisés en humain. Ce don lui semble une malédiction, et ne facilite pas son existence, à tel point qu’il finit par se suicider. Il est sauvé et reçoit la capacité d’exorciser ses semblables. Il devient une sorte de détective pas très aimable, qui fume beaucoup.
Des années plus tard, il est approché par Angela, une policière qui enquête sur la mort énigmatique de sa sœur. Cible de phénomènes occultes, elle veut comprendre ce qui est arrivé à sa frangine et quelles sont les forces qui la menacent. Constantine y voit une nouvelle occasion de remplir son objectif principal : gagner la rédemption à forces de bonnes occasions et de renvois de démons en enfer, lui dont l’âme est damnée suite à son suicide foiré.
Le détective découvre que les démons se sont rangés derrière le fils de Satan, Mammon, qui veut prendre le pouvoir sur Terre en utilisant deux sœurs aux puissants pouvoirs psychique. Angela est l’une d’elle et permet à l’enquêteur d’éveiller les pouvoirs qu’elle a désactivé depuis des années, s’enfermant dans le déni.
Après avoir tabassé quelques démons et abîmé quelques décors, le duo doit se rendre à l’évidence : une conspiration est à l’œuvre qui va très au-delà des cercles de l’enfer. En effet, C’est l’ange Gabriel qui a fomenté l’avènement de Mammon pour rendre l’humanité, par nature ingrate, indigne de la compassion que leur voue Dieu. Constantine met ses plans en échec, sauve Angela, au prix de sa vie. Alors que Satan apparaît et se délecte de récupérer enfin l’âme de ce gros fumeur qui déjoue ses projets depuis si longtemps, le détective se voit accorder la rédemption.
Et ça, c’est la classe à Vegas.
Quand on tourne direct dans l'atelier du chef déco
LES COULISSES
Constantine nous vient d’un autre temps, une époque difficilement concevable pour qui a grandi avec l’ère des super-héros industriels popularisés par Disney. Un temps où les adaptations de comics n’étaient pas considérées comme des matériaux de premier choix pour Hollywood, mais plutôt des produits pour débiles légers, qui ne nécessitaient pas un grand soin, ni une véritable fidélité à leurs origines.
D’ailleurs, leur production pouvait souvent virer au chaos tranquille, personne ne comptant donner les rênes du projet à un auteur, le film étant brinqueballé au gré des ambitions commerciales de ses producteurs. Les deux Batman de Tim Burton étaient alors perçus comme des anomalies, et on était encore loin du surréaliste carton de Spider-Man en 2002, qui devait lancer une révolution profonde à Hollywood. On est en 1997 quand Lauren Shuler Donner entreprend de lancer ce qui deviendra Constantine, mais elle n’est pas au bout de ses peines. Au bout de deux années d’écriture, elle entend confier la mise en scène à Paul Hunter, mais la Warner ne l’entend pas de cette oreille.
Le studio souhaite donner le film à Tarsem Singh, tandis que Nicolas Cage tiendrait le premier rôle. Pour curieux que soit cet attelage, il est alors extrêmement prometteur. Cage est au sommet de sa gloire, primé de partout, capable d’alterner entre Palme d’or (Sailor et Lula) ou énorme blockbuster (Les Ailes de l'enfer) quand il ne se permet pas un petit pétage de plombs chez Scorsese (À tombeau ouvert). Quant à Tarsem, il est le jeune réalisateur prometteur de The Cell, et paraît tout indiqué pour porter à l’écran le personnage inventé par Alan Moore.
Mais, pour de sombres questions de budget, le réalisateur quitte la barque en juillet 2001, provoquant dans son sillage le départ de Nicolas Cage. Il faudra attendre 2002 pour que Keanu Reeves reprenne le rôle, sous la direction de Francis Lawrence, qui deviendra des années plus tard le géniteur de la saga Hunger Games.
Sous sa direction, le film va prendre forme et se détacher assez nettement de l’œuvre originale. L’apparence du héros est revue pour ne pas trancher avec le look de Keanu Reeves. L’action est déplacée à Los Angeles, les pouvoirs de Constantine modifiés, le background de plusieurs personnages altérés… Tandis que la tonalité globale abandonne beaucoup du nihilisme du personnage pour se rapprocher d’une certaine naïveté bien moins rude envers l’Eglise catholique et sa mythologie.
Adieu le titre original Hellblazer, jugé trop proche de Hellraiser, mais aussi de Hellboy, dont la sortie approche à grands pas. En 2005, Constantine est prêt à voir le jour.
BOX-OFFICE
Avec 100 millions de dollars de budget, le film est loin des records de 2005 (le King Kong de Peter Jackson bénéficie de plus du double), mais il jouit néanmoins d’un financement très solide, qui l’autorise à travailler en profondeur son univers à part et ses effets spéciaux, doublé d’un poste de dépenses promotionnelles conséquentes.
Avec 220 millions de dollars amassés à l’international, dont 75 sur le sol américain, on ne peut pas dire que le film soit un bide cinglant. Néanmoins, il semble clair que ces résultats sont bien moins conséquents que ceux attendus par Warner. En effet, avec sa campagne marketing et la part des exploitants, Constantine n’a pas pu dégager de marge digne de ce nom.
