Dès ses premières images, l’univers de Sam Fell et Chris Butler nous happe, par la déférence avec laquelle il envisage tout un pan du cinéma fantastique, par l’accessibilité de son atmosphère et de ses personnages, qui ne sombrent jamais dans la simplification excessive, mais surtout par sa maestria technique. L’excellence de l’animation et de la direction artistique renvoient illico les efforts numériques de la concurrence au stade de chewing gum pré-mâché, tandis ses concurrents réalisés en stop motion prennent 20 ans dans la figure. Travail des focales, photographie, découpage, finesse des mouvements donnent à ce singulier Para-Norman un véritable cachet de cinéma, jusque dans le recyclage de ses influences, pléthoriques, qui sait jouer de l’hommage sans jamais verser dans le catalogue désincarné, ou le clin d’œil stérile.
Une grande partie de la réussite de l’ensemble est ainsi indissociable de ce festin visuel. En effet, les récents succès de l’animation numérique made in pixar nous auraient presque fait oublier l’émotion particulière issue d’un récit en dur, réalisé image par image. Le grand mérite de L’Étrange pouvoir de Norman est également de nous rappeler que cette ancienne méthode démocratisée par Willis O’Brien et Ray Harryhausen, à force de maîtrise et d’abnégation est capable de prouesse et de percées poétiques équivalentes à celles d’un Pixar. Et le spectateur de demeurer interdit devant les scènes de foules, où la troisième dimension prend tout son sens, tout bonnement stupéfiantes de rythme et de fluidité. On est souvent sidéré par la finesse des textures, la vie qui se dégage des vastes décors en extérieur où se déroulent la majeure partie de l’intrigue, la précision de chaque expression, la grande intelligence du design des personnages, à l’impact immédiat et riche de mille subtilités.
On n’en est que plus déçu de voir le scénario tituber puis tourner à vide passé les premières quarante minutes, révélant que le récit n’a pas bénéficié du même soin que la direction artistique. Ainsi, sitôt les morts-vivants sortis de leur tombe, l’univers gentiment déviant de Norman retrouve les rails sirupeux du pilotage automatique et de la morale bon teint. Tolérance, éloge pataud de l’altérité et pardon à tous les étages accompagnent donc le troisième acte du film, et amoindrissent considérablement son impact. Le surnaturel tant attendu par le spectateur immobilise étrangement le récit, qui a paradoxalement bien du mal manier ses putrescents nouveaux personnages, lesquels sont d’ailleurs rapidement enfermés dans un décor unique. Contre toute attente, le fantastique ne sera ici que l’agent différé du retour à l’ordre. On regrettera également que ce sacrifice concédé sur l’autel du grand public aille de paire avec un léger décalage entre écriture et technique.
En effet, la stop motion n’autorise pas toujours l’écriture de dialogues frénétiques et un enchaînement purement mécanique des gags. L’imperceptible inertie des personnages, leur physique même, leur confère une temporalité différente de leurs alter ego réels ou de CGI, qui ne permet pas de transposer ipso facto certaines joutes verbales, qui tombent à plat et amoindrissent quelque peu les réjouissants doublages de John Goodman, Christopher Mintz-Plasse ou encore Anna Kendrick.