Wind River : critique glaciale

Geoffrey Crété | 1 août 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Geoffrey Crété | 1 août 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58

C'est les retrouvailles entre les Avengers Jeremy Renner et Elizabeth Olsen, mais c'est surtout les premiers pas de réalisateur de Taylor Sheridan depuis qu'il a gagné une notoriété folle. Méconnu comme acteur, avec notamment un rôle dans la série Sons of Anarchy, Sheridan a explosé comme scénariste : d'abord avec Sicario, thriller brûlant de Denis Villeneuve avec Emily Blunt et Benicio Del Toro, puis avec Comancheria, porté par Chris Pine et Ben Foster. Avec Wind River, qu'il signe comme réalisateur et scénariste, il passe une nouvelle étape.

 

SICARIO BIS

Même le nom des héroïnes (Jane Banner ici, Kate Macer chez Denis Villeneuve) le trahit : Wind River ressemble un peu trop à Sicario. Dans les deux cas, il est question d'une jeune agent du FBI, idéaliste et déterminée, qui plonge dans un monde qu'elle connaît peu pour une mission périlleuse, épaulée par une figure masculine sauvage et opaque. Elle en ressortira transformée, ses convictions et sa vision claire de la vie et de son métier ayant été violentés par la réalité. 

Comme dans Sicario et Comancheria, tous deux écrits par Taylor Sheridan, la trame est simple. L'approche du genre est claire, et le scénariste est mû par une admiration et un respect évidents pour les codes, qu'il préfère appliquer avec précision, plutôt que les tordre et les renouveler. Wind River, sa première réalisation sérieuse (il a réalisé un micro-budget en 2009, un film d'horreur intitulé Vile, mais considère que celui-ci est son premier vrai film et a insisté pour que le mot passe dès Sundance) ne surprend donc pas de ce côté-là. En revanche, le film porté par Jeremy Renner et Elizabeth Olsen se révèle étonnamment sobre et simple. En ça, il se démarque grandement de Sicario et Comancheria. Et en ça, il risque de décevoir.

 

Photo Jeremy Renner, Elizabeth Olsen

 

FARGO-ISÉ

Après le désert de la frontière mexicaine et du Texas, direction les contrées enneigées et isolées du Wyoming pour Wind River, qui tient son nom d'une réserve indienne. Le soleil frappe des étendues aussi grandes et effrayantes, où la mort rôde aussi. Ici, elle prend la forme classique d'une enquête : le cadavre d'une Indienne de 18 ans est retrouvé au milieu de la nature., sans chaussures et les poumons glacés. Chargée d'enquêter pour le FBI, Jane Banner (Elizabeth Olsen) demande à Cory (Jeremy Renner), figure locale spécialisée dans la traque de prédateurs, de l'aider.

Dès la première demi-heure, l'écriture solide de Taylor Sheridan est à l'œuvre. L'arrivée de l'héroïne, littéralement désarmée face à l'hostilité du décor, et le regard que posent sur elle les autochtones, sont d'une efficacité bienvenue. Il suffit d'une scène, comme celle où Jane s'habille sous les yeux d'une femme austère, pour installer le personnage et l'ambiance. Sheridan n'est pas dans l'esbrouffe ou la révolution : les motifs sont très simples, très familiers, mais il les manie avec talent pour raconter son histoire.

 

Photo Elizabeth Olsen

 

Comme dans Sicario et Comancheria, la rencontre avec l'altérité est un moteur dramatique majeur. Que ce soit entre cette procédurière et ce chasseur, entre l'Amérique moderne et les territoires quasi abandonnés, les règles officielles et la loi de la jungle glacée, la culture indienne et celle des "étrangers", Wind River repose sur ces contrastes. L'opposition entre Jeremy Renner (qui a remplacé Chris Pine), particulièrement à l'aise dans un rôle si muet et intériorisé, et Elizabeth Olsen, qui porte avec un fragilité de circonstance ce rôle, fonctionne parfaitement.

D'autant que Sheridan a le mérite de résister aux écueils du genre. Pas d'amourette en avance rapide, pas de résolution absolue des enjeux, pas de pirouette grotesque pour refermer l'histoire personnelle de Cory : la sobriété est le fil conducteur du film, à tous les niveaux. Si le scénario se retrouve plusieurs fois face au mur, avec des scènes trop évidentes qui indiquent le sens de la lecture au spectateur, Wind River marche avec adresse sur un fil ténu. Un équilibre propice aux émotions fines et silencieuses.