Ce semi-échec va d’ailleurs enterrer la licence un bon bout de temps (jusqu’à la série qui floppera en 2014, presque dix ans plus tard), convaincre de plus en plus d’executifs de studios que l’après Matrix de Keanu Reeves est compliqué à négocier et ne fascine pas le public, tandis qu’il faudra encore quelques années avant que Lawrence ne fasse son trou avec Hunger Games.
"Ah bah vous, quand vous avez piscine, vous avez piscine hein"
LE MEILLEUR
En 2005, les années 90 semblaient loin derrière, l’avènement de Marvel encore inimaginable et la tonalité du moment n’était pas à la gaudriole ou la blague méta. Bref, Constantine est un film bien de son temps, qui assume fièrement son premier degré. Peu importe que notre héros se balade entre l’enfer et Los Angeles, croise des démons, des anges ou quantité de représentants d’un bestiaire haut en couleurs, on n’est pas là pour blaguer. On ne dédramatise jamais les situations à coups de vannes, et quand tout ce petit monde joue à s’entretuer, c’est pour repeindre les murs et certainement pas ressusciter trente secondes plus tard.
Cette franchise, aujourd’hui presque disparue du divertissement hollywoodien, fait plaisir à voir, et se retrouve jusque dans la direction artistique du film. Tout concourt à nous donner le sentiment que le métrage croit en ce qu’il raconte et veut proposer une vision tangible de son univers. Du look classieux de Tilda Swinton à la vision des enfers semblables à un éternel blast atomique, en passant par la dégaine redoutable de Peter Stormare en Satan faussement indolent, nombreux sont les personnages à nous marquer immédiatement la rétine. Et au premier rang d'entre eux se trouve Keanu Reeves, dans un des rôles qui illustre le mieux son étrange aura.
"Coucou, tu veux voir mon Christ ?"
A l'époque moqué pour son inexpressivité, celui à qui Neo collait encore trop à la peau est ici un détective à la fois amer et dilettante, dont on ne saurait dire s'il se désole d'être là ou se remet d'une vilaine gueule de bois. Et pourtant, cela fonctionne étrangement, cette vision de John Constantine a beau s'éloigner drastiquement de l'oeuvre originale, le personnage du long-métrage impressionne la pellicule et nous donne envie de passer plus de temps avec lui.
Enfin, on trouve ici et là plusieurs scènes qui fonctionnent (souvent grâce à la direction artistique, et des effets spéciaux plus maîtrisés que de nombreux films de la même époque). L'image iconique de Constantine décimant un hopital armé d'un fusil à croix, son passage dans l'Au-delà grâce à une antique chaise électrique, ainsi que la vision d'un Los Angeles grouillant d'une activité démoniaque font leur petit effet. Le film n'appartient ni à la mode des young adults, et eut la bonne idée de ne pas singer Blade II, qui venait alors de sidérer les cinéphages du monde entier. Ce positionnement permet au film de s'appréhender encore aujourd'hui comme une curiosité jamais déplaisante.
LE MOINS BON
On l'a écrit plus haut, ce Constantine est bien loin de son modèle de papier. Et s'il ne fait aucun doute qu'adapter c'est trahir, dans le cas présent, il est bien difficile aux fans de la bande-dessinée d'y retrouver leurs petits. Tout le mordant d'Alan Moore a disparu, le personnage n'a plus rien de ce renégat nihiliste qui se tailla une place si particulière chez DC Comics. Mais les changements vont plus loin, puisque le long-métrage va jusqu'à modifier en profondeur l'ADN global de Hellblazer. Création particulièrement remontée contre l'épiscopat et toute idée d'autorité, le comics ne se contentait pas de recycler une partie de la mystique et des superstitions chrétiennes, préférant les travailler au corps pour les remettre profondément en cause.
Rien de tel ici, le film affichant au contraire une morale de petit cureton un peu pété au vin de messe. Et c'est clairement un manque problématique. A nouveau, pas parce qu'il faut toujours respecter l'oeuvre originelle, mais parce que cette modification paraît plus la conséquence du climat idéologique hollywoodien, plutôt que d'une transformation pensée. En l'état, le récit et son atmosphère s'en retrouvent régulièrement déséquilibrés, la rage de Constantine à l'égard des forces du Mal ne trouvant aucun point d'appui dans son rapport aux émissaires du "bien".
"Nan mais viens à Los Angeles, il fait beau et tout"
Cette indécision se remarque aussi dans la gestion de la violence. Tout dans cet univers appelle à l'horreur et à la brutalité. D'ailleurs, on songe souvent à un personnage emblématique de Clive Barker, le détective Harry D'Amour, qui entretient bien des liens avec son cousin dessiné. Malheureusement, un film à 100 millions de dollars ne s'autorise pas toutes les outrances qu'on était en droit de réclamer.