 

Photo Jeremy Renner

 

MORTELLE RANDONNÉE

Néanmoins, Wind River met en lumière les limites de Taylor Sheridan derrière la caméra. Son premier film "officiel" est d'une clarté telle que le réalisateur semble n'avoir aucun intérêt pour le moindre suspense. Un flashback posé au milieu du troisième acte viendra ainsi éclairer toutes les zones d'ombre de l'intrigue, avec une lampe torche surpuissante qui en gomme toutes les aspérités. L'enquête se résumera ainsi à deux indices et trois étapes d'une simplicité folle, qui donneraient presque un air comique à certains dialogues ("Comment peut-on espérer résoudre une telle enquête avec si peu de gens et dans un territoire si grand ?").

Cette construction est particulièrement dure vis-à-vis du personnage féminin, pauvre outil dramatique au service du chasseur. Loin d'avoir une trajectoire aussi satisfaisante que l'héroïne de Sicario, Jane manque cruellement de place pour exister. Malgré quelques beaux moments, elle reste désespérément au second plan, alors que le film semblait promettre autre chose.

Mais il manque surtout à Wind River une ampleur cinématographique et une dimension dramatique. Sur le papier, Sicario et Comancheria étaient des films on ne peut plus classiques : l'instinct poussait à imaginer que c'était la mise en scène de Denis Villeneuve et David Mackenzie qui en avaient tiré des œuvres si marquantes. D'une sobriété sèche qui frôle parfois la platitude, Wind River le confirme. Hormis une scène de fusillade en deux étapes, bien emballée et plus forte que le climax, il n'y pas de moment saisissant. Parce qu'il lui manque ce trouble, cette étrangeté et cette force, le premier gros film de Taylor Sheridan laisse le loisir d'admirer toutes ses coutures. Et donc, toutes ses limites.

 

Affiche

  

Résumé

Comme les précédents scénarios de Taylor Sheridan, Sicario et Comancheria, Wind River reprend des codes très classiques. Mais contrairement aux œuvres de Denis Villeneuve et David Mackenzie, le premier film réalisé par le scénariste désormais célébré manque d'envergure, de dimension tragique et cinématographique. Reste alors un thriller sobre et épuré, bien emballé, qui tire une certaine force de sa mécanique maîtrisée et de son cadre cinégénique.

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commentaires
Flo
27/07/2023 à 13:02

Le dernier « film de frontière » de Taylor Sheridan, réalisé par ses soins cette fois.
Après que Denis Villeneuve ait fait de son « Sicario » une version tordue de Alice au pays des merveilles (les critiques positives et négatives sont passées à côté)… et que David McKenzie ait transposé les frères James à notre époque dans « Comancheria »…
Là Sheridan nous offre un polar qui ne veut pas vraiment l’être… Son rythme lent, sa propension à raconter d’abord la vie de ses protagonistes avant de faire avancer l’enquête sur un meurtre de jeune femme (qui est en fin de compte banale, malheureusement), ne ment pas sur la marchandise : c’est, de bout en bout, un film dramatique. Dénonçant l’éternel abandon du peuple Natif, tellement peu considéré que lorsqu’il y a des faits divers chez eux, ils ne viennent même pas s’ajouter aux statistiques nationales. Comme s’ils ne faisaient pas partie de ce pays. Paradoxalement, ce récit se permettra lui-même d’abandonner en cours de route plusieurs pistes narratives, comme le beau-père shérif, la responsabilité de la station pétrolière, la famille de pumas…
Ou le sort tout aussi irrésolu de la fille de Renner, qui sert petit à petit à une mise en parallèle avec les deux autres jeunes femmes du film – telle combinaison contre le froid, tels cadavres trouvés dans la neige, tels individus échaudés par l’alcool.

Dramatique donc, mais avec des scènes de suspense, d’action et de violence… qui ont beau être assez prenantes, elles ne suffisent pas à qualifier ce film de vrai Polar, ni même de Western (alors qu’on est en plein dedans).
Sûrement parce-que la Nature y est si centrale, écrasante, au point de déterminer le caractère des individus osant vivre dans ce coin hostile et désolé, où il faut changer d’État pour pouvoir trouver des moyens adaptés – ou une représentante du FBI, bazardée là comme si c’était pour faire le ménage.
Comme il est clairement dit, ici il faut être solide, il n’y a pas de chance qui tienne, sinon on peut y devenir une victime ou un bourreau.

Ça aurait d’ailleurs pu faire un bon film indépendant à petit budget. Mais Sheridan a bien compris qu’avec des acteurs ayant une aura déjà établie dans des films Tout Public, une petite production, plus difficile, pourra toucher plus de monde.
Prendre le duo de Jeremy Renner et Elizabeth Olsen, c’est avoir conscience que dans les films Marvel ils ont déjà une relation mentor/élève, sans être trop intimes. Pareil en utilisant le nom de « Jane Banner », où en filant un rôle bref mais crucial au Punisher Jon Bernthal (ici, plus chevaleresque qu’il ne l’a jamais été)…
Renner y est donc très bien dans ce rôle de père détruit, mais incapable de partir d’ici. Donc se forçant à faire son deuil et à s’enfoncer dans le travail, même si tout le ramène à sa fille perdue. Un gars qui ne flanche jamais, jusqu’au bout. Même pas il demande si les deux meurtres ont les mêmes auteurs, il reste dans le Présent.
Olsen est peut-être moins à l’aise (mais son personnage aussi), ayant une compassion immédiate avec la victime qui ne nous dit rien d’elle, si ce n’est que c’est une femme voulant rendre justice à une autre – à moins qu’elle soit symboliquement hantée par la précédente victime ?
Quelques défauts récurrents chez Sheridan, à savoir la présence de dialogues répétitifs (on a pourtant très bien compris), et une mise en scène assez sobre, qui ne mérite pas tant que ça son prix à Cannes – on a l’impression que c’est la séquence du flashback, surprenante, qui éclipsa tout le reste.

Sans compter quelques touches d’humour du quotidien, et même deux-trois plans de fesses, mais utilisés dans un contexte non excitant.
Mais ça sera toutefois moins subtil encore quand il lancera « Yellowstone », avec sa narration lorgnant sur les Soprano, ses personnages similaires (on retrouve du Renner à la fois chez Costner et Luke Grimes), et ses acteurs comme Gil Birmingham ou Kelsey (Chow) Asbille, qu’il s’obstine à faire jouer une Native alors qu’elle est asiatique… Mais au moins, cette dernière y aura plus d’opportunités pour sortir de son statut de victime.
Celle qu’elle joue dans « Wind River » aura surtout droit à une fin digne d’une battante.
Quand des mecs Conservateurs veulent avoir une écriture féministe, ça donne toujours des résultats… curieux.

Euh
08/09/2018 à 00:49

Je suis pas d'accord concernant le personnage d'Emily blunt dans Sicario, son personnage n'évolue pas d'un poil du début à la fin du film, c'est d'ailleurs un gros point noir du film.

Andarioch
26/07/2018 à 18:56

Les acteurs sont à l'aise dans leur rôle, le rythme du scénario surprend, notamment la résolution qui prend un peu en traître, chouette ambiance...
On ne peut pas dire que ça m'ai captivé mais bizarrement le film m'a collé au train bien après le mot fin.
Pourquoi?
En y réfléchissant bien je ne vois qu'une explication: Le charme.

Dios
09/09/2017 à 00:28

@Stéphane

... en l'occurrence, c'est écrit dans la critique.
Et Sheridan a bien insisté en interview à Sundance pour présenter ça comme son premier film, comme s'il reniait le vrai premier.

Stéphane
08/09/2017 à 23:38

Wind River est en l'occurrence le deuxième film réalisé par Taylor Sheridan

sylvinception
30/08/2017 à 15:18

@Raiden sérieusement, Olsen, une "bimbo" ?? T'as oublié tes lunettes ?? mdr

Raiden
04/08/2017 à 01:22

Comment vous osez voir un film avec une bimbo qui n'est bonne qu'a avoir une grosse pair de sein et un jeu d’acteur d'une enfant de 5 ans
Une catastrophe cette Elizabeth Olsen...

Flash
02/08/2017 à 07:51

La bande annonce était alléchante, même si le choix du sous Steve Mc Queen et de la médiocre Olsen comme casting principal m'a fait tiquer.
Cette chronique m'a un peu refroidi sur l'envie de voir ce film.

Greg
02/08/2017 à 04:22

Arf... Damn it... Pas évident de franchir le palier scénariste - réal.
Surtout avec 2 films unanimement reconnus, tels que Sicario et Comancheria, sur le CV. La pression est grande !
Bon, il me tarde quand même toujours autant de le voir pour me faire mon avis !!

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