Certes, Constantine cherche souvent à contourner cet écueil par le biais de la mise en scène, et y parvient quelques fois. A bien des égards, le métrage s'avère beaucoup plus graphique que ce que s'autorise aujourd'hui la majeure partie des blockbusters, mais encore une fois, pour qui a connu le matériau originel, c'est encore très insuffisant.
Beaucoup plus gênant, le film de Francis Lawrence souffre d'un rythme franchement mollasson, notamment durant sa première moitié. Le film prend un temps bien trop long pour exposer ses enjeux, et redouble d'efforts pour caractériser certains personnages secondaires. Rachel Weisz, en dépit de son talent, n'a pas grand-chose à jouer et peine à trouver de la matière à exploiter, quant à Shia LaBeouf, on jurerait qu'il répète son futur rôle dans la saga Transformers, l'énergie et la vitalité en moins. D'où une quarantaine de minutes qui se traîne bien trop, et ont sans doute perdu pas mal de spectateurs lors de la sortie du film.
Et si plusieurs maquillages, décors ou effets numériques fonctionnent toujours, on note ici et là des incrustations franchement dégueus, ou des mouvements très approximatifs. Oui, Constantine bénéficie en matière de tonalité de son époque, mais il en souffre plus d'une fois quand il doit manier l'image de synthèse, tout comme il est marqué au fer rouge des années dès que le monteur se croit dans un clip cocaïné pour MTV.
RETROUVEZ L'INTEGRALITE DES MAL-AIMES DANS NOTRE RAYON NOSTALGIE
26/03/2020 à 02:46
Keanu Reeves en anti héros ou héros qui se prend pas trop au sérieux, je like. Constantine est un film assez bien (13/20), bien meilleur les vomissures que nous pond le cinéma d'aujourd'hui, genre catain Marvel, jumanji 2, Hobbs et Shaw...... Je peux en citer jusqu'à la fin du confinement
23/03/2020 à 17:38
C'est simple le film est agréable a regarder il tient la route clairement même s'il n'est pas fidele aux comics on sent fou on est divertie en le regardant et c'est tout ce qui importe ... Quand tu le compars aujourd'hui au produit Marvel ou même DC mais c'est mille fois mieux la preuve la série bidon constantine sur la WB de arrow la
23/03/2020 à 15:26
Ecran Large, comme beaucoup vous faites erreur : si le personnage a été crée par Alan Moore, qui l'a fait apparaître dans la série Swamp Thing, ce dernier n'a jamais scénarisé aucun des 300 épisodes de la série Hellblazer, ensuite consacrée à Constantine. Le film est bien une adaptation, mais des épisodes de Hellblazer signés Garth Ennis et Steve Dillon, les futurs auteurs de Preacher. La trahison faite au perso concerne son américanisation, sinon l'histoire est bien une adaptation de la BD.
23/03/2020 à 01:07
Keanu Reeves change radicalement de registre en incarnant un rôle d'anti-héros sombre et d'un cynisme absolu. Francis Laurence, plus connu pour ses clips de Lady Gaga, Alanis Morissette ou Aerosmith, prend la casquette de réalisateur et nous livre une compilation de plusieurs comics books révisités façon MCM ou MTV. Même si les effets spéciaux paraissent tcheaps et dépassés, je trouve que ce film est une merveille d'inventivité (comme le dirait Clara Kane dans Pardon le cinéma!) et la présence de Tilda Swinton est démentielle incarnant l'ange Gabriel, habillée comme un homme et à mi-chemin entre humain et dieu. J'aime le parti pris évolutif de la nature humaine figée entre ciel et terre, par la simple décision d’incarner physiquement un être qui justement n’est plus réel.
23/03/2020 à 01:03
Je connais très bien le comics. Et pourtant j’ai adoré ce film. J’ai simplement fait abstraction du matériel original et j’ai pris mon pied.
22/03/2020 à 22:07
les pouvoirs qu’elle a désactivéS !!! Accord du participe passé dans ce cas hein ;-)
22/03/2020 à 20:14
Pas le meilleur film du monde de la terre qui tourne mais plaisant à mater.
Portez vous bien. Aux lecteurs et la rédaction, que cette foutue maladie vous snobe vous et vos proches.
22/03/2020 à 18:39
Je l'avais bien aimé à ça sortie ciné, et j'ai été très surpris quand j'ai lu les comics quelques années plus tard. En effet rien a voir. Les 2 personnages n'ont pas grand chose en commun.
22/03/2020 à 17:56
J'ai toujours eu un faible pour ce film, une petite pépite qui a été jugée trop durement à sa sortie. N'ayant jamais lu les comics, je ne peux faire la comparaison, mais en tant que film avec un ''super hero'' c'est fort sympathique. Et les 2nd rôles sont plutôt marquant avec un Satan et un ange Gabriel dont le look marque la rétine (le coup du costard blanc dégoulinant de pétroles est excellent)! Incomparable avec les immondices qu'on nous sort aujourd'hui (Marvel mais aussi les autres hein, n'oublions pas Sony et son Venom tout foireux ou le dernier Hellboy....)
22/03/2020 à 17:22
Pas un grand film du tout, mais j'échange 10 marvelleries contre un constantine sans hésiter